Abraham et le monothéisme

Abraham et le monothéisme

Quand on parle d’Abraham au Proche-Orient, on pense avant tout à son monothéisme; c’est là que se rejoignent les trois religions nées dans ce monde oriental, à savoir le judaïsme, le christianisme et l’islam. Bien sûr, le Dieu des chrétiens n’est pas seulement le Dieu un, il est aussi le Dieu trine: père, Files et Saint-Esprit.
Ces trois traditions saluent en Abraham le modèle de l’homme de Dieu. Mais si leur père dans la foi les unit, il y a aussi tout ce qui les sépare. Dans les lignes qui suivent nous nous arrêterons à chacune de ces religions qui ont leurs approches politiques et religieuses spécifiques.
1. Le monde juif
Quand on fréquente les écrits juifs des environs de l’ère chrétienne, on remarque l’importance du patriarche pour sa postérité. Il est le modèle du juif pieux et le garant de l’existence du peuple éle. La formule: «Abraham notre père», exprime l’étroite relation qui unit le peuple à son père dans la foi. Ces traditions insistent sur la gloire et les vertus d’Abraham, louent sa perfection, rappellent ses œuvres. L’attitude du patriarche sert d’exemple à ses enfants qui sont invités à l’imiter. Enfin, le patriarche assure aux siens le salut, puisque ses mérites rejaillissent sur ceux qui suivent sa voie.
Abraham s’attaqua aux idoles, ce fut le premier pas dans la voie du monothéisme. En effet, la corruption régnait à l’époque où vivait ce patriarche: nous sommes au temps de Nermod et de la Tour de Babel. La tradition rapporte que sa naissance fut précédée par un phénomène d’ordre céleste attirant l’attention du souverain qui était lui-même astrologue. Le tyran craignant de perdre son trône exigea la mort des nouveaunés dans le pays; mais l’enfant de Térah échappa miraculeusement.
Abraham rejeta l’idolâtrie qui sévissait dans le pays et se tourna vers le vrai Dieu. Ici, nous sommes en présence de deux traditions. L’une d’elles affirme que le patriarche reconnut le Dieu unique dès son plus jeune âge, à trois ans ou même à l’âge d'un an. L’autre estime qu’Abraham a d’abord rendu un culte aux astres avant d’adorer, à quarante-huit ans, le maître de l’univers. Pour les uns, il a reçu dans sa propre famille l’enseignement de Noé et de Sem. Pour les autres, c’est en considérant le monde ou le ciel que le patriarche a reconnu l’erreur des idolâtres. Ce qui fait dire à certains qu’Abraham fut le premier converti avant de devenir le premier missionnaire. En effet, Abraham commença par renoncer à l’astrologie, puis lutta contre les idoles. Il les ridiculisa en utilisant une argumentation qu’on trouve dans le Second Isaïe. Son père était un serviteur de Nemrod et un fabricant d’idoles, mais Abraham ne le suivit pas. Bien au contraire, il poursuivit sa lutte contre l’idolâtrie et détruisit les statues des dieux. Reconnu et arrêté, il fut jeté au feu; mais il sortit sain et sauf de la fournaise, comme Daniel et ses amis. C’est ainsi que fut comprise la déclaration de Dieu: «Je suis le Seigneur qui t’ai fait sortir du feu des Chaldéens» (Gn 15, 7). En ce sens, la tradition juive présente le patriarche comme un être marqué d’un signe spécial dès avant sa naissance et dont rien ne put abattre le zèle pour la vraie religion.
Outre cet aspect de destruction des idoles, les docteurs juifs insistent tout particulièrement sur l’aspect positif de la démarche d’Abraham: son monothéisme et son élection. Ils rappellent ses vertus et ses épreuves, comme ils rappellent ses mérites pour sa postérité. Ils s’accordent en général pour proclamer qu’Abraham a été le premier homme à reconnaître Dieu. Puis ils énumèrent ses qualités qui sont au nombre de sept: son obéissance dont témoignent surtout le départ de Harran et le sacrifice d’Isaac; sa justice grâce à laquelle un certain nombre de justes demeureront en permanence au sein de son peuple; sa foi qui lui procure l’héritage de ce monde-ci et du monde à venir; son éducation, son hospitalité et enfin son activité missionnaire. La tradition juive relève encore qu’Abraham a connu dix épreuves: la première est le départ d’Our; la plus importante, l’aqedah d’Isaac. Enfin, on vante la sagesse d’Abraham, ses dons prophétiques, sa prière.
Tel est le portait d’Abraham selon la tradition rabbinique; celle-ci ne cesse d’exalter «le Père (notre père)», de le présenter comme le sauveur d’Israël et le garant de l’existence de l’univers; de montrer comment sa justice justifie sa postérité. Mais la grandeur unique qu’Abraham représente aux yeux des docteurs d’Israël est fondée non sur lui-même, mais sur une réalité qui le dépasse, celle de la Tora.
2. Le monde chrétien
Nous cherchons ici à connaître Abraham tel que nous le présente le Nouveau Testament. Il est l’un des personnages de l’Ancien Testament les plus cités dans la tradition apostolique. Son nom apparaît soixante-douze fois; Moïse, cité quatre-vingts fois, est le seul à le dépasser; quant à David, il n’est pas loin de lui avec cinquante-neuf mentions. Il faut d’ailleurs ajouter que, dans la plupart des cas, il n’est question de Moïse qu’à propos de la Tora dont il est l’auteur présumé, alors que le patriarche intervient en tant que personne historique, sa destinée jouant un rôle décisif à l’égard de ses descendants. Ainsi, Abraham apparaît-il de manière singulière dans le Nouveau Testament.
Chez Matthieu, on rencontre sept fois le nom d’Abraham: dans la généalogie de Jésus et la prédication du Baptiste, à propos du festin messianique et de la résurrection. luc insiste davantage sur le patriarche; il le nomme quinze fois, dont dix dans des textes qui lui sont propres, comme l’évangile de l’enfance et la parabole de Lazare et du reiche. Chez Jean, on compte onze mentions d’Abraham; elles se lisent toutes au chapitre 8.
Les Actes des Apôtres parlent du patriarche à sept reprises dans les discours, et notament dans celui d’Etienne. L’apôtre paul cite souvent Abraham, tout particulièrement en Romains et Galates au sujet surtout du problème de la justification. Enfin on rencontre dix fois le nom d’Abraham dans l’épître aux Hébreux et trois fois dans les épîtres catholiques.
Cette liste de citations montre d’une part l’importance du paatriarche pour les auteurs du Nouveau Testament, et les liens d’Abraham avec les chrétiens d’origine judéo-palestinienne. D’autre part, les indications relatives à Abraham semblent appartenir aux couches les plus anciennes du Nouveau Testament; ce qui nous met en relation avec les traditions juives contemporaines de Jésus ou de la primitive Eglise. En outre, comme Abraham est également cité dans des écrits liés au monde hellénistique comme Luc, Actes, Hébreux, on peut dire que nous sommes dans la ligne de la théologie paulinienne.
Ce que dit le Nouveau Testament sur Abraham est en parfait accord avec la tradition vétéro-testamentaire et juive. C’est que l’Eglise se sait en parfaite continuité avec l’Ancienne Alliance. Elle affirme ses liens avec le patriarche et se présente comme son héritière et sa continuatrice. Elle fait partie d’un plan de salut que Dieu a inauguré en Abraham, confirmé et réalisé dans le Christ; elle est à la fois la bénéficiaire et le témoin d’une promesse faite jadis au patriarche... et recourt tout naturellement aux Ecritures d’Israël pour se situer dans le cadre de l’histoire du salut.
Nous ne ferons pas ici l’exégèse de ces textes. Il nous suffit de savoir, par exemple, que l’épître de Jacques, qui traite de la foi et des œuvres, s’appuie tout particulièrement sur l’exemple d’Abraham. Quant à l’épître aux Hébreux, elle revient sur le thème de la persévérance dans la foi. Au chapitre 11 notament, l’auteur présente un raccourci de l’histoire; il présente un éloge des pères à la manière du livre du Siracide. Parmi ces gens dont parle l’épître, Abraham se trouve être l’un de ceux qui ont reçu un bon témoignage, et cela dans la ligne d’Abel, Hénoch, Noé; après lui, viennent Moïse, les juges, les rois, les prophètes. Abraham inaugure une nouvelle série d’exemples de croyants dont la vie est caractérisée par la foi.
Si l’on passe aux épîtres pauliniennes, on voit l’apôtre confronté au problème de la tradition abrahamique. Deux questions se posent à lui: quelle est la place exacte d’Abraham dans le dessein de Dieu en faveur de l’humanité? Quelle est la vraie postérité du patriarche?
Comment l’homme est-il sauvé? Par la foi en Christ et non par les œuvres de la loi mosaïque. Paul répond ainsi à ceux qui se fondent sur la circoncision. Puis il affirme que la postérité d’Abraham est constituée par tous ceux qui croient en Jésus Christ. par conséquent, Juifs et Païens peuvent également faire partie de la descendance du patriarche. Dans l’épître aux Galates, Paul insiste sur le lien étroit qui unit le Christ à Abraham, et il en déduit: être au Christ, c’est appartenir du même coup à la famille du patriarche. Dans l’épître aux Romains, il s’intéresse davantafe aux relations qui existent entre Abraham et les croyants; puis,       il insiste sur le rôle de père joué par Abraham en faveur des       croyants, comme sur les analogies entre la foi d’Abraham et la foi des chrétiens.
Diverses sont les interprétations que le Nouveau Testament présente du patriarche. Il est le modèle de l’obéissance: il s’agit de l’imiter. Quand on se réclame d’Abraham en faisant ses œuvres, on doit reconnaître dans sondescendant Jésus de Nazareth, le Christ envoyé par le Père pour accomplir ce qu’il a jadis promis au patriarche. Enfin, les textes insistent sur le rôle unique attribué à Abraham dans la révélation biblique. Dieu inaugure avec lui un nouveau chapitre de l’histoire du monde où l’humanité tout entière est appelée à vivre sous le signe de la promesse et de la foi.
3. Le monde musulman
La tradition juive suit les pas d’Abraham, surtout dans son monothéisme et sa pratique de la Loi. Le christianisme voit dans Jésus Christ l’accomplissement des promesses faites autrefois à Abraham. Ce qu’Abraham a inauguré, le Christ l’a accompli. Ce qui était en germe aux origines du premier peuple trouve son épanouissement dans le Christ en qui toutes les promesses de Dieu sont «oui». Qu’en est-t-il de l’islam vis-à-vis d’Abraham?
Youwakim Moubarak estime que l’islame confère à Abraham une place exceptionnelle, qui ne lui est donnée dans aucune autre religion sémitique. Dans le Coran, en particulier, le patriarche occupe la place la plus centrale. Aucun personnage biblique n’est nommé qutqnt qu’Abraham. Son nom apparaît soixante-dix-neuf fois dans le texte coranique: dans 25 sourates, 37 passages et 140 versets. Ces textes appartiennent à la période mekkoise (610-622) comme à la période médinoise (622-632).
Que remarque-t-on dans ces textes? Ce qu’on a déjà vu dans les textes juifs. Ainsi, la tradition musulmane se présente-t-elle en continuité avec le monde juif, par delà le monde chrétien. Deux éléments retiennent particulièrement l’attention. Le premier s’intéresse à la lutte d’Abraham contre l’idolâtrie, à la prédication monothéiste du patriarche, à la polémique contre les idoles, au geste iconoclaste d’Abraham et à sa condamnation. Le second élément est l’immolation d’Ismaël avec le consentement de celui-ci, à la suite d’un rêve.
Abraham reproche à son peuple de rendre un culte à des dieux incapables de l’entendre, en se contentant d’imiter les pratiques des ancêtres. Alors il confesse sa foi, ne voulant adorer que le Seigneur des mondes, qui l’a créé, le dirige, lui donne à manger et à boire, leguérit, le fait mourir er ressusciter.
Ici est rapportée une conversation entre Abraham et son père, d’après le Testament d’Abraham. Abraham adjure son père de quitter l’idolâtrie, mais en vain. Le patriarche décide alors de rompre avec sa famille, sans cesser pourtant d’intercéder pour son père. On a aussi un écho des disputes d’Abraham avec ses contemporains idolâtres; ayant été tournés en dérision, ils décident de condmner Abraham au supplice du feu. Mais Dieu a changé le feu en froideur et pour Abraham, ce ne fut pas la mort mais le salut.
Deux éléments, présents dans la pensée musulmane, se réclament des traditions juives. Le premier dit: en contemplant les astres, le patriarche a compris que ni la lune, ni le soleil ne pouvaient être associés au Seigneur de l’uivers. Le second parle d’Abraham comme de celui qui a surmonté les épreuves et que Dieu a choisi pour guide d’humanité. Il est le type du parfait croyant, le fondateur de l’islam, C’est ainsi qu’avec Ismaël,            il bâtit la Ka’aba, institua le pèlerinage en souvenir du sacrifice de son fils, et réclama à Dieu un apôtre qui sache à son tour enseigner les fidèles et leur lire l’Ecriture.
Nous conclus avec le père Moubarak: Dieu pré-connaît Abraham, son ami, qui se détourne du culte des astres pour n’adorer que Lui. Abraham prêche alors le Dieu unique à son pêre, à son peuple, à son roi et détruit les idoles. Il est jeté au feu, mais Dieu le délivre. Il ne cesse de prier pour son père et quitte les siens devant leurobstination à ne pas accepter son message. Il part en Terre sainte avec Lot. ...Et si l’on continue à lire les texte, on voit que Mahomer s’est reconnu en Abraham. Il a vu en lui en modèle et un précurseur, la réalisation historique achevée de sa vocation monothéiste, selon le mot du P. Moubarak. Oui, l’islam ne se présente pas comme une réligion nouvelle; il entend retourner aux sources du monothéisme primitif tel qu’il a été proclamé et vécu par Abraham.
Conclusion
En dépit de leur diversité, les commentaires juifs, chrétiens et musulmans se rencontrent sur certains points. Ils insistent tous sur l’importance d’Abraham pour leur propre tradition: le patriarche réalise le programme spirituel des juifs, des chrétiens et des musulmans. Il est présent de manière spéciale dans le judaïsme, dans l’Eglise et dans l’islam. En effet, les diverses lectures s’intéressent toutes à la foi d’Abraham et à sa soumission au Seigneur; elles attestent l’attitude du patriarche vis-à-vis de Dieu et se rejoignent finalement pour appeler Abraham, l’ami de Dieu.

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