Un Commentaire de la Genèse attribué à Saint Ephrem

Un Commentaire de la Genèse attribué à Saint Ephrem

En 1982, l’Institut de Liturgie à l’Université de Kaslik, au Liban publie un commentaire arabe de la genèse attribué à saint Ephrem (1). Le Père Jean Tabet qui l’édite se base sur deux manuscrits(2) et complète les textes de l’un par ceux de l’autre; il mentione aussi deux autres manuscrits(3) qu’il ne cite presque pas au cours de l’édition, puisqu’il les considère conformes aux deux premiers(4). Enfin, dans une introduction, il infère que le texte édité est celui d’un lectionnaire maronite commenté(5).

Dans notre communication, nous allons partir de ce texte afin de proposer quelques notes sur le texte publié. Nous parlerons ensuite du commentaire comme tel, avant de dégager quelques remarques exégétiques.

a. Note critique

Nous avons commoncé par le manuscrit de Šarfah tel que décrite par Behnam Sony; il présente des variantes intéressantes. D’abord le manuscrit n’est pas attribué à Ephrem, mais à Cyrille d’Alexandrie(6); ensuite, le nom d’Ephrem ne figure jamais dans le texte. Ce manuscrit qui contient le texte et le commentaire de la Genèse et de l’Exode, a des affinités profondes avec un autre qui contient le texte et le commentaire du Lévitique et est attribué, lui aussi, à Cyrille d’Alexandrie(7).

La Bibliothèque des Missionnaires Libanais de Dayr al-Kreym nous a réservé une surprise(8) avec un manuscrit copié à Dayr al-Za°fara,n au temps du patriarche Mar Ig/na+t5iyus G8irgis ii (1686 - 1709)(9). le Métropolite Athanasios Aslan(10) affirme avoir transcrit le texte, tel qu’il l’a trouvé dans une copie ancienne(11), le 25 janvier 1703(12). Il se présente comme un commentaire de Cyrille d’Alexandrie(13) et renferme le texte et le commentaire de la genèse et de l’Exode.

Fait étrange: K et Š présentent le texte du Comm. Gen. en une page pleine, alors que H, V et M le présentent en deux colonnes par page. K et Š offrent le même incipit, et les deux copistes affirment se référer à une copie ancienne. Le nombre de folios est le même pour l’un et l’autre(14); les deux manuscrits contiennent le commentaire de la Genèse et de l’Exode avec le même nombre de lectures(15) qui s’arrêtent aux mêmes folios(16). K et Š ne mentionnent pas le nom d’Ephrem et laissent tomber le nom de l’interprète. Seraient-ils de la même famille, et Š dériverait-il de K avec des interpolations minimes(17)? Nous restons là au niveau des hypothèses tout en signalant que V est plus développé que les autres manuscrits cités(18), et que K semble avoir une langue plus correcte que celle des autres(19).

D’autres questions se posent quant à l’auteur de ce commentaire à Ephrem le Syrien(20) et il s’appuie sur deux petits passages pour étayer son affirmation. Dans le premier on lit: «Mar Ephrem le commenteur de ce livre béni dit»(21); et dans le second: «Le saint Mar Ephrem le Syrien dit»(22). Est-ce suffisant? Il ne semble pas.

Tout d’abord aucun dincipt ou colophon ne nous parle d’Ephrem dans ce texte(23). Ensuite, à part les deux passages cités plus hauts et qui sont absents de S7 et de K, le nom d’Ephrem ne figure ni dans le Comm. Gen. ni dans le Comm. Ex.(24). Enfin, la mention de Cyrille d’Alexandrie de manière claire dans les incipits de S7 et de K, et dans le colophon de K devrait réfléchir(25).

A ce sujet, Monseigneur Joseph Nasrallah, dans son catalogue des manuscrits du Liban(26), considère que nous sommes en face des «glaphra», ces élégants commentaires de Cyrille d’Alexandrie(27) qui ont été traduits en syriaque par Moïse d’Aghel à la demande du moine Paphnutius(28). Quand le texte a-t-il été traduit en arabe? Cela reste pour nous un mystère(29).

De nombreux indices indiquent que l’Egypte est le terroir où fut composé le Comm. Gen. Le texte parle de la bonne terre d’Egypte (Comm. Gen. p. 42) avec son Nil (ibid. p. 21), de la terre d’Egypte qui au printemps, ressemble à celle d’Israël (ibidem, p. 103-104); il compare la terre du Jourdain et celle de L’Egypte(30).

Comment est arrivé chez les Maronites ce texte sorti, semble-t-il, de l’Egypte? Il a dû passer par les Monophisites Syriens avant de parvenir au Liban(31). Y eut-il traduction ou adaptation du grec en syrique avant le passage en arabe? L’examen des textes bibliques cités conduit à un premier original grec.

Ce texte semble avoir été écrit au 12e siècle, comme le dit Payne-Smith en décrivant le Hunt. 112 de la Bodléenne, et comme le laissent deviner deux passages du Comm. Ex. (16e leçon V. F. 168r col. a; 18e leçon V. f. 176v col. a.).

Quand est-il arrivé au Liban? Avec l’arrivée des Monophysies au Nord du Liban vers le 15e siècle(32). Qu’est-ce qui nous amène à proposer cette hypothèse? L’origine des copistes d’abord. V. fut transcrit par un copiste de Hasrūn(33), M par un sous-diacre de al-Qanat pour ses deux fils, le sous-diacre Wahba et le diacre Antonios(34). Les colophons et les notes qu’on lit dans les marges nous entraînent au 15e ou au début du 16e siècle(35). Enfin, le fait que le manuscrit K provient de Dayr et-Za°farān, siège du patriarcat syrien orthodoxe, à Mardin(36), est un indice assez probant pour le Comm. Gen. provienne de milieux monophysites.

b. Présentation de ce commentaire

Après cette note critique qui fait porter nos préférences sur le manuscrit K, témoin privilégié qui nous aurait épargné des fautes dans le texte édité(37), nous voudrions présenter ce Comm. Gen. attribué à Mar Ephrem.

Il s’agit d’une série de péricopes commentées, les unes très longues, d’autres très courtes, le tout présentant un commentaire de tout le livre de la Genèse. Il va sans dire que les trois premiers chapitres ont une part très grande(38), et que le premier chapitre est développé de manière spéciale(39). Les péricopes sont distribuées sur 57 leçons d’inégale longueur.

Comment se présente chaque leçon? Après la citation du texte biblique in extenso sous le titre de al-Kita,b (le livre), vient le commentaire al-tafsi;r. Quelquefois la leçon est divisée en trois lectures. La leçon deuxième, par exemple, a d’abord comme texte biblique Gn. 1, 6-8 suivi de son commentaire; puis Gn 1, 9-10 suivi du commentaire; et enfin Gn 1, 11-13 avec son commentaire(40).

Le texte biblique ici cité semble être une traduction d’un texte syriaque(41) assez proche de celui de la Septante(42). Aurions-nous texte de la Héracléenne? aux chercheurs d’en décider. Fidèle en général, ce texte est défectueux pour ce qui est des règles de la grammaire et de la syntaxe, et il paraît assez proche des textes cités par J. Blau dans sa grammaire de l’arabe chrétien(43). A le corriger comme il l’a fait pour le commentaire, l’éditeur aurait pu nous donner un texte biblique original, au lieu de nous imposer le texte des Pères Jésuites édité en 1876, ce qui ne peut que créer des problèmes pour le lecteur arabe moyen à qui ce commentaire est destiné(44).

Quant au commentaire, son contenu couvre un éventail très large de détails géographiques ou historiques, une présentation des éléments scientifiques de son temps, des développements théologiques, liturgiques ou ascétiques(45). Ainsi, quand il parle de la bataille d’Abraham contre les rois qui ont conduit son neveu Loth en captivité (Gn 14, 1-24), le Comm. Gen. (p. 109-110) note le nombre des ennemis: 5000 soldats; puis il cite la ville par où est passé Abraham (Banias) avant de les atteindre à Damas et de les vaincre par la puissance de Dieu.

La présentation des éléments scientifiques se lit spécialement dans le commentaire du premier chapitre de la Genèse. Je donne pour cela un exemple qui traite de la lumière créée par Dieu. «Dieu, béni soit son nom, créa quatre éléments, où les deux premiers pourchassent les deux autres: l’eau pourchasse(46) le feu, et l’air pourchassemt la terre. Il les forma par sasagesse, de sorte qu’ils restent unis et collés l’un à l’autre, sans pouvoir se séparer. En effet, il plaça l’eau, le feu, l’air et la terre, l’un de ce côté-ci et l’autre de ce côté-là, et opéra une séparation entre les contraires pour que les contraires ne se détruisent pas et pour qu’à cause de cette opposition, ils fuisent l’un vers l’autre et s’assemblent»(47).

Notre commentaire s’attaque à Arius et à Macédonius qui ont affirmé que la nature du Fils et de l’Esprit était différente de la nature (tabi;°ah) du Père; ainsi sont-ils devenus les adorateurs des nombreux dieux aux multiples essences (g>awhar)(48). Dans un autre passage, il s’en prend à l’erreur d’Arius, de Macédonius, de Nestorius d’Eutychès et d’autres qui ont inventé une croyance étrangère dans l’Eglise(49). Enfin, dans un troidième passage, il traite de la procession du Saint-Esprit. «Ce Fils est né du Père, et le Saint-Esprit procède du (min) Père par (ila) le Fils. Cet Esprit procède du Père par le Fils, et il ne procède pas du (min) Fils, car le Père est la source (yanbu?°) de l’Esprit par (ila,) son Fils. Et si le Fils était la source de l’Esprit, le Fils serait lui aussi Père, du fait qu’il est devenu cause d’existence (°illat al-wug>u?d), personne (uqnu?m) absolue (ta,mm)(50).

Les questions liturgiques ont leur place dans ce commentaire qui a dû être lu dans les assemblées de prière, au moins dans une phase ultérieure(51). On y parle du dimanche dont il faut respecter le repos (Comm. Gen. p. 32), de l’importance du vendredi, ce sixième jour de la semaine où l’homme fut créé et où il fut sauvé par la mort du Christ sur le bois de la croix(52). le sacfrement du baptême est évoqué à propos de la circoncision d’Abraham (Gn 17, 1-27) et des membres de sa famille(53), ou même à propos des natures muettes et non vivantes (Comm. Gen. p. 10). L’assemblée liturgique est décrite à propos de la création du soleil, de la lune et des étoiles: évêques, prêtres et laïcs constituent une reproduction de la distinction dans l’Eglise primitive entre apôtres, disciples et peuple de Dieu (Comm. Gen. p. 22-23).

Enfin les questions ascétiques et morales forment en général la conclusion pratique de chaque leçon, et cela nous aide à placer ce commentaire dans une atmosphère monastique. Ainsi, la première leçon dont le thème principal est la lumière, se clôt par la comparaison entre ce que fait la chaleur du soleil dans le monde et ce que produit la grâce de l’Esprit-Saint qui appelle l’âme à la perfection par l’ascèse externe et la purification intérieure (Comm. Gen. p. 13-14). la seconde leçon part des arbres qui ont des feuilles, mais n’ont pas de fruit; elle applique cela à ceux qui pratiquent les commandements et s’attachent à la louange de Dieu à dégager l’âme de son péché, elle qui a fendu la Mer Rouge pour permettre le passage des Hébreux (Comm. Gen. p. 25). Dans cette ligne, Abraham sera l’image de l’ascète que Dieu purifie, en le détachant de son pays et de son clan, en le séparant de sa femme puis de son neveu Loth. Le texte dit: «Voyez, ô fidèles, que Dieu demande à ceux qui croient en lui de mettre en pratique la parole qui dit: «le plus grand commandement, c’est d’aimer le Seigneur Dieu de tout son cœur». Si Dieu voit que le fidèle aime quelque chose, il l’en éloigne et l’en sépare, pour qu’il n’y ait [as en son cœur un autre amour mêlé (à celui de Dieu). En disant: «aime-moi de tout ton cœur», il a voulu qu’on n’aime aucun par une partie de son cœur. C’est pourquoi, comme Abraham aimait son clan et son pays, il lui ordonna de s’en détacher. Quand il vit qu’il aimait sa femme, il permit que Pharaon la lui prît. Quand il vit qu’il aimait son neveu Loth, il le provoqua à se séparer de lui. Et en tout cela (Abraham) fut patient et remercia Dieu, en l’aimant de tout son cœur»(54).

Sara, elle aussi, est l’exemple de la femme parfaite. Dans la scène des trois hôtes qui visitent Abraham (Gn 18, 1-19), elle est présentée comme celle qui obéit promptement à son mari, celle qui ne montre pas son visage aux hommes, mais leur parle de l’intérieur de la tente(55). Elle représente l’amour qui accomplit le commandement; après avoir vécu dans la crainte et s’être séparée du désir charnel et de la colère, Abraham lui obéira sur l’ordre de Dieu(56).

Telles sont quelques richesses de ce commentaire signalées rapidement avant de présenter, dans une troisième partie, quelques remarques exégétiques.

c. Remarques exégétiques

Une lecture rapide du Comm. Gen. nous donne l’impression que nous sommes en face d’un auteur unique qui a son style, sa méthode et ses grandes lignes de pensée bien visibles à travers tout son livre. Son style est d’allure orale(57), et sa méthode consiste à présenter le sens littéral avant d’aboutir au sens plénir. C’est à la lumière du Christ qu’il va lire les différents versets de la Genèse, et c’est à partir du Christ qu’il pourra; offrir les développements nécessaires pour parler des Apôtres de l’Eglise ou des sacrements. Lallégorisation lui permettra de proposer l’application morale dans laquelle il exhortera ses auditeurs ou ses lecteurs à une vie digne du nom de chrétien qu’ils portent.

Bien sûre, nous n’allons pas enfermer un commentaire si riche et si libre dans des catégories préfabriquées. L’auteur cite l’Ecriture et la commente, puis il cite un autre passage, rappelle un verset d’un autre texte, explique tout cela de manière à ne pas ennuyer son auditoire. Mais, cela étant, nous présenterons d’abord la tendance littérale, puis la lecture typologique qui nous mènera au sens plénier; la recherche de l’allégorisation à partir de tous les détails clora notre communication.

1. Tendance littérale.

Notre auteur se place dans la ligne de l’Ecole d’Antioche; il recherche d’abord le sens obvie du texte, celui qui répond à la pensée de l’écrivain sacré. Ainsi, après la lecture de la leçon, il montre le sens qui se présente naturellement à l’esprit. Il paraphase le texte ou même une partie du texte lu. Voici un exemple; après la lecture de Gn 12, 7-20, le commetateur nous place dans l’atmosphère biblique; quand Dieu prit Abraham de son pays et de la maison de son père, il le fit habiter à côté du chêne de Memra, dans le pays de Canaan qu’il lui promit de donner en Ensuite, le commentateur nous donne des explications telles sur la sagesse de Dieu et sa providence. En parlant des animaux, il montre que l’animal utilese multiplie plus rapidement que l’animal nuisible, et que Dieu s’ocuppe des animaux sauvages comme l’homme s’occupe des animaux domestiques (Comm. Gen. p. 26). Les jours de l’année sont bien ordonnés, et les saisons si succèdent sans qu’aucune n’empiète sur l’autre, passant progressivement du chaud au froid et du froid au chaud (Comm. Gen. p. 20-21).

A cet égard, nous remarquons qu’il lit le texte de la Genèse dans sa matérialité et reconnaît à ses récits une signification immédiate et historique qui est celle qu’ils avaient pour ceux qui les ont vécus; chaque détail du texte sacré est pris dans son sens naturel. Ainsi, les eaux qui sont au-dessus du firmament ressemble à celles qui sont sur notre terre (Comm. Gen. p. 16); le paradis existe réellement sur la terre; sa terre est molle, bonne et aqueuse(58).

2. Lecture typologique.

Mais la recherche su sens littéral est pour notre auteur une étape, non une fin en soi, et une étape rapide d’où il passera au sens plénier ou spirituel. Là nous sommes en pleine typologie, selon le principe reçu depuis toujours dans l’Eglise: Dieu a disposé l’Ancien Testament comme une préfiguration du Nouveau Testament(59). Ce rapport profond entre les deux alliances dont

parlent les Pères, implique à la fois continuité et changement de plan. Un même mystère divin est révélé dans l’un et l’autre Testament, mais dans le premier sont largement dépassés(60). Dans cette ligne, nombre de détails de l’histoire d’Israël deviennent des représentations anticipées des réalités de l’économie nouvelle. Alors les figures du Nouveau Testament brillent dans la ligne de l’Ancien(61), et bien que le prophète (ou l’écrivain sacré) ait rapporté l’évènement historiquement selon la coutume de l’Ecriture, la réalité plénière sera vue dans le Nouveau Testament. Ici jouera le système du parallélisme synonymique ou antithétique entre des institutions, des personnages ou des situations(62).

le peuple hébreu eut ses institutions et le commentateur cherche à les placer dans le plan divin général. La première est la loi morale de l’Ancien Testament, puis viennent des dispositions juridiques, des réglementations cultuelles et enfin les tructures de la société civile(63).

Notre commenteur montre que les péchés ne peuvent être rachetés par des sacrifices d’animaux, mais par le seul sacrifice du Christ, le Dieu incarné. Que le temple, si saint soit-il, ne peut être le lieu unique de prière pour tous les peuples de la terre (Comm. Gen. p. 118-119). Abraham est le père d’un peuple, le peuple hébreu, et non de tous les peuples (Gn 17, 4). En fait, il devient le père de tous les peuples par le Christ qui est né de lui par le corps. La circoncision ne vaut que si elle est spirituelle, et le prépuce représente le péché que l’Esprit coupe lors du baptême (Comm. Gen. p. 120-121).

En parlant des eaux de la pluie et des eaux qui sortent du paradis, le commentateur compare la loi du Christ et la loi de Moïse; la loi du Christ a spiritualisé la loi de l’Ancien Testament, et elle a donné un sens nouveau à des mots anciens. Le levain est devenu le péché, et l’agneau qu’on mange le jour de la Pâque (Ex 12, 58) préfigure le Christ, agneau de Dieu qui est seul sans péché; l’impureté n’est pas l’impureté du corps (Lv 12, 2-3; 23, 4-7), mais l’impureté de l’âme que ne peuvent laver toutes les eaux de la mer et des fleuves(64).

Les personnages de l’Ancien Testament préfigurent, dans le Comm. Gen., la personne du Christ; et les faits qu’on y lit renvoient aux faits du Christ ou aux péripéties de la vie du peuple de Dieu.

Abraham est l’image du Christ. Le premier a sauvé son neveu et l’a ramené avec tous les captifs; le Christ est descendu aux enfers et en a retiré les justes et les pécheurs qui étaient avec eux. D’ailleurs comment peut-on comprendre la parole de Dieu disant à Abraham le père d’un seul peuple: «tu deviendras le père d’une multitude de peuples»? Cela est vrai du Christ, descendant d’Abraham(65). En ce sens, Jacob est, lui aussi, l’image du Christ; son père Isaac lui dit: «des peuples te servent et des populations se proternent devant toi»; c’est là une prophétie qui se rapporte au Christ, fils de Jacob, le Dieu incarné qui sera adoré par les peuples(66).

Melchisédech représente le Christ, dont le sacerdoce est bien différent du sacerdoce éphémère d’Aaron (Comm. Gen, p. 111). Ismaël et sa mère Agar sont le symbole de la Torah ancienne face à Sara; et Isaac, le symbole de la loi de l’Evangile(67). L’échelle de Jacob est le type du mystère de l’Eglise: son sommet, c’est le Christ(68). Les rois des nations qui sortent d’Abraham représentent les apôtres et les disciples (Comm. Gen. p. 125). Eve est une image négative de Marie qui, par l’Esprit-Saint, retrouve ce qu’Eve a perdu (Comm. Gn. p. 52). Mais Rébecca est l’image positive de Marie, par sa beauté et sa pureté; elle était vierge et vivait dans la craint de Dieu, à l’image de Marie qui dira à l’ange: «je ne connais point d’homme».

3. Recherche de l’allégorisation

Ici, l’auteur quitte le terrain solide de la typologie; il prend le texte biblique comme point de départ pour des exposés sans rapport avec son sens littéral. Nous sommes là au niveau du discours métaphorique qui consiste dans un transfert de sens par substitution analogique. C’est ce qu’on appelle sens accomodatice; il consiste à adapter le sens réel d’un passage biblique à une situation qui lui est complètement étrangère.

Ainsi, le Comm. Gen. profite des situations simples et des allusions cmmunes pour donner une leçon à ses auditeurs ou lecteurs. Que Dieu habite les tentes de Sam, cela est une prophétie de l’Incarnation(69); qu’il apparaisse à Abraham en trois personnes ne peut que nous parler de la Trinté (Comm. Gen. p. 119). Les Ecritures étant la règle de la foi et de la conduite de peuple fidèle, le commenteur cherche à former ses auditeurs par l’exhortation morale usant de rapprochements entre les mots ou même d’artifice de langage. Tout lui est bon pour assurer le profit spirituel des fidèles au risque d’oublier quelquefois le sens réel et de présenter un sens étranger à la pensé de l’écrivain biblique. Quelques exemples étayent ce point de vue.

Que représentent les dix chameaux que le serviteur d’Abraham prit avec lui (Gn 24, 9)? Ce sont les dix paroles que l’archange Gabriel adressa à Marie (Comm. Gen. p. 146-147). Et les deux bracelets offerts par ce même serviteur à Rébecca (Gn 24, 22)? Elles figurent les deux paroles que dira l’Archange Gabriel à Marie (Comm. Gen. p. 149). Que signifie la présence des quatre sortes d’animaux muets dans l’Arche? Les bêtes domestiques représentent les gens mariés; les bêtes sauvages, les moines qui se sont isolés du monde; les oiseaux du ciel, les moines parfaits, tels Antoine et Macaire; les reptiles sont les pécheurs non encore pardonnés(70).

***

Pour terminer cette partie, je propose un parallélisme entre les bases (as%l) de l’Ancien et du Nouveau Testament (Comm. Gen. p. 182), où la tendance littérale rejoint le sens typologique et la recherche allégorisante, pour former une synthèse qui dépasse les divisions catégorielles des méthodes de l’exégès.

«Considère et comprends les bases de l’Ancien et du Nouveau (Testament): Abraham, Isaac et Jacob sont les bases de l’Ancien et ils sont créés; Le Nouveau a aussi ses trois bases incréées, je veux dire le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Jacob, père des patriarches, a engendré douze enfants qui sont la base de l’Ancien Testament; le Christ a engendré, par l’enseignement, douze apôtres qui sont la base du Nouveau Testament. L’ancienne loi a quatre mères, épouses de Jacob, la nouvelle loi a quatre évangiles. parmi les quatre mères, épouses de Jacob, il y a deux dames, Léa et Rachel, et deux esclaves, Bilha et Zilpa; il en est de même pour les quatre évangiles: on a deux grands apôtres, comme les dames, Matthieu et Jean, et deux disciples d’apôtres, Marc, et Luc, disciples de disciples. La dernière des quatre mères à avoir mis un enfant au monde fut Rachel, la bien-aimée de son mari; et le dernier des quatre évangélistes à avoir écrit fut Jean, le bien-aimé du Christ.{...}.

«Il n’y a rien d’étonnant à ce que la Torah symbolise la loi du Christ. N’est-ce pas que l’année a douze mois et quatre saisons (le printemps, l’été, l’automne et l’hivers) et que chaque saison a trois mois? Quand Moïse fit passer aux fils d’Israël la Mer Rouge, il les conduisit en un lieu où il y avait douze sources d’eau et soixante-dix palmiers arrosés par ces sources. Les douze sources d’eau préfigurent les douze apôtres, et les soixante-dix palmiers, les soixante-dix disciples qui sont conduits par les apôtres. Au pan de l’habit sacerdotal d’Aaron il y avait douze cloches qui sonnaient l’appel, et au pan de l’habit sacerdotal su Christ, le Grand Prêtre, s’attachent souze apôtres qui proclament son Message dans l’univers».

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