L’Eglise Maronite

L’Eglise maronite

L’Eglise maronite se situe dans la grande tradition d’Antioche avec, à l’origine, le syriaque comme langue liturgique. On peut dire qu’elle a pris sa propre voie, tout comme l’Eglise syrienne a pris la sienne, au moment du concile de Chalcédoine (451) qui a parlé de deux natures dans l’unique personne du Christ. L’Eglise syrienne n’accepta pas les décisions de ce concile. On la qualifia alors de monophysite ainsi que l’Eglise arménienne, l’Eglise copte et bientôt l’Eglise éthiopienne. En fait, il s’agissait là d’une réaction aussi bien culturelle que politique. L’Eglise de Constantinople, qui allait devenir bientôt l’Eglise byzantine, imposait sa langue, le grec et sa manière de penser toute différente de celle du monde syriaque par exemple. En outre, ceux qui n’étaient pas de culture grecque craignaient de disparaître. par conséquent, ils cherchèrent à conserver leur autonomie. Les décisions prises au niveau culturel eurent des répercussions au niveau politique. Et au VIIIe siècle, on verra ces Eglises accueillir la poussée musulmane pour se libérer de  la tutelle de Byzance qui demeurait insupportable. Mais en fait, elles se libéraient pour connaître un autre joug qui allait réduire la chrétienté, disséminée sur un territoire s’étendant de la Turquie à l’Egypte, à des îlots dans l’immense mer musulmane. Beaucoup de chrétiens passèrent à l’islam pour différentes raisons. D’autres émigrèrent, et ce mouvement d’émigration n’a pas cessé depuis. Les chrétiens se sentent étrangers dans des pays où il n’y a pas de liberté religieuse et où la ségrégation dans ce domaine est omniprésente, même si elle est mitigée.
Une Eglise a pourtant réussi à se créetr une certaine autonomie politique: c’est l’Eglise maronite. Elle est appelée ainsi à cause d’un «fondateur» lointain, saint Maroun, qui fut en contact avec Jean Chrysostome et dont Théodoret parle comme d’un ermite vivant à proximité d’Antioche.
Elle resta fidèle à Chalcédoine et, pendant un temps, on l’appela melkite. Sa position lui valut d’être persécutée par la grande tradition syriaque qui percevait son attitude comme une trahison vis-à-vis de ce mouvement d’émancipation. Mais à cause du syriaque, sa langue, l’Eglise maronite subit également une pression venue de Byzance qui voulait l’uniformité, une uniformité recherchée aussi par l’Eglise de Rome, ce qui fit perdre à l’Orient sa richesse et par là son originalité dans la grande Eglise.
Déchirée entre le monde syriaque et le monde byzantin, l’Eglise maronite, originaire d’Antioche en Syrie et répandue jusqu’aux sources de l’Oronte, émigra au Liban par vagues successives. Elle s’implanta sut la montagne, donnant sa marque aux chrétiens qui étaient là, au moins du temps de Siméon le Stylite et de ses disciples. Désormais son destin allait s’identifier avec le destin de ce pays.
Fermée sur elle-même, elle vécut dans la pauvreté mais n’eut pas le malheur de perdre ses enfants comme ce fut le cas de chrétientés qui vivaient dans la plaine ou dans les villes. Au contraire, elle se développa grâce à une natalité galopante et à des conversions nombreuses.
Présente au Liban, depuis le Nord jusqu’au Sud, elle s’implanta en Palestine où ses enfants devinrent majoritairement latins su fait de cette pression appelée latinisation. Elle essaima même en Egypte où elle avaitun grand nombre de paroisses, depuis le Delta jusqu’au Caire et Alexandrie. Mais avec la révolution de Nasser, elle quitta l’Egypte pour le Canada ou l’Australie.
Elle devait se défendre tour à tour des Byzantins, des Fatimides, des Mamelouks (Egypte) et des Ottomans. A la fin de la Première Guerre mondiale, elle joua un rôle de premier plan dans la fondation du Grand Liban avec ses frontières que nous connaissons aujourd’hui, et elle opta pour la convivialité. Elle refusa un petit Liban où il n’y aurait que des chrétiens, bien que cette tentation soit toujours présente. Elle opta donc pour un Liban où vivraient côte à côte plusieurs communautés chrétiennes, musulmanes et juives. Ce qui revient aussi à partager le pouvoir dans un pays où chacun garde ses droits et se sent reponsable dans ses devoirs. Nul n’est un citoyen de seconde zone à cause de sa religion. C’est le respect total des croyances et des libertés religieuses, chose inconnue en Orient.
L’Eglise maronite s’ouvrit à l’Occident avec les croisades, à partir de la fin du XIe siècle. Nombreux furent se enfants qui accompagnèrent les coisés durant leur retraite à Chypre, à Malte ou ailleurs. En 1570, beucoup de maronites furent massacrés à Chypre par les ottomans qui reprirent l’île.
Puis vint le temps des relations avec Rome et de la fondation du Collège maronite romain en 1584, sous le pontificat de Grégoire XIII. Ce fut l’occasion d’un véritable essor. Des savants maronites se rendirent dans les grandes capitales. Ils jouèrent un rôle de premier plan dans l’élaboration de la Polyglotte de paris au XVIIe siècle et à la Bibliothèque vaticane, sans compter les différentes chaires qu’ils occupèrent, de Lisbonne et Madrid jusqu’à Paris (Collège de France) et Vienne.
Ensuite, il y eut la réforme liturgique. La grande «traduction» arabe de la Bible fut imprimée à Rome en 1671 (avec le texte latin en face). Pendant deux siècles, ce fut l’Eglise anglicane, dans sa mission d’Orient, qui se chargea du travail d’édition. C’est l’époque où furent traduites des œuvres occidentales, dont les commentaires de Cornelius à Lapide pour ce qui est de la Bible. Cela dit, on peut affirmer que l’Orient a arrêté la recherche biblique au Ve siècle; ce qui a paru depuis étant de l’ordre de la répétition ou de la compilation sans originalité. Mais aujourd’hui, le climat commence à changer.
L’Eglise maronite vécut un synode important en 1736. Elle essaya de mettre en pratique les décisions du concile de Trente pour la fondation des diocèses, la création des séminaires, la réforme de la vie monastique. Elle eut du mal à faire respecter son originalité face à un pouvoir romain qui voulait éliminer les différences et faire marcher les Eglises d’Orient au même pas que l’Eglise d’Occident, en l’occurrence l’Eglise de Rome.
Cette Eglise profita d’une autre richesse, celle des «missionnaires» venus d’Europe. Ils fondèrent des écoles, travaillèrent à la formation du clergé, publièrent de livres bibliques ou théologiques. Comme ils jouèrent un rôle dans la création des différentes Eglises uniates, aidés d’ailleurs par les maronites surtout à Alep.
A présent, l’Eglise maronite a son centre au Liban où réside son patriarche. Il lui reste quelques fidèles en Syrie, en Egypte et en Palestine. Nombre de ses enfants ont commencé à émigrer au XIXe siècle; il y eut une autre vague d’émigration avec la première Guerre mondiale et la famine qui sévit alors. Mais depuis, l’émigration n’a pas cessé, surtout avec la guerre du Liban qui dura près de quinze ans et modifia, malheureusement, la carte démographique du pays. Avant 1975, les maronites étaient implantés partout au Liban et constituaient un élément de cohésion dans les villages comme dans les quartiers des villes. Mais ils ont été délogés de zones entières et regroupés dans le centre du pays. Ce qui est dommageable pour la convivialité et le témoignage chrétien dans le monde musulman.
Aujourd’hui, l’Eglise maronite au Liban a ses universités, ses écoles, ses hôpitaux... Elle connaît un essor au niveau de la formation religieuse en général, et biblique en particulier, comme les autres Eglises catholiques. Mais elle reste tiraillée entre un Occident qui l’ouvre au monde, mais risque de lui faire perdre son identité culturelle, et un Orient où elle doit jouer un rôle qui se situe dans le prolongement de l’acte posé par l’évêque Jean d’Antioche quand il fit traduire la Bible en arabe à l’époque de la conquête de la Syrie par les muslumans. Mais cet Orient risque de l’étouffer, lui fait peur, la pousse à partir vers d’autres rivages.
La présence maronite au Liban a été une force pour tous les chrétiens d’Orient. Mais si cette Eglise a peur, si elle n’arrive pas à regarder vers l’avenir et à accomplir la mission que le Seigneur lui a confiée, les chrétientés orientales risquent de disparaître. Et le nom du Christ sera absent de la terre qu’ont foulée ses pieds. Vue pessimiste s’il en est, dans ce contexte d’après-guerre que connaît le Liban. Mais les germes de résurrection sont là; et après une chute, la remontée peut s’amorcer sur des bases solides; les chrétiens (et pas seulement les maronites) ne peuvent en rester à un niveau qui ne dépasse pas le manger, le boire et la vie facile, mais ils sont appelés à s’accrocher à leur terre, à leur pays, et à ne pas oublier qu’ils sont le levain dans la pâte et le sel de terre. Ils sont le «reste», un reste qui peut être le point de départ d’un nouveau peuple, comme disait le prophète Isaïe dans sa vision inaugurale.

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