Chapitre 3: Marie et la toison de Gédéon

Chapitre 3

(Marie et la toison de Gédéon (1

Quand on chante les litanies de la Vierge Marie, notre attention est attirée par l’appellation de la Vierge: la toison de Gédéon. Qu’est-ce-à dire?

Ce juge fut appelé par le Seigneur. Il voulait savoir si le Seigneur sauvait son peuple par ses mains. Pour cela, il demande deux preuves, dont l’une est le contraire de l’autre. Il étend sur l’aire une toison de laine. Dans une première étape, il demande qu’il y ait de l’eau sur la toison et que le terrain reste sec. Dans une seconde étape, il demande que la toison reste sèche, et qu’il y ait de la rosée sur tout le terrain. Dans les deux cas, le Seigneur acquiesça à sa demande (Jg 6, 36-40). Quelle est la signification de ce texte pour nous surtout dans une optique mariale? Mais nous commençons par parler de la vocation de Gédéon avant de découvrir le sens de la toison et son application à Marie.

Vocation de Gédéon (Jg 6, 11-18)

Gédéon est le cinquième des Juges à qui fut confié le salut de leur tribu ou de leur peuple. En effet les Madianites, ces tribus nomades d’origine arabe dont les pâturages sont à l’est du golfe d’Aquaba, envahissaient le pays et ne laissaient aux habitants «ni bœufs, ni moutons, ni ânes» (Jg 6, 4). Ainsi le pays avait besoin d’un sauveur. Pour cela Dieu appela Gédéon.

Deux récits de vocation se lisent dans le chapitre 6 du livre des Juges. Le premier (v. 11-18) peut être comparé à celui qui raconte l’appel de Moïse au buisson ardent (Ex 3). Mais aussi, il prépare l’appel de Marie à l’Annonciation (Lc 1, 26-38). Dans les deux cas, il y a la présence de l’ange. Cet ange est l’envoyé et le représentant de Dieu. En fait, c’est le substitut littéraire de Dieu lui-même. En effet, le texte dit: «L’Ange du Seigneur»; mais cet ange désigne Dieu lui-même qui doit rester loin dans une première approche. D’ailleurs au v.14, on ne parle plus d’ange, mais on dit: «Le Seigneur se tourna vers lui» vers Gédéon. Il en est de même au v. 16 et au v. 23, où c’est le Seigneur qui répond, qui dit. Mais ici comme dans d’autres textes, «le croyant» ne s’apperçoit de l’identité divine qu’à la fin de l’apparition. C’est ce que nous lisons au v. 22: le face à face.

Dans le cas de Gédéon, l’ange du Seigneur vint. Cet homme qui était sur l’aire ne s’attendait aucunement à le voir. L’on peut dire la même chose de Marie qui reçut la salutation de l’ange. Toute initiative dans ce domaine vient de Dieu: «Le Seigneur est avec toi», est-il dit à Marie comme à Gédéon. Bien sûr qu’il s’agit de formule traditionnelle dans le monde sémitique exprimant un vœu. Mais Gédéon comprend cela comme une réalité qui accompagne les responsables et leur promet l’assistance de Dieu. D’ailleurs l’appelé se l’entend dire au v. 16: je suis avec toi. Ou: je serai avec toi. Quant à Marie, le Seigneur sera vraiment avec elle, ou plutôt en elle: «Voici que tu vas être enceinte, tu enfanteras un fils et tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut» (Lc 1, 31-32). Quant à Matthieu, il parle de l’Emmanuel, de «Dieu avec nous» (Mt 1, 23).

Gédéon s’étonne. Qui est-il pour être appelé à une mission si haute? Son clan est le plus faible, et lui-même est le plus jeune dans la maison de son père (Jg 6, 15). Et Marie s’étonne, elle aussi. Elle ne connaît pas d’homme. Et elle fut comme, au moment de la rédaction des évangiles, comme celle qui fut vierge, avant l’enfantement, pendant et après l’enfantement. A la fin, elle va affirmer qu’elle est la servante du Seigneur. Qu’elle n’a qu’à obéir à la parole de Dieu.

Nous voudrions citer ici un passage de François de Sales à propos de ce texte. «Or, la bonté de Dieu qui est si grande envers les hommes… se résolut d’avoir pitié d’eux, et envoya un ange annoncer à Gédéon qu’il voulait les rétablir en leur première paix, et par son moyen. L’ange l’ayant rencontré dans un lieu où il battait du blé, le salua en cette sorte: «Le Seigneur est avec toi, homme fort entre les hommes…» (Sermon 30).

L’épreuve de la toison (Jg 6 ,36-40)

Nous sommes ici en face d’un second récit de vocation. Gédéon a besoin d’un signe. En fait, Moïse en aura. Le bâton qui est dans sa main se transforme en serpent. Puis sa main fut couverte de lèpre et devint blanche comme neige (Ex 4, 1-9). En effet, la demande du signe est un moyen d’échapper à l’appel de Dieu. Cela est clair à propos de Moïse qui dira, à la fin, au Seigneur: «Envoie-le dire par qui tu voudras» (Ex 4, 13).

La demande du signe est un élément essentiel dans les récits de vocation, et cela jusque dans le Nouveau Testament. En effet, Zacharie demandera un signe. Et ce sera son mutisme jusqu’à la naissance de l’enfant. Puis son chant, «Le Benedictus» après avoir écrit le nom de l’enfant sur une tablette (Lc 1, 69). Quant à Marie qui n’a pas demandé de signe, elle reçoit un signe: «Et voici qu’Élisabeth, ta parente, est elle aussi enceinte d’un fils dans sa vieillesse… car rien n’est impossible à Dieu» (Lc 1, 36-37).

Gédéon demande, en fait, deux signes. Et cela bien qu’il fût défendu de tenter Dieu. En effet, il est dit dans Dt 6, 16: «Vous ne mettrez pas à l’épreuve le Seigneur votre Dieu…». Et Judith dira aux anciens: «Qui êtes-vous pour tenter Dieu…» (Jdt 8 ,12). Et n’était-ce pas un grand péché pour les Hébreux, dans le désert, quand ils se sont demandé: Est-ce que le Seigneur est parmi nous? On dirait qu’ils doutaient de sa présence.

Ce fut un peu l’attitude de Gédéon qui va tenter Dieu deux fois, en empruntant le langage d’Abraham (Gn 18, 30: Que le Seigneur ne s’irrite pas): «Gédéon dit à Dieu: Que ta colère ne s’enflamme pas contre moi» (Jg 6, 39). Comme le Seigneur est patient avec nous! Il a accepté d’être mis à l’épreuve deux fois par Gédéon. Deux fois il est dit: «Et il en fut ainsi». «Cette nuit-là, Dieu fit ainsi» (Jg 6 ,38-40)… Ce sera aussi son comportement devant Thomas qui douta de la résurrection, et demanda à voir «dans ses mains la marque des clous». Jésus dira à Thomas: «Avance ton doigt ici et regarde mes mains» (Jn 20, 22)

Cette scène fut commentée par Origène (Homélie 8 sur les Juges): «Et maintenant considérons l’explication de ce mystère». On a dit: «La toison de laine représentait le peuple d’Israël, tandis que le reste du sol figurait les nations païennes. La rosée qui tombe sur la toison, c’est la parole de Dieu donnée au seul peuple d’Israël. Sur la terre d’Israël, en effet, est advenue la rosée de la loi divine, tandis que toutes les autres nations souffraient de la soif, puisque pas une goutte d’eau de la Parole de Dieu ne venait les pénétrer. Le sens du second signe est inversé… Maintenant sur toute la surface de la terre, le peuple des nations païennes est rassemblé et en possession de la rosée divine. Contemple-le, pénétré de la rosée de Moïse, baigné par les oracles des prophètes verdoyant de l’ondée de l’Évangile et de l’Apôtre…»

La toison symbole de Marie

Telle fut l’explication d’Origène. Il passe du peuple d’Israël à qui est advenue la loi divine, et fut semblable à la toison qui seule reçut la rosée, aux nations païennes qui furent d’abord sans «ondée» jusqu’à l’acceptation de la foi. Elles furent inondées, tandis que le peuple d’Israël était à sec parce qu’il n’a pas cru à l’évangile.

Mais une autre explication se présente aussi, et elle nous intéresse de manière spéciale. La toison c’est la Vierge Marie. Elle est différente de tous les humains. Elle est la toute pure. Elle enfanta tout en étant vierge. Elle reçut le bonheur du ciel, dans sa perfection quand elle y monta corps et âme. Pour cela elle se distingue de ce qui est autour d’elle comme le toison par rapport au terrain qui l’entoure.

Nous écoutons d’abord Saint Bernard (Homélie 2): «Que signifie cette toison de Gédéon qui est tirée de la chair sans la blesser, sinon la chair prise en la Vierge sans détriment de la Virginité? Les cieux distillent la céleste rosée sur Marie, la plénitude de la divinité s’est répandue en elle, tellement que nous tous avons reçu de cette plénitude, sans laquelle nous ne sommes en réalité autre chose qu’une terre aride. Les paroles prophétiques du Psalmiste: «Il descendra comme la pluie sur la toison» (Ps 72, 6), s’appliquent merveilleusement à cette toison de Gédéon, et ces autres paroles qui suivent: Il descendra comme les gouttes de la rosée sur la terre, s’appliquent à l’aire imbibée de rosée. Car la rosée miraculeuse que Dieu réserve à son héritage, commence doucement, sans bruit de l’opération humaine, à descendre dans le sein virginal de Marie, ensuite elle est répandue par toute la terre par la bouche des prédicateurs…».

Et Adam Scot dit dans le sermon 16: «Celui, ô Marie, que vous avez voulu avoir seule, celui qui du sein du Père est venu à vous, est aussi, par vous, venu jusqu’à nous. Ainsi la rosée, qui ne fut d’abord que sur la toison, humecta ensuite l’aire entière; Dieu d’abord est venu en vous, ensuite il s’est donné à toutes les nations. Il est descendu premièrement sur la toison, après cela la terre entière l’a possédé; mais il s’est répandu sur la toison comme une abondante pluie, et sur la terre comme des gouttes. Jésus-Christ est d’abord venu de la Vierge avec la plénitude de la grâce; il a ensuite appelé les fidèles et ses élus pour y participer. Ainsi comme la rosée tomba en premier lieu sur la toison, en second lieu dans l’aire, de même le Seigneur… est venu à la Vierge, et par sa médiation il est venu à l’Église par la foi».

Quant à Saint Bonaventure, il dit dans le sermon 143: «Il descendra comme la pluie sur la toison. La Bienheureuse Vierge est comparée à une toison, parce qu’ainsi qu’on fait des vêtements de la toison, la chair de Jésus-Christ a été faite de la chair de la Vierge, pour être son vêtement. Saint Paul le dit aux Philippiens (2, 7): Le Christ Jésus est fait à la ressemblance des hommes; car c’est du sang très pur de la Vierge Marie que Jésus-Christ a pris sa chair. Et comme on prend à la brebis sa toison sans la blesser, ainsi Jésus-Christ est conçu de la Vierge sans l’homme, et elle l’enfante sans perdre sa virginité. Et comme la toison de Gédéon est pleine de rosée, ainsi Marie est remplie des dons de la grâce».

Pierre Chrysologue: «La céleste pluie descend survenant sur la toison vierge, et toute l’onde de la Divinité s’est cachée dans notre chair… jusqu’à se répandre en pluie salutaire…».

La toison est donc un symbole de Marie; la rosée qui descendit sur cette toison signifiait la descente du Verbe dans le sein de la très sainte Vierge Marie.

Conclusion

Ainsi fut notre approche du texte du livre des Juges à propos de Gédéon et de sa toison. Après une comparaison entre la vocation de ce juge et celle de Marie, nous avons pu faire une première lecture de la toison qui est un symbole de l’Église. Le peuple d’Israël reçoit d’abord la rosée; puis toutes les nations païennes. Une seconde lecture nous fit découvrir dans la toison le symbole de la Vierge Marie. Celle qui est unique dans sa conception comme dans son assomption, sera unique dans son rapport à Jésus-Christ. Elle lui donnera une chair de sa chair. Elle commença par recevoir les dons du salut, qui bientôt se déverseront sur la terre entière. Pour cela, elle aura une place unique dans le cœur de Dieu. Elle sera le chemin par où passe toute grâce après avoir conçu celui par qui sont venues à nous… «la grâce et la vérité» (Jn 1, 17).

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