Protologie et Eschatologie

Protologie et Eschatologie dans l’œuvre de St. Ephrem

Le 2 juin 1979, le Père Paul Feghali soutenait une thèse de Doctorat à l’Université de la Sorbonne, paris iv, thèse qui a pour titre: Protologie et Eschatologie dans l’Oeuvre de St. Ephrem. Cette thèse, nous l’espérons, sera bientôt publiée. Voici la présentation que le P. Feghali donna de la thèse lors de la soutenance.

L’objet de la Thèse

Dans le discours théologique, quand on parle de l’histoire du salut, on voudrait montrer les étapes suivies par Dieu pour ramener l’homme du péché à la grâce, de la mort à la vie et pour refaire de l’humanité déchue le nouveau peuple de Dieu.

Dans cette histoire, la protologie (Proto = premier) considère les débuts du monde et de l’homme et l’eschatologie (Eschatos = dernier) en considère la fin. Le développement de cette histoire se présente comme suit dans l’Oeuvre d’Ephrem.

Le Dieu Créateur, par un signe et une parole de Sa volonté, crée un monde beau, bon et ordonné qu’il organise pour le bonheur de l’homme. Celui-ci, créé à l’image de Dieu, revêtu de grandeur et de gloire, avait la promesse de l’immortalité s’il restait fidèle. Mais la jalousie de Satan le porta au péché, ce qui lui fit perdre les biens qu’il avait reçus et le priva de la promesse de vie éternelle qui l’attendait. Sortant vaincu d’un combat contre les forces du mal, l’homme est chassé du Paradis et châtié par Dieu; à cause de lui, la terre est maudite et le mal se propage dans le monde jusqu’à la génération du déluge qui voit la destruction du monde dont Dieu sauvera un reste juste. Tel est un aspect de l’histoire, celui du péché. Le second aspect sera celui du salut.

Ce monde où règnent le péché et Satan, où dominent la Mort et le Schéol, va être repris par le Christ qui est le nouvel Adam et le Premier-Né de toutes créatures. par sa mort, Notre-Seigneur vainc la mort; par sa descente au schéol, il assure la délivrance de l’homme; par sa résurrection, il ressuscite les corps et renouvelle l’univers. Ayant révêtu le corps d’Adam, il rend à l’homme sa première gloire et restaure en lui l’image de Dieu qui avait vieilli, en attendant qu’il le ramène au paradis qui lui était destiné depuis les origines.

Genèse et Méthode

Le point de départ de ma recherche dans l’Oeuvre d’Ephrem fut biblique. D’abord une traduction de son commentaire sur l’Exode avec une Introduction en vue du Diplôme de Langues Orientales à l’Institut Catholique de Paris; puis l’étude du personnage de Moïse, en vue du Diplôme d’Etudes Bibliques au même Institut; enfin un approfondissement du Commentaire sur la genèse décida de mon choix et des grandes lignes de mon sujet.

Le travail fut double: Traduction des textes et organisation de la synthèse. En effet, à part le Commentaire sur le Diatessaron (ou quatre Evangiles), traduit par le Père Leloir, les Hymnes sur le paradis, traduites par les pp. Lavenant-graffin, et les discours de Nicomédie traduits par Renoux, les Oeuvres d’Ephrem n’existent pas en Français. pour cela, je fus contraint de traduire le Commentaire sur la Genèse, les Chants de Nisible, les Hymnes sur la Pâque, sans compter de larges extraits de l’ensemble de l’Oeuvre.

Après la tradition vient le travail de la composition. L’étude du vocabulaire m’a d’abord retenu pour dégager le réalisme des images, la beauté de la forme et la richesse de la pensée; elle me poussa à des rapprochements - que j’ai limités volontairement avec d’autres langues telles que l’arabe, l’arméen, le grec et l’hébreu. Cette même étude m’a amené ensuite à dégager l’apport biblique qui est la principale source d’inspiration d’Ephrem. Si pour l’étude linguistique, j’étais favorisé spécialement par le Thesaurus syriacus de Payne Smith, pour l’étude biblique, le travail n’était pas facilité. En l’absence d’une concordance complète de la Bible en Langue Syriaque, j’ai essayé de créer ma propre concordance, en m’aidant surtout des concordances hébraïques et grecques et de ce qui existe en Syriaque, comme la concordance du Psautier syrique de Sprenger ou le Lexicon Syriacon Concordantiae de Schaaf édité à Leyden en 1709.

Le travail se présente avec une introduction, onze chapitres et une conclusion. On pourrait se demander pourquoi je n’ai pas divisé le travail en deux parties: la protologie d’une part et l’eschatologie d’autre part. Mais c’était là s’éloigner de la pensée de Saint Ephrem. Car, pour lui, l’eschatologie reprend les éléments de la protologie, et la création en Adam est contemporaine de la restauration du monde en Jésus-Christ. Notre Seigneur fut présent lors de la Création du monde et d’Adam, comme Il sera là pour recréer Adam et transformer en un paradis le monde qui se changea par le péché du premier homme en épines et chardons.

Les Grandes Articulations du Travail

A l’arrière-plan de ce travail se situe la typologie d’Ephrem. la typologie, cette science de l’élaboration des Types, insiste, dans le domaine biblique, sur le fait que les personnages de l’Ancien Testament se réalisent dans le Nouveau Testament; elle sera illustrée de manière particulière par St. Paul quand il parlera du Christ comme du second Adam, à l’image du premier: celui-ci était la cause du péché et de la mort, celui-là sera la cause de la vie et de la grâce.

Cette notion biblique est commune aux Pères de l’Eglise Syriaque, Grecque et Latine. Les évènements, les personnes et les institutions de l’Ancien Testament trouvent leur sens et leur vérité dans la réalisation qu’enfait le Nouveau Testament. Dans cette ligne, Ephrem, convaincu de la convergence de l’Ancien Testament dans le Nouveau Testament les a interprétés sans cesse en référence l’un à l’autre. Pour lui, le Christ achève en sa propre personne les figures et réalise les mystères en son état de Fils de Dieu. Ainsi, le diacre d’Edesse retrouve le Christ dans le premier Adam; le paradis de la fin sera une reprise de celui des origines; et la Vie promise au début sera immortelle avec Dieu dans un bonheur spirituel sans fin.

Deux sources ont nourri la pensée de Saint Ephrem: l’Ecriture et la Nature.

L’Ecriture reste pour lui la grande source d’inspiration. D’une part, il l’explique et l’interprète selon la tradition syriaque qui s’alimente à Antioche; d’autre part, surtout dans les hymnes, l’Ecriture est considérée comme un réservoir d’images où il puise pour chanter le mystère chrétien.

la Nature est l’œuvre du créateur où le poète lit les signes de Dieu. Le soleil lui parle de la Trinité; la semence, de la Résurrection des morts et les arbres lui rappellent aussi bien l’arbre du Paradis d’Eden que le bois de la Croix.

Pourquoi le Choix d’un tel Sujet?

Depuis ces dernières années, les études sur St Ephrem progressent: D’abord, l’édition critique de ses Oeuvres par les PP. Tonneau et Beck, entre les années 1955-1975; ensuite de nombreux articles dans différentes revues, et surtout ceux du colloque qui a eu lieu lors du 16e Centenaire de St. Ephrem à l’Université St.-Esprit de Kaslik - Liban, en 1973 et qui furent recueillis dans un numéro spécial de la Revue Parole de l’Orient. Enfin, de nombreux travaux furent consacrés à St Ephrem; Ils ont porté soit sur sa méthode exégétique, (par Ela vunkal, Bravo et Hidal, la première étant encore inédite), soit sur un point particulier (le baptême, le démon et le mal, l’Eucharistie, l’anthropologie, ces deux dernières thèses encore en préparation), soit sut des collections d’Hymnes, (sur l’Epiphanie et sur la Pâque, deux thèses sur préparation), soit enfin sur un aspect plus large (sur l’interprétation du monde, ou les thèmes traités dans les zone premiers chapitres de la Genese, ou le Symbolisme, cette dernière thèse encore en préparation).

Pour ma part, j’ai préféré ne pas m’arrêter à un thème particulier comme celui de la liberté ou de l’Eglise, ni même à une collection comme les chants de Nisibe, ou les Hymnes sur la Nativité. Il m’a semblé préférable de présenter ici une sorte de synthèse de la pensée d’Ephrem. Mais pour éviter un trop grand éparpillement, une idée maîtresse soutient l’ensemble du travaill, à savoir la place primordiale accordée au Christ au début comme au terme de l’Histoire. Sa Présence est totale, aux origines comme à la fin de cette Histoire, dans la rec-création paradisiaque.

Bien sûr, le fait d’avoir choisi un sujet ausi vaste, dans une manière abondante à souhait avait ses dangers et ses écueils. Mais je voulais me plonger totalement dans la pensée de St. Ephrem, quitte à revenir par la suite sur un aspect ou un livre que j’étudierai de manière plus précise.

C’est dire à l’avance les limites de ce travail:

Faut-il le souligner plus encore? J’ai seulement effleuré ici ou là le domaine de la Patrologie grecque ou de la pensée Judaïque. En effet, j’ai voulu avant tout me limiter à une étude du texte éphrémien tel qu’il est enrichi par l’apport biblique.

Dans le domaine de l’Exégèse, j’aurais pu comparer Ephrem aux exégètes de l’Ecole d’Antioche tels que Diodore de Tarse ou Théodore de Mopsueste; aux écrivains syriens, tels qu’Aphraate ou Narsaï. J’aurais pu le replacer face à la Tradition judaïque si florissante à Babylone au deuxième et au troisième siècles après Jésus-Christ.

Dans le domaine de la théologie, j’aurais pu m’arrêter longuement sur l’apport que fit Ephrem à la langue syriaque au niveau de l’expression et du vocabulaire, au niveau du passage de la théologie grecque en syriaque, ou au nivau de l’influence des doctrines gnostiques et de la formulation de sa pensée.

J’ai voulu lire Ephrem pour lui même et en faire la découverte de l’intérieur, sans chercher à retrouver dans son œuvre un schéma théologique occidental, sans chercher à placer Ephrem dans l’une ou l’autre des Ecoles théologiques de l’Antiquité chrétienne.

Ainsi j’ai voulu présenter l’œuvre d’Ephrem dans une synthèse en onze chapitres. Partant d’une explication des premiers mots de la Genèse (ch. 1) sur la création d’un monde beau, bon et ordonné (ch. 2); je me suis arrêté à l’image du paradis qu’Ephrem a chanté en une poésie inoubliable (ch. 3). La création de l’homme compléta le tableau; cet homme fut créé à l’image de Dieu et revêtu de gloire et de splendeur (ch. 4), mais par son péché, il perdit toutes ses prérogatives (ch. 5); et comme il fut roi de la création dans sa grandeur il entraîna cette même création dans sa déchéance (ch. 6). Après Noé et la destruction du monde, nous attendons un monde nouveau en Jésus Christ, le Nouvel Adam. Mais il faut auparavant que le péché règne dans le monde, et que le shéol engloutisse tous les hommes (ch. 7). C’est alors que le Christ viendra; il descendra au shéol pour en retirer Adam et les hommes avec lui (ch. 8). C’est le Christ ressuscité qui est le gage de la résurrection de l’homme (ch. 9); c’est lui le Nouvel Adam qui, en renouvelant l’humanité, redonne à l’homme un corps glorieux en le ressuscitant (ch. 10), et à la création une nouvelle splendeur, en en faisant un nouveau paradis.

Originalité d’Ephrem

A partir d’une telle étude, l’originalité d’Ephrem ne réside pas seulement dans son œuvre exégétique, bien qu’il ait fait le commentaire d’un grand nombe de livres bibliques; et que ses commentqires soient restés des manuels étude longtemps après sa mort. Cette exégèse, ayant des recoupements avec le monde judaïque et la pensée antiochienne, se contente de rapporter la tradition de l’Eglise.

Sa grande originalité ne réside pas seulement dans sa théologie bien que nous puissions lire dans son œuvre l’ensemble des problèmes qui se posent à la foi chrétienne. S’il a du mystère de l’incarnation une vision très riche, sa terminologie est encore enveloppée et imprécise. Il en est de même du mystère de la Trinité ou du rapport de la grâce et de la liberté.

Son originalité repose, à mon avis, sur les points ou plutôt les trois qualités suivantes; Ephrem fut un homme d’Eglise, il fut un Mystique et il fut un Poète.

Homme d’Eglise, il défendra le troupeau de Dieu contre les hérétiques et présentera le message chrétien dans la plus Tradition de l’Eglise, refusant toute innovation. Au-delà des raisonnements compliqués et des querelles sur des mots et des lettres, il saura présenter la Foi avec un tel sens du Mystère qu’il est le seul dont les Eglises dyophysiques ou monophysiques continuèrent à se réclamer au-delà des grandes controverses qui déchirèrent la chrétienté orientale.

Grand Mystique, il l’est par son approche du Mystère de Dieu. Tout en refusant la recherche à la manière des «scrutateurs» qui veulent forcer le secret de Dieu, et l’enfermer dans les limites de leur raisonnement, il ne peut se résoudre à se taire devant les besoins du Peuple de Dieu. Déchiré entre la Parole et le Silence, entre l’approche et le retrait, il considère qu’il y a une mauvaise recherche et un mauvais silence en face du Mystère de Dieu.

Grand Poète, l’un des plus grands de l’Orient, il comprend que la poésie, par la beauté de la forme qui l’habille, et l’atmosphère mystérieuse qu’elle inspire, est la meilleure traductrice du Dieu inconnaissable. A l’aide de l’image qui enchante les yeux, de la musique qui enchante les yeux, de la musique qui charme les oreilles, Ephrem sait créer un climat propice à la contemplation. Avec lui, le mystère rejoint la poésie.

 

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