Chapitre 11 :La Vierge Marie et Sarah, femme d’Abraham

Chapitre 11

La Vierge Marie et Sarah, femme d’Abraham (1)

Dès la première page de l’évangile de Matthieu, nous remarquons les liens du Christ à Abraham : Il est « fils de David, fils d’Abraham » (Mt 1,1). Étant roi, il trouva son image lointaine en David qui fut le roi selon le cœur de Dieu comme il est dit dans la Bible. Étant le premier dans le plan du salut, Abraham regarda de loin ce fils de David et attendit de voir son jour (Jn 8, 57). Jésus et Abraham. Et dans le prolongement, Marie et Sarah. Si Abraham est le « père », Sarah est celle qui « a mis au monde » (Is 51, 2) la multitude des croyants. Là nous retrouvons Marie qui se trouve au pied de la croix mère de tous ceux qui aiment Jésus et qu’aime Jésus. Sarah a enfanté Isaac. Mais son nom ne figure pas dans la généalogie que présente Matthieu. Il est  dit simplement : « Abraham engendra Isaac » (Mt 1, 2) » Et la liste des hommes se déroule : Isaac, Jacob, Judas… mais pas jusqu’à la fin. Là il y a une distorsion, et un manque d’équilibre par rapport à toute la liste. Ce n’est pas Joseph qui « engendra » Jésus, mais Marie. Il est dit en effet : « Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle est né Jésus, que l’on appelle Christ » (Mt 1, 16).

Dans ce climat, peut-on voir en Sarah, la femme d’Abraham, une image lointaine de Marie? Sarah est la princesse. Marie est la reine. Sarah est avec son mari, la première croyante malgré les dons qui la rapprochent de Zacharie, père de Jean-Baptiste. Marie est celle qui défend le peuple de Dieu dans sa lutte contre « le grand dragon » (Ap 12, 3), le serpent primitif du paradis. Et Sarah met fin à l’idolâtrie que représentait Ismaïl comme dit la tradition juive.

Sarah princesse, Marie reine

Au début de la marche du « peuple de Dieu » du « peuple des croyants, de « toutes les familles de la terre » (Gn 12, 3) qui sont bénies à l’image d’Abraham et dans son sillage, au début de cette marche, nous nous trouvons devant la famille de Térah qui « engendra Abraham, Nahor et Haran » (Gn 11, 27). Et le texte se poursuit : « L’épouse d’Abram (qui deviendra Abraham par la suite) s’appelait Saraï… » (v. 29). Et pour la situation de la femme d’Abraham, il est dit : « Saraï était stérile, elle n’avait pas d’enfants » (v. 30).

Stérilité de Sarah

Quand on parle de « stérilité » dans la Bible, on est tout de suite en face de la faiblesse humaine; la force de l’homme est écrasée, lui qui veut s’opposer à Dieu pour créer(2), non collaborer avec Dieu. En effet, que dit Ève quand elle enfanta Caïn dans un mariage avec Adam? « J’ai procréé un homme avec le Seigneur »(3). C’est avec le Seigneur que l’homme et la femme auront des enfants.

L’Écriture a l’habitude de dire : Si une femme a beaucoup d’enfants, cela signifie qu’elle est bénie de Dieu. Mais si elle est stérile, cela est normalement une malédiction ou même un avertissement : « Rachel était bien faite et belle à voir » (Gn 29, 17). Et c’est pour elle que Jacob a servi Laban sept ans durant. Mais cette Rachel, l’amour du cœur de Jacob, n’a pas d’enfant, face à Léa sa sœur qui « avait les yeux faibles » et qui était moins aimée. Léa a plusieurs enfants. Et le texte introduit : « Yahvé vit que Léa était haïe et il ouvrit le sein de (Léa) tandis que Rachel était stérile » (Gn 29, 31). Cela poussa Rachel à la jalousie; elle dit à Jacob : « Donne-moi des fils, ou je meurs! » (Gn 30, 1). Et Jacob de répondre : « Suis-je à la place de Dieu, qui t’a refusé le fruit des entrailles? » (v. 2).

Être stérile signifie une attente. Et l’enfant qui viendra ne sera pas un enfant ordinaire. Dans le cas de Rachel, son fils Joseph fut le sauveur de ses frères, non un fils parmi d’autres fils, et pourtant ils étaient nombreux. Il en est de même pour Anne, la mère de Samuel. Elle fut longtemps stérile, malgré l’amour de son mari pour elle. Mais quand elle aura Samuel, après avoir prié et pleuré, ce fils aura une mission importante dans le peuple de Dieu : il fait passer les tribus de la dispersion et du chacun pour soi à l’institution royale. Et Anne de pouvoir chanter dans sa bouche, dans la bouche de Rachel, dans la bouche de Sarah et les bouches de toutes les stériles (1S 2, 5) :

La stérile enfante sept fois

et la femme aux nombreux fils dépérit.

Le chiffre « sept » indique la perfection et la totalité. Joseph en face de ses frères! Samuel, fils d’Anne face aux enfants de Peninna (1S 1, 2). Et bientôt Isaac, l’enfant de la promesse. Ce fils de Sarah est bien différent de son cousin Loth qui préféra la vie à Sodome et Gomorrhe à la compagnie de son oncle Abraham. Ses enfants sont enfants d’adultère(4). Abraham a pensé à un moment « adopter » son serviteur Eliezer. Il dit au Seigneur : « Voici que tu ne m’as pas donné de descendance et qu’un des gens de ma maison héritera de moi » (Gn 15, 3). Non, dit le Seigneur. Héritera de toi « celui qui sortira de tes entrailles » (v. 4)(5). Entendez les entrailles de Sarah. C’est à elle que le Seigneur prédit : « Je reviendrai chez toi (= Abraham) à pareille date, et voici que Sarah, ta femme aura un fils » (Gn 18, 10).

Et la comparaison se fait entre Isaac et Ismaël. Celui-ci est l’aîné par rapport à Abraham, mais il ne sera pas l’héritier, et la tradition nous parle d’idolâtrie(6).

De la stérile à la vierge

Dans cette atmosphère, Marie rejoint Sarah par l’intermédiaire d’Élisabeth, mère  de Jean Baptiste. Celle-ci était stérile, elle aussi. Et Marie comprit par elle : « Rien n’est impossible à Dieu » (Lc 1, 37). Cette citation prise à Gn 18, 14 fut dite en premier lieu lors de la conception miraculeuse d’Isaac. Et l’on entend ici le chant d’Isaïe (54, 1) :

Pousse des acclamations,

Toi stérile qui n’enfante pas

Explose en acclamation et vibre…

Car les voici en foule,

les fils de la désolée,

Plus nombreux que les fils de l’épousée.

Sarah la stérile. Marie, celle qui ne connaît pas d’homme, qui prend parti de rester vierge toute sa vie. Ses enfants ne pourront être comptés. A Abraham, son mari, il fut dit : « Contemple donc le ciel, compte les étoiles si tu peux les compter… Telle sera ta descendance » (Gn 15, 5). Ainsi fut-il dit au « patriarche » Abraham, à celui qui est un des trois « abot », à un des trois pères fondateurs du peuple de Dieu(7). Et il pourrait être dit aux matriarches dont la première est Sarah. Ces matriarches sont chantées comme « mères » (immahot)(8) dans certains rites : « Celui qui a béni (nos pères) »(9).

Marie aussi est chantée. Elle dit elle-même : « Oui, désormais toutes les générations me proclament bienheureuse » (Lc 1, 48). Cela sans compter ce qu’on entend dire comme éloge, directement au Christ, et indirectement à Marie. Or, comme Il disait cela, une femme éleva la voix du milieu de la foule et lui dit : « Heureuse celle qui t’a porté et allaité! » (Lc 11, 27). Et voilà qu’un éloge s’ajoute à un autre, et cela dans la bouche de Jésus : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui l’observent! » (v. 28). Mais déjà après la parabole de la semence (Lc 8, 4-8) et son explication (v. 11-15) qui se termine avec « ceux qui entendent la parole dans un cœur loyal et bon, qui la retiennent et portent du fruit à force de persévérance » (v. 15), après cela, Jésus s’entend dire : « Ta mère et tes frères se tiennent dehors; ils veulent te voir (v. 26). Sa réponse fut une application à sa mère qui écoute la parole de Dieu et la met en pratique (v. 27).

Telle est la famille de Jésus qui est « le premier-né d’une multitude de frères » (Rm 8, 29). Au milieu d’eux se tient Marie, le jour de la pentecôte; avec eux elle est assidue à la prière (Ac 1, 14).

En lisant les textes sur l’éloge porté à Marie, Ephrem cite d’abord Lc 11, 27 puis Mc 3, 22 pour insister sur la naissance véritable du Fils de Dieu, dans le sein de la Vierge, et cela en réponse à Marcion. Puis il poursuit : « Bienheureux le sein qui t’a porté. En réponse, Notre Seigneur enleva la béatitude de sa mère et la donna à ses adorateurs. Cette béatitude fut pendant quelque temps en Marie, et elle demeure éternellement dans les adorateurs de Jésus : Bienheureux ceux qui ont entendu la parole de Dieu et la garderont »(10). Denys Bar Salibi explique Lc 11, 27-28 et dit : « La femme a dit : celle qui a enfanté un homme comme Jésus, mérite la béatitude : elle est heureuse en toute vérité. Et le Seigneur, dans sa réponse, attribue le bonheur à ceux qui gardent les commandements de Dieu »(11).

Du particulier à l’universel

La « matriarche » du peuple de Dieu s’appelait « Saraï ». Elle aura un autre nom : Sarah. Le Seigneur lui-même change le nom(12). Quelle différence entre les deux noms? Saraï signifie ma princesse. Elle est rattachée à Abraham. Mais par la suite, elle sera la Princesse. C’est presque un nom propre. Et Isaac qu’elle va enfanter sera tout simplement à Dieu après l’expérience du Mont Moriah(13). Toute femme trouve son idéal dans cette « princesse ». Certains expliqueront la répétition du nombre des années de Sarah dans deux directions : « C’est d’indice de fait que toutes les années vécues de Sarah avaient été sans aucune exception, consacrées à la piété et à la pratique de la vertu atteignant une égale perfection(14).

Et R. Méir de présenter la seconde orientation, puisque il est dit deux fois l’âge de Sarah. « A quoi bon répéter (après le décompte de ses années) telles furent les années de vie de Sarah? C’est pour t’enseigner que la vie des hommes justes est aussi précieuse aux yeux du Seigneur dans ce monde que dans la vie future D’aucuns voient la source de cette déduction dans l’expression répétée « Les années de la vie de Sarah », interprétée par : les deux vies de Sarah : en ce monde et dans la vie future »(15).

Irénée de Lyon nous parle de la descendance d’Abraham à l’occasion de l’achat d’un terrain pour ensevelir Sarah :

« Ses descendants, en effet, ce sont ceux qui craignent Dieu et croient en lui; sa descendance c’est l’Église que le Seigneur lui donne comme postérité d’adoption…

« Dieu a donc promis à Abraham et à sa postérité qu’il leur donnerait la terre en héritage. Or, ni Abraham ni sa descendance, c’est-à-dire ceux qui, par la foi, sont devenus justes, car Dieu est absolument véridique et toujours fidèles… »(16)

Cela nous amène à Marie, la mère du Christ, cette femme de race royale. A cet égard dit Saint Bernard : « Noble enfant d’une noblesse royale, mais plus noble encore par ses royales vertus, afin qu’elle offrit l’honneur royal au Roi éternel, Fils du roi de gloire, et que ce Fils, qui venait du trône royal de son Père, trouvât aussi un trône royal dans le sein virginal de la Reine sa Mère. Car la sagesse éternelle s’est bâti une maison en elle-même et d’elle-même (Pr 9, 1ss). En elle-même et d’elle-même, la sagesse s’est préparé un trône. D’elle et en elle, le Fils de Dieu s’est fait un corps tellement parfait et convenable, qu’il lui serve de maison pour se reposer et de trône pour juger, après lui avoir servi de demeure pour combattre et de chaire pour enseigner »(17).

Et saint Bernard de s’appuyer sur Saint Augustin(18): « Nous ne devons pas douter que Marie ne soit sortie de la race de David par consanguinité. Elle était aussi de la race sacerdotale, d’après l’évangéliste saint Luc, puisque Élisabeth, qui était des fils d’Aaron, était sa parente (Lc 1, 36). On doit tenir pour certains que la chair de Jésus-Christ descend des deux races, c’est-à-dire des rois et des prêtres ».

Dans la même ligne, nous citons Jean Damascène(19) :

« Marie prédestinée avant tous les temps et prévue dan le conseil de Dieu, et esquissée et prédite par diverses images et discours des prophètes inspirés par le Saint-Esprit, au temps fixé est sorti de la racine de David(20)… Joseph qui d’après saint Matthieu et saint Luc, était de la race de David, n’aurait point épousé Marie, contrairement à la loi, si elle n’eût pas été de la même race ».

Et le Damascène de poursuivre à la même place :

« La très-sacrée Vierge, en qui s’est opéré le divin mystère de l’incarnation, était de la race de David ; c’est ce que l’Église catholique chante à sa louange, et la preuve en est certaine car il est nécessaire que la Mère soit de la même tribu de laquelle son Fils consubstantiel par la chair qu’il a prise en elle est sorti lui-même. Or, Jésus-Christ notre Seigneur tire l’origine de sa chair de la tribu de David, comme saint Matthieu l’atteste au commencement de sa génération. »(21)

De « ma princesse », Sarah est passée à « la Princesse ». Et Marie la « femme » (épouse, accordée en mariage, Mt 1, 18-21) de Joseph, est devenue tout simplement la « Femme ». Elle n’est plus une personne particulière, fille de Joachim et d’Anne; elle n’est plus seulement celle qui est « accordée à Joseph en mariage » (v. 18); elle n’est plus « la mère de Jésus » comme il est dit dans l’évangile de Jean (2, 1). Elle est la Femme vers laquelle regardent toutes les femmes. C’est ainsi que l’appellera son Fils à deux reprises : aux noces de Cana (v. 4), au pied de la croix (Jn 19, 26). Elle est alors la mère du disciple que Jésus aimait. Quel est le nom de ce disciple? Peut-être Jean comme dit la tradition. C’est là un fait précis qui ne satisfait que notre curiosité. Mais comme la Femme n’est pas dite ici Marie; de même celui que Jésus aime est le « Disciple ». Quiconque aime Jésus et que Jésus aime, voilà le Disciple, modèle de tous les disciples. Et comme l’Écriture part du Christ pour revenir à Adam, à l’Adam en qui se trouvent tous les Adamiques, tous les humains qui sont formés de l’adamah ou la terre arable, ainsi pouvons-nous parler de la Vierge Marie comme la nouvelle Ève, la Vivante, celle qui donne la vie à tout Adam, à tout être humain. Ève est restée au niveau de la chair, Marie est devenue la mère de tous les croyants. En elle trouve son accomplissement la Jérusalem nouvelle, comme dit Ps 87, 4-5

Je mentionne Rahab (Égypte) et

Babylone

Parmi ceux qui me connaissent

Certes, c’est en Philistie,

à Tyr ou en Nubie

Que tel homme est né.

Mais on peut dire de Sion

(la colline sainte)

« En elle tout homme est né,

Et c’est le Très-Haut qui la consolide.

Les deux grandes puissances, de l’Orient, l’Égypte et Babylone; les deux régions au bord de la mer, la Philistie et Tyr… Et l’on va jusqu’à la Nubie, i. e. la Soudan et l’Éthiopie. Tous sont nés à Jérusalem en sa partie la plus sacrée où s’élève le Temple. Tous peuvent l’appeler « Mère ».

Ici nous lisons un texte d’Éphrem(22) qui fait parler Moïse : « Le Seigneur vous suscitera un prophète (Dt 18, 15), non pas n’importe lequel, mais un prophète comme moi, qui vous rassasiera de pain dans le désert. Comme moi, il a marché sur la mer, il est apparu dans la nuée, il a libéré son Église de la circoncision; il a remplacé Josué, le fils de Nun, par Jean qui était vierge et il lui a remis Marie, son Église, comme Moïse remit son troupeau à Josué. Tout cela arrive afin que s’accomplisse la parole : « Comme moi ».

Éphrem a passé de Marie à l’Église. Et pour lui, Jean le disciple bien-aimé, est aussi Jean Baptiste, l’ami de l’époux (Jn 3, 29); il mène l’épouse, l’Église, à l’époux, Jésus-Christ. Et c’est Marie qui représente l’Église, que ce soit la Mère de Jésus, ou la Marie qui vint au tombeau.

Sarah, la princesse, Marie la reine. La première fut la mère des croyants, à la manière d’Abraham qui « eut foi dans le Seigneur, et pour cela le Seigneur le considéra comme juste » (Gn 15, 6). C’est-à-dire vivant en accord avec la volonté de Dieu. Cela nous amène à la seconde partie de notre exposé.

Sarah la croyante, Marie la croyante

La foi de Marie

Nous commençons avec Marie, puis nous revenons à Sarah dont la foi fut un peu défaillante, ayant su quand le Seigneur lui annonça qu’elle aura un enfant (Gn 18, 12).

b- Bienheureuse celle qui a cru

Après l’annonciation, Marie vint chez Élisabeth qui sentit les effets de la présence de Jésus dans le sein de sa mère. Et pleine de l’Esprit, elle dit : « Bienheureuse celle qui a cru » (Lc 1, 45). Évidemment, il y a une allusion à Zacharie qui n’a pas cru (v. 20). Croire c’est s’abandonner au Seigneur. Croire c’est mettre la main dans la main de Dieu sans se poser les multiples questions à propos du lendemain. A chaque jour suffit sa peine, dit le Seigneur. Pourquoi tant de soucis sur le cœur?

Telle fut Marie. La question qu’elle posa ne fut pas en effet une question mais un acquiescement à la demande du Seigneur. Il lui est dit qu’elle sera la Mère du Christ, du Messie. Sa réponse fut rapidement, oui. Comment le sait-on? La tradition considérait que la mère du Messie serait « vierge ». Pour cela dans le texte d’Isaïe on ne parle pas de la « jeune fille » nouvellement mariée ou qui se prépare au mariage, mais de la « vierge »(23). Isaïe donne un signe au roi et lui dit : « Voici que la jeune femme est enceinte et enfante un fils et elle lui donnera le nom d’Emmanuel » (Is 7, 14). Que devient ce texte hébreu dans la traduction grecque qu’on appelle Septante? « Voici que la vierge est enceinte… ». Marie vivant dans l’atmosphère biblique, comprit tout de suite ce qui lui était demandé. Sa réponse fut oui accompagnée d’une question qui demande des éclaircissements sur ce qu’elle doit faire. Étant vierge, comment vais-je avoir un enfant?

La question ne se pose pas au niveau matériel, sinon l’ange lui aurait dit : « Va chez Joseph et tu auras un enfant ». Mais non. Il lui dit plutôt : « L’Esprit Saint viendra sur toi » (Lv 1, 35). C’est au niveau de la foi que se fait la conception virginale. C’est dans la foi que Marie dit son Fiat : « Je suis la servante du Seigneur » (v. 38).

Nous citons ici Éphrem : « Les paroles de l’ange à Marie : « Élisabeth, ta parente » présentent Marie comme étant de la maison de Lévi. Mais la prophétie est établie du point de vue de l’époux. Or Joseph, qui épousa Marie, était de la race de David, et la naissance de Notre-Seigneur a été calculée du point de vue du père, pour la gloire de la race de David; c’est dans le Christ que s’achèvent la descendance et la race de David. Si l’Écriture ne dit rien de l’ascendance de Marie, c’est parce que ses calculs portent sur les généalogies des hommes. Si l’Écriture avait coutume de mentionner la généalogie des mères, il serait normal de chercher à établir l’ascendance de Marie »(24).

Dans le même sens, nous lisons l’hymne 4 sur la Nativité :

130  Le Saint habitait le giron maternel

Corporellement

Voici qu’il habite l’esprit

Spirituellement.

131  Marie qui le conçut

Détestait l’union charnelle:

Que ne fornique point l’âme

Où il habite.

132  Quand Marie le perçut,

Elle laissa son époux

Voici qu’il habite en de chastes

femmes,

Si elles le perçoivent(25).

Et nous ne pouvons que citer cette Homélie de saint Éphrem sur la Mère de Dieu :

« Contemplez Marie, mes bien-aimés, voyez comment Gabriel entra chez elle et quelle objection elle lui adressa : Comment cela va-t-il se faire? (Lc 1, 34). Le serviteur de l’Esprit-Saint lui fit cette réponse : « Cela est facile à Dieu : pour lui, tout est simple. » Considérez comment elle crut à la parole entendue et dit : « Voici la servante du Seigneur. » (v. 38).

« Dès lors le Seigneur descendit d’une manière que lui seul connaît; il entra en elle sans qu’elle le sente, et elle l’accueillit sans éprouver aucune souffrance. Elle portait en elle, comme un enfant, celui dont le monde était rempli. Il descendit pour être le modèle qui renouvellerait l’antique image d’Adam.

« Aussi, lorsqu’on t’annonce la naissance de Dieu, observe le silence. Que la parole de Gabriel te soit présente à l’esprit, car il n’y a rien d’impossible à cette glorieuse Majesté qui s’est abaissée pour nous et qui est née de notre humanité.

« En ce jour, Marie est devenue pour nous le ciel qui porte Dieu, car la Divinité sublime est descendue et a établi en elle sa demeure. En elle, Dieu s’est fait petit – mais sans amoindrir sa nature – pour nous faire grandir. En elle, il nous a tissé un habit avec lequel il nous sauverait. En elle, se sont accomplies toutes les paroles des prophètes et des justes. D’elle s’est levée la lumière qui a chassé les ténèbres du paganisme.

« Nombreux sont les titres de Marie, et il convient que je les rapporte. Elle est le palais dans lequel a habité le puissant Roi des rois. Et il ne l’a pas quittée comme il était venu, car c’est d’elle qu’il a pris chair et qu’il est né.

« Elle est aussi le nouveau ciel dans lequel a habité le Roi des rois. En elle s’est levé le Christ et d’elle il est sorti pour entrer dans la création, formée et façonnée à son image.

« Elle est le cep de vigne qui a porté la grappe. Elle a donné un fruit supérieur à la nature, et lui, bien que différent d’elle par sa nature, a revêtu sa couleur et est né d’elle.

« Elle est la source de laquelle ont jailli les eaux vives pour les assoiffés, et ceux qui ont goûté de sa boisson portent des fruits au centuple. »(26)

c- La foi de Sarah

La marche de Sarah fut longue. D’abord elle a foi en « son mari, Abraham ». Avec lui, elle part vers « l’inconnu », d’un point de vue humain, et en cela elle participe à la foi d’Abraham : C’est un déracinement : « Quitte ton pays, ta famille, la maison de ton père » (Gn 12, 1). Qui lui reste-t-il? Rien. Il est embarqué. Et le Seigneur lui dit : Je te ferai voir où tu vas. Pour le moment fais confiance. Et puis c’est le départ en Égypte avec le danger encouru par Sarah pour sauver la vie de son mari. Abraham dit à sa femme : « Vois, je sais bien que tu es une femme belle à voir. Alors, quand les Égyptiens te verront et diront : « C’est sa femme », ils me tueront et te laisseront en vie. Dis, je te prie, que tu es ma sœur pour que l’on me traite bien à cause de toi et que je reste en vie grâce à toi » (Gn 12, 11-13).

Cette foi fut mise à dure épreuve quand l’enfant tarda à venir. Elle n’attendait plus rien d’elle-même. Alors, elle laissa de côté la promesse du Seigneur et rechercha les moyens du monde : elle donna sa servante, Hagar, à son mari. Mais elle va payer cher ce stratagème. Le texte dit de Hagar : « Quand elle se vit enceinte, sa maîtresse ne compta plus à ses yeux » (Gn 16, 4). La colère de Sarah monta contre son mari qu’elle considéra comme « responsable » (v. 5). Et surtout contre Hagar qui sera chassée de la maison, en attendant qu’elle soit renvoyée définitivement avec son enfant (Gn 21, 10ss).

Ici la tradition nous donne quelques développements. En premier lieu par rapport à la beauté de Sarah. D’abord il est dit qu’Abraham cache Sarah en pénétrant en Égypte. Le texte biblique dit : « Et quand Abram arriva en Égypte, les Égyptiens remarquèrent que cette femme était extrêmement belle » (Gn 12, 14). Et l’on pose la question : « Mais, où était donc Sarah ? » Cette question est justifiée par la mention de la seule arrivée d’Abraham. Il est dit : « Ce dernier la plaça dans une caisse et l’y enferma. Lorsqu’il fut arrivé à la douane, on lui ordonna : « Acquitte tes taxes douanières! ». « Mais certainement! Je veux bien les régler », leur répondit-il.

On lui dit : « Tu transporte des

vêtements »

Il leur répondit : « Je paierai sur les

vêtements »

C’est de l’or que tu transportes ».

Eh bien, je paierai sur l’or ».

Tu transportes certainement de la soie ».

Je paierai pour de la soie».

Tu transportes des pierres précieuses ».

Eh bien, j’acquitterai les taxes ».

Tout compte fait, il est indispensable que tu ouvres cette caisse et que tu nous montres ce qu’elle contient.

Dès qu’elle fut ouverte, tout le pays d’Égypte fut illuminé par l’éclat de la Beauté de Sarah »(27).

Mais qu’est donc la beauté de Sarah par rapport à la beauté de celle que chante la liturgie :

« Tu es toute beauté, Ô Marie, et nulle imperfection n’est en toi. » Et l’on applique le texte du Cantique des Cantiques : « Que tu es belle, ma compagne, que tu es belle! » (Ct 1, 15). Augustin commente : « Tel est l’amour qui rend belle l’âme aimante. Dieu qui est la beauté éternelle, qui ne perd jamais sa beauté, nous a aimés le premier… » Et d’où vient la beauté de la fiancée, en l’occurrence Marie? De la beauté du Seigneur, comme dit Isaïe : « Ton Seigneur lui-même sera ta beauté. » (Is 60, 19).

Si Sarah, la mère d’Isaac, est si belle, comme porteuse de la promesse, que dira-t-on de Marie, la mère de Jésus en qui s’accomplissent toutes les promesses! Si la beauté de Sarah a illuminé toute l’Égypte, la beauté de Marie illumine le monde entier. A la naissance de son fils, c’est la gloire de Dieu au ciel, la paix sur la terre et l’espérance pour les enfants des hommes(28).

La foi de Sarah fut défaillante surtout quand le Seigneur vint annoncer à Abraham que sa femme aura un fils. Le texte dit : « Sarah se met à rire en elle-même et dit : Tout usée comme je suis, pourrais-je encore jouir? Et mon maître est si vieux! » (Gn 18, 12). Ici Sarah se place à côté de Zacharie qui dira : « A quoi connaîtrais-je cela? Car moi je suis un vieillard et ma femme est avancée en âge? » (Lc 1, 18). Zacharie aura sa « punition ». Il sera muet. L’ange lui dit : « Et voici que tu vas être réduit au silence et sans pouvoir parler jusqu’au jour où ces choses arriveront, parce que tu n’as pas cru à mes paroles, lesquelles s’accompliront en leur temps » (v. 20).

L’on pourrait entendre la même chose par rapport à Sarah. Et le Midrash de lire Gn 21, 1 pour le commenter :

« La double expression du verset: (Dieu avait fixé son attention sur Sarah comme אמר (amar). Il l’avait dit, et fit à Sarah comme דבר il avait parlé) est relevée par nos commentateurs qui s’étonnent, en outre, que dans le premier hémistiche soit employé le terme אמר qui évoque la Mansuétude divine, et dans le deuxième le terme דבר, terme empreint de sévérité. La réalité est que Sarah, coupable d’avoir ri à l’annonce de sa maternité miraculeuse et ayant exprimé ainsi son doute quant à sa réalisation, eût mérité que la promesse divine fût annulée. Notre mère s’attira de la sorte les reproches de hachem השמ الاسم الإلهيّ. Cependant, Dieu, ne voulant pas révoquer pour autant son acte de bonté, car il n’est pas un mortel, pour mentir, mais néanmoins désireux de donner une sévère leçon, punit Sarah « mesure pour mesure ». Ainsi puisqu’elle a ri à l’annonce de la promesse divine, son entourage a ri au moment de la naissance d’Isaac; les uns attribuaient sa maternité à Abimélech; les autres l’accusaient tout simplement de s’être emparée d’un nourrisson étranger pour pallier sa stérilité. Toutefois, Dieu fit un deuxième miracle, en sa faveur, en rendant sa lactation (le lait dans son sein) si abondante qu’au grand dépit de toutes les femmes médisantes, elle fut capable d’allaiter à elle seule tous leurs bébés. Voilà le motif pour lequel le verset cité relate, en même temps, la Bonté divine : « Dieu avait fixé son attention sur Sarah. »(29)

Le targum avait commenté le rire de Sarah : « Se peut-il faire qu’il y ait quoi que ce soit de caché devant Yahvé? Au moment de la fête, je retournerai vers toi, à la même époque, et vous serez encore en vie et Sarah aura un enfant. »(30)

A la naissance, que nous lisons en Gn 21, le Targum dit : « Yahvé se souvint de Sarah ainsi qu’il le lui avait dit, et Yahvé accomplit pour Sarah un signe analogue à celui dont Abraham avait parlé dans sa prière pour Abimélech(31) Sarah fut enceinte et elle enfanta à Abraham dans sa vieillesse un fils qui lui était semblable(32) au moment dont lui avait parlé Yahvé. »(33) C’est ainsi que nous lisons dans le Pseudo-Jonathan; le Néofiti insiste sur la « miséricordieuse bonté » de Yahvé.

La naissance de l’enfant fut l’occasion d’une joie intense. « Sarah dit : une grande joie m’a été faite devant Yahvé. Quiconque l’entendra se réjouira avec moi. » Puis elle dit : « Oh! Si quelqu’un pouvait aller annoncer à la maison de Nakhor, frère d’Abraham : Sarah allaite des enfants. »(34) Le tg pseudo-Jonathan parle de « la merveille que le Seigneur fit à Sarah qui dira : « Quiconque l’entendra s’émerveillera à mon sujet. » Puis elle dit : « Combien était digne de foi(35) le messager qui fit cette annonce à Abraham et dit : Sarah est destinée à allaiter des enfants. »(36)

Ici, les traditions juives donnent libre cours pour parler de la naissance d’Isaac.

« La naissance d’Isaac fut un événement heureux, non seulement pour la maison d’Abraham. Le monde entier s’est réjoui parce que Dieu s’est souvenu de toutes les femmes stériles en même temps que Sarah. Toutes mirent au monde un enfant. Et tous les aveugles purent voir; tous les estropiés furent complets; tous les muets purent parler; et les fous retrouvèrent la raison. Et encore un plus grand miracle eut lieu : Le jour de la naissance d’Isaac, le soleil brilla avec une telle splendeur comme il n’avait pas été vu depuis la chute de l’homme, et comme il brillera seulement à nouveau dans le monde futur. »(37) Quelle est la place de Sarah dans la vie d’Isaac? Elle prépare son fils pour « le sacrifice ». Le Midrash pose la question à l’occasion du panégyrique de Sarah dans la bouche d’Abraham : « Quel est celui des nombreux actes de vertu de sa femme qu’il choisit pour illustrer, dans son apologie, la sainteté de la vie de son épouse bien aimée? »

Et le Midrash de répondre : « Dans son oraison funèbre, Abraham choisit pour base l’évocation du sacrifice d’Isaac. Le rappel de cet acte héroïque parlait plus, à lui seul, en faveur de la piété sincère de notre mère, Sarah, que les éloges les plus flatteurs. Une femme qui a su inculquer à son fils pareil dévouement envers Dieu, pareille abnégation, pareil effacement vis-à-vis de la Volonté divine, une telle personne est au-dessus de toute louange. Abraham vint du mont Moriah – dit R. Lévi. C’est ce haut-lieu du sacrifice qui plaidait avec éloquence pour la vie vertueuse et exemplaire de Sarah; cet événement extraordinaire frappa les sens et séduisit l’imagination de toute l’assistance venue rendre ses derniers hommages à Sarah. »(38)

Ici Sarah paraît une lointaine figure de Marie qui fut à côté de son fils, depuis le premier signe qui eut lieu à Cana de Galilée, jusqu’au signe des signes, à la croix. Le Fils choisit la volonté du Père, au jardin des Oliviers. Et quand il mourut, il dit : « Père entre tes mains je remets mon esprit » (Lc 23, 46). Tout cela nous amène à une comparaison entre Jésus et Isaac, telle que présentée par Éphrem :

« C’est pourquoi Abraham, contre toute espérance, engendra Isaac, qui fut une figure accomplie du Seigneur. Il n’était pas naturel, en effet, que le sein déjà mort de Sarah pût concevoir Isaac et qu’elle le nourrît de son lait; il ne l’était pas davantage que la Vierge Marie, sans connaître d’homme, conçut le Sauveur du monde et l’enfanta sans perdre son intégrité (…). L’ange, devant la tente, avait dit au patriarche : L’an prochain, à pareille époque, Sarah aura un fils (Gn 18, 14). L’ange aussi, (…) dit à Marie : Voici que la comblée-de-grâce va engendrer un fils (Lc 1, 28, 31). Sarah avait ri en pensant à sa stérilité : « Comment Abraham et moi pourrions avoir un enfant? Nous sommes usés tous les deux! » Marie, en songeant à la virginité qu’elle voulait garder, hésitait; elle dit : Comment cela va-t-il se faire, puisque je ne connais point d’homme? (Lc 1, 34).

« La promesse était, certes, contre nature; mais celui qui, contre toute espérance, avait donné Isaac à Sarah, est vraiment né lui-même selon la chair, de la Vierge Marie.

« Lorsque Isaac vit le jour selon la parole de Dieu, Sarah et Abraham furent remplis de joie. Lorsque Jésus vint au monde selon l’annonce de Gabriel, Marie et Joseph furent dans l’allégresse. (…). Qui aurait dit à Abraham que Sarah dans sa vieillesse allaiterait un fils? » s’exclamait la stérile; qui aurait dit au monde que de mon sein virginal je nourrirais un enfant avec mon lait? », s’écriait Marie. En fait, ce n’est pas, à cause d’Isaac que Sarah se mit à rire, mais à cause de celui qui est né de Marie, et comme Jean Baptiste manifesta sa joie par son tressaillement dans le sein de sa mère, Sarah manifesta la sienne en riant. »(39)

Et nous terminons par cet hymne sur Abraham, chanté par Romanos le Mélode. Et cela à l’occasion du sacrifice d’Isaac. Dieu le Père dit : « Moi non plus, je n’épargnerai pas mon Fils. » Mais ces paroles peuvent être mises dans la bouche de Marie :

« Je le (le Fils) donnerai afin qu’il soit immolé pour le monde entier, car je donne tout bien, moi, le Sauveur de vos âmes.

« Comme ton Isaac (ô Abraham et Sarah) a porté le bois sur ses épaules, ainsi mon Fils, sur ses épaules, portera la croix. Ton grand amour t’a révélé l’avenir. Tiens, regarde le bélier pris dans le bois; en voyant comment il est retenu, découvre (toi) le mystère : c’est par les cornes qu’il est entravé; ces cornes figurent les mains de mon Fils. Immole-moi ce bélier et je te garde ton fils, car je donne tout bien, moi le Sauveur de vos âmes.

« Quand Sarah vit Isaac revenir avec Abraham, sans avoir reçu le coup mortel, elle se mit à danser, tout heureuse d’accueillir à nouveau son fils : « Celui qui me donne de te revoir, ô mon enfant, qu’il prenne maintenant ma vie! » A nous aussi donne cette joie, ô toi qui pour nous as laissé lier tes mains, comme des cornes sur le bois. Ne repousse pas mes prières, ne les rends pas inutiles. Ne fais pas périr dans ta colère ceux pour qui tu as été crucifié, (…) ô toi qui donnes tout bien, toi, le Sauveur de nos âmes.(40)»

Conclusion

Telle est notre lecture de la vie de Sarah à la lumière de la vie de la Vierge, et tel est notre regard sur Marie notre mère face à Sarah la mère du peuple de Dieu. La grandeur de Sarah le fut dans Isaac, le fils de la promesse. Et la grandeur de Marie réside dans sa maternité divine. Impossible pour une stérile d’avoir un enfant au regard du monde. Et plus impossible encore au monde pour une vierge d’avoir un enfant. Seul le mystère de Dieu nous permet d’entrer dans son dessein éternel. Là se place Abraham le croyant et sa femme Sarah. Ici se place Jésus-Christ avec sa mère qui fut la croyante, la première disciple de Jésus. Au pied de la croix elle se tenait

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