Ibn At-Tayyib et son commentaire la Genèse

Ibn At-Tayyib et son commentaire la Genèse

«J’avais vu que les sciences de la sainte Église étaient tombées dans l’oubli et qu’il n’y en avait plus un seul parmi les prêtres plus âgés qui ouvrît encore un livre, qu’on ne lisait plus les commentaires... j’ai donc décidé de rassembler tous mes commentaires sur les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament en un traité en arabe»(1).

C’est en ces mots que se présente le prologue du «Paradis de la Chrétienté» dont le «Commentaire sur la Genèse» constitue le début; il est composé par le «vieillard glorieux et incomparable, le prêtre irréprochable Abu? I-Farað cAbd Allâh Ibn at/-T5ayyib»(2).

Ce secrétaire du Catholicos Élie 1er vécut à Baghdad sous les califes Al-Qâdir (991-1031) et al-Qâ’im (1031-1075) de la dynastie des Bouwayhides. Médecin et professeur à l’hôpital(3) il fut aussi grand philosophe. Mais il fut avant tout un prêtre qui eut à cœur les célébrations liturgiques bien faites(4) et qui porta le souci de son Église(5). Pour cela, il écrivit dans le domaine dogmatique(6), éthique et canonique(7). Mais il s’illustra surtout par son œuvre exégétique. Dans le Prologue au «Paradis de la Chrétienté», il cite un «Commentaire sur l’Évangile»(8), un «Grand commentaire sur le livre des Psaumes»(9), et «introduction aux Epîtres»; enfin, il rassembla ses commentaires sur les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament en arabe(10). Nous mentionnons aussi la traduction en arabe du «Diatessaron» de Tatien(11).

Mais notre propos s’arrête sur le «Livre du Paradis de la Chrétienté» et plus spécialement sur le «Commentaire de la Genèse» tel qu’il fut édité et traduit par J. C. J. Sanders, et publié à Louvain en 1967(12).

I. LIVRE DU PARADIS DE LA CHRÉTIRENTÉ

C’est un livre(13) qui commente toute la Bible, Ancien et Nouveau Testament. Ibn at/-T5ayyib nous en offre un résumé juste après le Prologue sous le titre Moïse. Il présente alors «la liste de ce qui se trouve dans ce livre»(14): les cinq livres de la Loi (ce qu’on appelle le Pentateuque), les Sessions (Josué, Juges, Samuel, Rois, Sagesse. Ecclésiaste, Cantique, Ruth, Job. Ben Sira), le livre des Prophètes (Isaïe, les Douze, Jérémie, Ezéchiel, Daniel). Puis viennent des questions sur l’Ancien Testament et le Nouveau, des questions abrégées et difficiles de l’Ancien et du Nouveau (Testament), d’autres questions abrégées et très difficiles de l’Ancien Testament, des questions du Nouveau Testament, des commentaires sur les passages obscurs du livre des Prophètes, les énigmes du livre de Job.

Après cela, le livre présente des scolies bibliques et des questions extrabibliques ou ayant un rapport plus ou moins lointain avec le Bible: Traité sur le jeûne, la prière, l’aumône et les vœux... Pourquoi les pieux de l’Ancien teatament mangeaient-ils viande mais ne buvaient pas de vin? Résumé des réponses sur le livre de Josué bar Noun. Scolies sur les Actes, suivies de celles sur les Epîtres... Pourquoi les chrétiens doivent-ils appeler Dieu Père? Enfin, des scolies sur l’Apôtre et des scolies sur David.

Matière si abondante qui fut justement appelée «le plus grand recueil exégétique de toute la littérature arabe chrétienne»(15). Quant au but de l’auteur, sauver des commentaires syriaques qui ont failli se perdre à cause de l’ignorance des gens (ou des prêtres) qui ne savent plus «quel savant avait composé un ouvrage»(16). Pour cela, Ibn at/-T5ayyib offre de ces livres une sélection arabe où on sent encore l’odeur du syriaque.

Quelle était la méthode de Ibn at/-T5ayyib dans la rédaction de son «Paradis de la Chrétienté»? Nous pouvons dire d’ores et déjà que nous n’avons pas à attendre une œuvre originale. En fait, il s’agit d’une compilation comme il y en eut tant dans le monde syriaque. Ibn at/-T5ayyib traduit le texte complet du syriaque ou le résume quelquefois; et cela est clair quand on compare surtout son «Commentaire sur la Genèse» avec celui d’Isodad de Merv(17) dont il s’inspire en maints endroits. Il prend son point de départ dans un verset qu’il explique de manière littérale à la manière de l’Ecole d’Antioche: il décrit, il développe les pensées de chaque verset dans un sens moral en partie et il n’oublie pas quelquefois d’en donner l’aspect historique. Normalement, il applique le texte aux personnages de la Bible ou à l’histoire d’Israël. Cela est clair dans les Bénédictions de Jacob à ses fils (Gn 49), mais aussi dans les Psaumes(18). rarement, nous avons le sens messianique(19). En cela, nous retrouvons les commentateurs syriaques qui avaient pour maîtres Théodore de Mopsueste ou Théodore de Cyr dont les «Questiones» resteront une source d’inspiration pour Ibn at/-T5ayyib et pour d’autres.

II. LE COMMENTAIRE SUR LA GENÈSE

Ce texte publié dans le Corpus de Louvain se présente comme un commentaire du texte biblique dans ses principaux versets pour les trois premiers chapitres(20); mais il sera plus rapide pour les autres chapitres. Il est divisé en sections (is%h$a,h du syriaque s%h$ôhô) qui ne correspondent pas aux chapitres que nous trouvons dans nos divisions modernes, ni à ce que nous pratiquons dans la liturgie. La première section va de Gn 1,1 à 2,8; la seconde de 2,8 à 3,20; la troisième section de 3,20 à 5,24; la quatrième section de 5,22 à 7,11. Cette division de la Genèse en trente-quatre sections est usuelle chez les Syriens et visibles dans les commentaires édités jusqu’à présent(21). Mais elle est factice puisque la quatrième section par exemple, parle du déluge et s’arrête en plein récit laissant à la cinquième section (Gn 7,11-9, 3) le soin de le poursuivre sans le terminer.

Une première lecture du texte de ce commentaire nous fait découvrir les nombreux syriacismes qui émaillent le texte. N’oublions pas que nous sommes au début du onzième siècle. Si les auteurs syriaques ont commencé à écrire en arabe, la prédominance de la langue arabe dans la production littéraire syriaque ne s’affirmera définitivement qu’au dixième siècle(22). Ce phénomène de l’influence de la langue syriaque sur Ibn At/-T5ayyib a été remarqué par le père Marmardji dans l’étude du Diatessaron. Il présente cela comme la conséquence d’une traduction servilement littérale(23). Relevons, nous aussi, quelques expressions syriaques glanées au hasard de notre lecture du «Commentaire sur la Genèse». L’interprète est le mgašqan au lieu du mufassir comme cela se dit en arabe(24). Ibn at/-T5ayyib cite le texte de l’évangile (Mt 10,38): «Qui ne porte sa croix sur son épaule et ne me suit n’est pas digne de moi». L’arabe porte yas-tah$iqqali qui est une expression typiquement syriaque avec le «l» du complément direct, alors que la forme arabe correcte se dit yastah$iqqani(25). Il en est de même de l’expression wa ðabala Allâhu li-Âdam: Dieu forma Adam; mais le «l» est le signe du complément direct en syriaque alors que l’arabe correct dirait: «ðabala Âdam» sans le «l»(26).

A cause de ces syriacismes, certains auteurs ont mis en doute chez Ibn at-Tayyid la connaissance de l’arabe classique(27). Le père Marmardji est parti de cette remarque pour cintester l’attribution du texte arabe du Diatessaron à Ibn at/-T5ayyib. Il dit: «Comment pourrions-nous attribuer cette piètre traduction à un homme que l’histoire nous présente comme un illustre savant qui a écrit de nombreux ouvrages dont la plupart en arabe?»(28) Et il poursuit: «Il nous répugne donc d’attribuer à Ibn at/-T5ayyib cette tradution du Diatessaron telle qu’elle se présente à nous pleine de faute». Et il conclut: «Si cette version est due à sa plume (comme le disent les manuscrits) il faut admettre qu’elle a été altérée par des copistes ou des manipulations»(29).

Nous pouvons dire la même chose du «Commentaire sur la Genèse» dont l’attribution à Ibn at/-T5ayyib est contestée elle aussi. Comment accepter qu’Ibn at/-T5ayyib soit ce piètre écrivain que le patriarche a chargé de la censure du travail d’Élie de Nisibe, la maison des chrétiens, en matière de grammaire de lexicographie et de rhétorique?(30) Ici, nous retrouvons l’opinion du père Samir qui considère les fautes contenues dans les textes de ces grandsécrivains imputables aux copistes et non aux écrivains eux-mêmes(31). En ce sens, Y. Manqarius a vu la faiblesse du style d’Ibn at-Tayyib dans les œuvres qu’il a éditées et il a essayé de les corriger sans prétendre avoir changé le texte. Quant au père Samir, il présente un texte d’ibn at/-T5ayyib «Sur la nécessité de la science» dans un rare arabe classique(32). Il en est de même de G. Troupeau qui nous offre un texte sur «l’Unité et la Trinité»(33). Un coup d’œil jeté sur le «Droit de la Chrétienté» semble confirmer notre point de vue pour ce qui est de la correction du texte initial d’Ibn at/-T5ayyib. Il s’agirait alors de présenter simplement le texte en retrouvant, si possible, «le texte même de l’auteur par delà celui des copistes»(34). De ce point de vue, le «Commentaire sur la Genèse» gagnerait à être récrit pour être lisible par le commun des gens et non pas transcrit tel que nous le trouvons dans les deux manuscrits sur lesquels s’est basé l’éditeur.

Une secondelecture du «Commentaire sur la Genèse» d’Ibn at/-T5ayyib montre que cet auteur est dans la ligne de toute une tradition syriaque que l’on retrouve principalement dans Išocdâd de Merv, comme nous l’avons déjà dit. En ce sens, qui compare les deux textes remarque que le commentaire d’Išocdâd est la source principale et même vraisemblablement la source unique d’Ibn at/-T5ayyib, si l’on prend le terme source dans son sens strict. Cela ne veut pas dire que l’auteur arabe n’ait pas lu autre chose qu’Išocdâd(35). En effet, il cite Ephrem(36), Théodore de Mopsueste(37), Babaï le Perse(38), Basile(39), H6enana(40), Narsaï(41); il fait allusion à Théodore Bar Koni(42) et cite son texte sans le nommer.

Mais comme on l’a dit, Išocdâd reste la source principale d’Ibn at/-T5ayyib et il serait intéressant de mettre en parallèle les deux textes pour illustrer par un exemple le passage en arabe d’une source syriaque. Sanders le fait dans sa traduction et il constate que quelques quatre-vingt pour cent d’Ibn at/-T5ayyib ne copie pas servilement son devancier, mais il l’utilise librement pour l’adapter à son milieu; en somme, il fait de la haute vulgarisation.

Voilà un chiffre de comparaison: la première section (Gn 1,1-2, 8) fait seige pages dans Ibn at/-T5ayyib(43) et la deuxième section (Gn 2,8-3, 20) fait également seize pages(44), tandis que dans Išocdâd elles dont respectivement cinquante(45) et trente-cinq pages(46). Ibn at/-T5ayyib(47) expédie rapidement Gn 1,1 en donnant les deux significations du mot «commencement», dans un ordre opposé à celui d’Išocdâd; tandis que celui-ci s’attarde sur le mot br’šît et yat, qui ont une longue histoire chez les commentateurs syriaques(48). et pour donner un exemple plus précis, lisons Išocdâd: «C’est pourquoi, voulant montrer qu’avant le ciel et la terre il n’y avait absolument rien excepté le Créateur, que c’est par eux que Dieu a commencé à créer et que ce sont eux le fondement de tous les êtres, étant la réalité et la plénitude de l’espace compact, le bienheureux Moïse a très bien dit: Au commencement Dieu créa...»(49) Tout ce paragraphe, Ibn at/-T5ayyib l’expédie en une petite phrase: Il «met en évidence que les deux éléments étaient nouveaux et que Lui préexistait»(50).

Une deuxième différence entre Išocdâd et Ibn at/-T5ayyib réside au niveau de l’utilisation du texte biblique qui reste essentiel pour l’un et pour l’autre. Išocdâd aborde le texte en exégète qui se consacre à l’explication des mots et à l’interprétation de la pensée de l’auteur sacré. Mais Ibn at/-T5ayyib apparaît plutôt comme un moraliste soucieux avant tout d’appuyer son enseigenement sur le livre saint(51). En fait, il suppose résolue la question de l’explication du texte biblique et il va droit au sens qu’il propose «aux prêtres»(52) à qui il écrit. Lisons un texte d’Ibn at/-T5ayyib: «La parole de Dieu au sujet d’Adam «il est devenu comme l’un des nôtres» est une moquerie. Ceci veut dire: Si ce que Satan lui a montré était la vérité, il serait devenu comme l’un des nôtres, Dieu, mais en fait il n’est pas devenu Dieu et la gloire qui le revêtait a disparu. Il a contemplé sa tristesse, sa misère et son défaut; et comme il s’est éloigné de son désir de devenir Dieu, il est devenu un homme avec des défauts et des besoins»(53). Ce commentaire de Gn 3,22a s’engage dans un sens moral qui ne se retrouve pas chez Išocdâd(54).

Et je laisse au lecteur de comparer le commentaire de Gn 4,15 chez Išocdâd et chez Ibn at/-T5ayyib. Voilà comment le premier explique le texte: «Caïn sera puni sept fois, savoir, et c’est pourquoi son châtiment durera sept génératyions, et alors (seulement), il sera tué conformément à son péché qui réunit sept aspects: premièrement, parce qu’il a tué; deuxièment, parce qu’il a tué le premier; troisièmement, parce qu’il a tué un frère; quatrièmement, parce qu’il a tué quelqu’un de meilleur que lui; cinquièmement, parce qu’il n’a pas accepté le reproche; sixièmement, parce qu’après avoir tué, il n’a pas fait pénitence; septièmement, parce qu’il a osé contredire Dieu et lui mentir en disant: je ne sais pas»(55). Ibn at/-T5ayyib se contente de dégager rapidement la leçon morale. «Caïn sera puni(56) sept fois veut dire que sept générations resteront soumises à la vengeance et qu’alors il mourra. Dieu a mis un signe sur Caïn afin d’empêcher celui qui le trouverait de le tuer; ce signe devrait le garder et protéger; tout cela afin qu’il restât un objet permanent de crainte pour les générations à venir»(57).

III. L’EXÉGÈSE D’IBN AT-TAYYIB

Ibn at-Tayyib ne fait pas école à part. Il entre dans la ligne de l’exégèse nestorienne dont l’initiateur lointain fut Théodore de Mopsueste(58). Ibn at-Tayyib n’a pas écrit une théorie de l’exégèse, mais il a suivi, semble-t-il, ce que Išocdâd a dit dans sa préface aux Psaumes(59). Là Išocdâd expose ses principes d’exégèse. Il y oppose l’exégèse allégorique «qui supprime la réalité pour mettre autre chose à la place», et l’exégèse historique «qui explique les choses telles qu’elles sont». La première est inventée par l’impie Origène d’Alexandrie; elle conduit «à l’impiété, au blasphème et au mensonge», l’autre «est conforme à la vérité et à la foi»(60).

Arrêtons-nous d’abord à l’exégèse historique dans la ligne de l’École d’Antioche. Dans cette ligne Ibn at-Tayyib reconnaît à tous les récits de la Genèse une signification générale et historique qui est celle qu’ils avaient pour ceux qui les ont vécus. Chaque élément, chaque détail même du texte sacré est pris dans son sens matériel. Les eaux partout où l’auteur sacré en parle. Ibn at-Tayyib dit: «L’eau qui est au-dessus du firmament sert d’aide au firmament, qui serait brûlé par la chaleur des luminaires s’il n’était refroidi par l’eau au-dessus»(61). Puis Ibn at-Tayyib refuse en passant l’interprétation d’Origène qui «prétend que l’eau au-dessus du firmament désigne les puissances spirituelles»(62). Lisons encore ce que dit notre commentaire sur le firmament. «Le firmament est comme une tente déployée. Il a fait bleue la couleur du firmament pour le profit de la vue (des Yeux); aussi, si elle était très blanche, la vue serait éblouie, tandis que la couleur bleue est excellente pour la vue»(63).

Et les personnages bibliques? Ils ont leur individualité historique qu’il faut leur laisser. Melchisédech reçut la bénédiction de Sem: il la passa à Abraham(64); Melchisédech, roi de Salem sortit avec ses alliés royaux. Sa mère s’appelait Salathiel et son père Héraqiem; il était cananéen(65). Voilà le personnage campé. Mais il y a qui l’ont dit fils de Dieu; ce n’est pas vrai, parce qu’en réalité il n’était que la ressemblance du fils de Dieu(66). Cela ne veut pas dire qu’Ibn at-Tayyib ne tire pas un sens spirituel du texte, et Melchisédeck sera une figure messianique, comme nous le verrons. Pour revenir à Gn 3, Ibn at-Tayyib dit: «Il y en a qui disent que le serpent avait autrefois la figure d’un chameau, quadrupède, et qu’il marchait sur son ventre. Mais, s’ils avaient compris que la malédiction a été portée contre Satan et non pas contre le serpent, ils n’auraient pas prétendu pareille chose»(67). On voit par cet exemple comment notre auteur recherche le sens spirituel qui se dégage du texte.

Ainsi, nous remarquons que l’explication du sens littéral n’interdit pas une recherche de sens qui dépasse l’acception obvie des mots. Cela nous amène à parler des prophéties que contient le texte biblique. Voilà quelques exemples. Après le péché d’Adam et d’Eve vint la punition non parce qu’ils avaient mangé du fruit, mais parce qu’ils avaient transgressé le précepte. Ce fait, Ibn at-T5yyib le rapproche des martyrs qui se sont abstenus des idolothytes non parce que c’était des aliments, mais parce qu’ils étaient offerts aux idoles(68).

Ce n’est là qu’une application spirituelle à l’histoire sainte et à celle de l’Église; mais il y aura aussi une application au Messie. Ibn at-Tayyib dit: «Adam et Eve, ayant transgressé la loi à la sixième heure, Notre-Seigneur les délivra tous deux sur la croix à la sixième heure»(69). Cependant l’auteur refuse à cette occasion deux interprétations allégoriques. «On a prétendu que le Messie avait été crucifié sur le bois d’un figuier parce qu’Adam et Eve en avaient mangé (le fruit), mais ceci est insensé. D’autres prétendent qu’Adam avait mangé un épi de blé et que pour ce motif Notre Seigneur livra son corps aux disciples dans le pain, mais c’est regrettable qu’ils aient parlé d’un épi de blé, car ceci est une plante et non un arbre»(70).

La bénédiction de Sem et la malédiction de Cham se présentent aussi comme une prophétie et reçoivent de ce fait une double interprétation matérielle et spirituelle. Après avoir dit que Japhet et Sem ont reçu une bénédiction matérielle, Ibn at Tayyib continue: «L’apparition du Sauveur et la descente de Dieu dans la tente de Sem, était conforme aux promesses qu’il avait faites autrefois et qui (devaient être réalisées) par l’union dans le Messie à la fin... Japhet était l’aîné, mais Sem était présenté comme premier-né, parce que le Messie naîtrait de lui»(71).

Il est une autre bénédiction, très importante, celle de Jacob à ses fils (Gn 49). Les paroles sont entendues en fonction de l’avenir glorieux de leurs tribus respectives. Dan est comparé au serpent, parce que Samson en est provenu. Gad est parti avec quarante mille hommes précédant les six cent mille, et ils l’ont tous suivi. Nephtali avait une belle langue pour ses messages et il apportait de bonnes nouvelles. Seule la bénédiction de Juda reçoit une double interprétation matérielle et messianique. Ibn at-Tayyib revient à l’histoire de Juda depuis qu’il a sauvé Joseph, jusqu’à son aventure avec Thamar et il aboutit à parler des rois sortis de lui. Ceci pour l’interprétation historique; l’interprétation messianique apparaît avec Gn 49, 10-12. Voilà ce que dit le commentaire: «Il dit: Jusqu’à la venue de celui à qui il appartient, c’est-à-dire le Messie au sujet de qui les prophéties ont été prononcées. Les peuples espèreront en lui, car il est le sommet de leur attente et parce qu’il les réunit dans l’accomplissement de ces prophéties. Qu’il liera à la vigne son ânesse et au cep son ânon signifie: il attachera à sa personne les peuples qui étaient rebelles comme des ânons. Il les a appelés sa vigne, car c’est à partir d’elle (la vigne) qu’il fait boire la vie. Il les fera reposer dans le droit et la justice. Lors de son entrée à Jérusalem, il était assis sur un âne et ânon, le petit d’une ânesse. Il blanchira son vêtement dans le vin; son vêtement, signifie ici son humanité et la blancheur, sa résurrection. Le vin signifie la croix sur laquelle il fut transpercé et d’où il fit couler le sang et l’eau qui (jaillirent) sur son corps lors de la transfixion»(72).

Est-on là encore au niveau de l’application des prophéties? N’est-ce pas qu’on a abouti à l’exégèse allégorique si décriée par les «Antiochiens»? En parlant de cette sorte d’exégèse, je clorerai ma communication. Quel est le principe de l’exégèse allégorique? Il y a un principe reçu depuis toujours dans l’Église que Dieu a disposé l’Ancien Testament comme une préfiguration du Nouveau. Nombre de détails de l’histoire d’Israël sont des représentations anticipées des réalités de l’économie nouvelle(73). Ainsi nous lisons dans Ibn at-Tayyib: «Nous avons dit que le sacrifice d’Abraham quand il sacrifiait les animaux était la figure de l’Ancien Testament; Mais quand il sacrifia son fils, il préfigurait le Nouveau Testament dans lequel Dieu a sauvé le monde par son Fils»(74).

Melchisédech représente le Christ prêtre. On lit en effet: «Raison de son sacerdoce: pour qu’il tienne la figure sans pareil dans le passé du sacerdoce de Notre Seigneur... Si celui qui préfigurait le Messie a béni dans le patriarche... Lévi, combien plus est-il convenable que le Messie qui était la réalité (al-haqîqah), non pas la figure (al-mitâl) bénisse le monde entier»(75).

Et le sacrifice d’Isaac annonce l’immolation du Christ. Il y est dit: «Par le mot «mon Fils», Dieu a mis le sacrifice en relation avec le Christ. L’endroit du sacrifice était celui où Salomon édifia le temple, le lieu du tombeau d’Adam où fut crucifié le Messie. Le bois que porta Isaac préfigure le bois que porta le Messie sur son épaule; l’arbre à côté duquel était le bélier préfigure (mitâl) le bois de la croix»(76).

On pourrait mentionner enfin une lecture chrétienne du texte de l”Ancien Testament et un développement sur la Trinité. La parole de Dieu «Adam est devenu l’un des nôtres» signifie les trois personnes(77), dit Ibn at-Tayyib mais il avait proposé à l’occasion de la création de l’homme (Gn 1,26-27): Sa parole: Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance se rapporte à Adam. L’expression faisons montre une pluralité et cela désigne (ramz) les personnes (de la Trinité). Lorsqu’il créa Adam, le Père fit connaître son Fils; et lorsqu’il renouvela Adam, le Fils fit connaître son Père»(78).

Là, Ibn at-Tayyib part du texte de l’AncienTeatament pour parler de la Trinité, de l’action du Père et du Fils, Trouve-t-il dans la Genèse une allusion à l’Esprit spécialement à propos de la parole: L’esprit de Dieu planait sur les eaux? Non, car il se démarque ici de Basile(79) et il suit la démonstration d’Éphrem(80) et de Théodore de Mopsueste, tel que cité par Išocdâd(81). Il dit: «l’Esprit Saint n’était pas encore à cause de la stabilité de sa substance et parce qu’il est vent quand il meut»(82).

Telles sont quelques idées rapidement brossées sur Ibn at-Tayyib et son Commentaire sur la Genèse. Cet auteur de tradition nestorienne nous a livré en

 

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