La Liberté religieuse dans l’Ancien Testament

La Liberté religieuse dans l’Ancien Testament

Quand on lit la déclaration sur la liberté religieuse telle qu’elle fut promulgée le sept décembre 1965, on s’étonne de ne voir aucune «allusion à l’Ancien Testament». Il est vrai que «des rédactions premières du texte rappelaient que Dieu a créé l’homme à son image, doué de liberté, qu’il a fondé son élection et son alliance sur l’acceptation libre du fidèle Abraham». Mais ces références bibliques ne prouvaient que de façon indirecte l’importance de la liberté religieuse. «Elles enseignaient que Dieu veut l’homme libre dans son adhésion religieuse intime, mais ne disaient rien des incidences extérieures et sociales de cette liberté dans les relations avec les autres hommes».
Est-ce que les Pères de Vatican II ont omis tout appel à l’Ancien Testament, parce qu’ils considéraient cela inutile? ou bien ont-ils vu que les conditions de vie en Israël étaient différentes des nôtres pour qu’on ne puisse pas faire de comparaison? ou bien ont-ils considéré qu’on ne pouvait pas parler de liberté religieuse dans l’Ancien Testament?
Notre propos se développera suivant trois axes: L’Insraélite et la pratique de sa religion. L’étranger face à la religion juive. Là nous pourrons difficilement parler de liberté de conscience ou liberté religieuse. Dans le troisième axe, nous verrons un appel de Dieu à tous les païens à l’adorer non seulement à Jérusalem, mais dans le lieu où ils se trouvent.
1. L’Israélite face à ce religion
a. Préliminaires
L’Israélite est un homme religieux, comme tous les habitants de l’Orient et même du monde antique. Pour lui, la pratique de la religion va de soi, surtout quand il s’agit de la religion de Yahvé. en ce sens, on voit aux deux bouts de l’histoire d’Israël l’importance d’une liberté pour adorer le Dieu qui fait alliance avec son peuple. Quand les Hébreux s’adressent au Pharaon par la bouche de Moïse, ils demandent la liberté pour aller adorer Dieu dans le désert. Et quand la révolte maccabéenne éclata, ce fut aussi pour la liberté religieuse. «Les envoyés du roi séleucide, chargés d’imposer l’apostasie, vinrent à Modin pour les sacrifices». Mathatias, père de Judas Maccabée, s’opposa à cette offre. Il dit: «Que tous ceux qui ont le zèle de la loi et qui soutiennent l’alliance me suivent».
En parlant de liberté religieuse nous sommes en face d’un droit humain, qui constitue avec d’autres droits une composante essentielle du bien commun de la société. Cela signifie que ce droit est inaliénable, soit pour pratiquer une religion où je suis né, soit pour passer à une autre religion.
b. L’Israélite doit pratiquer sa religion
Le premier principe qui doit être appliqué dans la vie de la communauté, c’est que l’individu ne peut pas se soustraire à la pratique de sa religion et cela sous peine de mort. Qui ne pratique pas les commandements «sera mis à mort». Qui profane ke sabbat «sera mis à mort». Qui s’approche de la montagne du Sinï ou de la demeure «sera mis à mort». Et il est dit comment il mourra: «lapidé ou percé de traits».
D’autres formes de punition sont prévues pour qui transgresse la loi divine. «Celui qui sacrifie aux dieux sera voué à l’interdit». Et la formulatione est claire: «On sacrifie au Seigneur et à Lui seul». Et à propos du sabbat, il est dit que celui qui «y fera de l’ouvrage, sera retranché du sein de sa parenté». Ce qui signifie en fait «être mis à mort».
c. L’Israélite méprise toute autre religion
À l’origine l’hébreu considérait qu’il adorait son dieu comme le fidèle des autres religions adoraient le leur. Ainsi quand il y eut un traité entre le fils d’«Abraham l’hébreu» et “Nahor l’araméen”, le serment fut dit dans la forme suivante. «Que le Dieu d’Abraham et le Dieu de Nahor protègent le droit entre nous». Par la suite, il considérait que son Dieu était supérieur aux autres dieux. C’est lui qui donne la victoire à son peuple; c’est lui qui le rend fort. Et une des grandes crises dans la vie du peuple hébreu fut la chute de Jérusalem (lieu que Dieu a choisi pour sa demeure) en 587 av. JC. Est-ce que le Dieu de Babylone (Mardouk) est plus fort que Yahvé? Heureusement qu’Ezéchiel leur avait dit que Yahvé a quitté sa demeure et s’en est allé avec les déportés. Et si Jérusalem a été détruite, c’est que Dieu a voulu punir son peuple pour son péché.
Donc, il y a Yahvé mais il y a les autres dieux. Et la Bible prendra les noms et les attributs de ces dieux et les donnera à Yahvé. Mais dans une phase ultérieure, les Hébreux considèrent que les autres dieux n’étaient que du néant. Ils ont des yeux, mais ils ne voient pas; des oreilles, mais ils n’entendent pas; des bouches, mais il ne parlent pas. C’est alors que la Bible laisse le dieu qu’adorent les peuples et s’appuie sur le non-sens des idoles: elles sont faites de mains d’homme; elles sont d’or et d’argent. Et l’on voit Isaïe décrire la fabrication d’une idole, rapporter de manière ironique la «prière» de ces gens sans compréhension, ni discernement. Et Jérémie appellera ces dieux «Hébel» vanité, rien, chose inuitle, fumée, illusion. Et le livre des Rois dira: horreur et abomination.
Ce mépris du dieu des peuples retombe en mépris sur ces peuples. Mépris pour ce Philistin incirconcis, mépris pour le Maobite et l’Ammonite qui sont fils d’inceste. Ils ne pourront jamais entrer «dans l’assemblée du Seigneur». Et ce mépris rnglobera tous les adorateurs «des faux Dieux» qui méritent la mort. Elie demande de saisir les prophètes du Baal. Ils ont mérité la mort pour deux raisons: comme des apostats et parlant ennemis du peuple. Comme des instigateurs des fidèles pour verser dans l’idolâtrie.
Cela entraîne une séparation et une différence entre un peuple et un autre, entre la race sainte et les peuples plongés dans leurs abominations. Poue cela, les mariages mixtes seront proscrits. Néhémie dira au nom de ceux qui s’étaient séparés des peuples des autres pays pour adhérer à la loi de Dieu: «Nous ne donnerons plus nos filles aux gens du pays et ne prendrons plus leurs filles pour nos fils».Il ne s’agit plus de rompre des mariages déjà conclus. Mais nous sommes en face d’un engagement pour l’avenir La loi de Dt 23, 7-9 parlait de l’exclusion de l’Ammonite et du Moabite de l’assemblée de Dieu. Mais avec la réforme après l’exil on est en face d’un rigorisme qui deépasse ce qui avait été légiféré auparavant; on «exclut d’Israël tout élément étranger».
d. L’Israelite ne peut passer à une autre religion
Quand l’Israélite réduit le dieu qu’adore un autre peuple à un morceau de bois ou de pierre, ce serait illogiquie de la part du lé-gislateur de permettre à un croyant de laisser le Dieu unique et de suivre d’autres dieux. Deux cas se présentent dans la marche du désert: l’adoration du veau d’or et l’incident de Péor où Israël trahit le Seigneur.
Moïse a tardé sur la montagne. Israël passe à d’autres dieux. Le veau d’or qu’ils firent leur rappelle le Dieu Apis d’Égypte ou le Baal de Canaan. Et dans les deux cas, il y a une rupture de l’alliance et un passage à d’autres dieux. Il est clair que le veau dans la mythologie cananéenne n’était pas le «dieu» mais la monture du dieu «chevaucheur des nuées». Israël passe à d’autres dieux, il mérité la punition: on détruit l’idole, objet de la transgression; on punit les «apostats» fussent-ils des frères, des amis ou des proches. Il y eut ce jour-là 3000 morts.
Dans le second cas, «le peuple commença à se livrer à la débauche avec les filles de Moab». Il s’agit de la prostitution sacrée qui était pratiquée à l’ombre des temples pour signifier l’union du ciel et de la terre. En fait, il y a un passage à d’autres dieux, et principalement Baal de Péor. Cette adoration de Baal «obligea» Dieu à ordonner que les chefs du peuple soient pendus. En effet, le peuple fut invité aux sacrifices des dieux. Il mangea et se prosterna devant les dieux. Il se mit sous le joug de Baal de Péor, il s’attacha à Baal au lieu de s’attacher à Yahvé.

Ce fait général est corroboré par un incident particulier: un israélite, Zimri fils de Salou, va pratiquer la «prostitution» au vu de Moïse et de la communauté; sa punition sera la mort immédiate.
Ce qui a été exécuté ici dans un fait réel, trouve sa loi dans le libvre du Deutéronome. Il s’agit d’un fidèle qui s’en va servir d’autres dieux et se prosterner devant eux: il sera lapidé et il mourra.
À partir de  ce texte, on peut dire que la liberté de conscience n’a pas sa place dans le peuple de Dieu. C’est que Israël est lié par nature à Yahvé. Il n’existe que pas sa foi. Dans ces conditions, l’apostat s’exclut lui-même de la société. La mort qui lui est infligée est un réflexe de défense de celle-ci, et la lapidation en dehors de l’aggloméraiton souligne le rejet de l’apostat par la société.
Nous sommes en Israël face à une religion nationale et sujette à l’autorité du pouvoir public. Enfreindre une loi divine, c’est être en faute par rapport à la société. Il y a un pacte personnel qui lie le peuple d’Israël à Dieu et ne lie pas les autres peuples. Pour cela, le pouvoir public se sent responsable de ce pacte, sinon c’est sa propre existence nationale et religieuse qui est menacé. D’où l’emploi de la forceet de la violence pour maintenir la cohésion d’un groupe social dont la base est religieuse.
Suivant un premier axe qui parle de l’Israélite face à sa religion, nous avons perçu l’absence de liberté religieuse dans l’Ancien Testament: au niveau de la pratique des commandements; au niveau des mariages mixtes; au niveau de la liberté de conscience. Serons-nous plus fortunés quand nous parlerons de l’étanger confronté à la religion juive? C’est ce que nous développerons suivant un second axe.
2. L’Étranger face à la religion juive
Nous nous posons ici trois questions. Peut-on entrer dans la religion juive? Peut-on en sortir? Doit-on forcer le païen à entrer dans la religion d’Israël?
a. Religion juive, religion ouverte
Ce qui caractérise la religion juive depuis ses premiers temps avec Moïse, jusqu’à la venue de Jésus-Christ, et même un peu après, c’est son ouverture aux individus comme aux collectivités, c’est un état d’esprit qui est prêt à recevoir les païens dans son sein.
Un païen peut vivre au milieu du peuple d’Israël. Il aura le statut de résident, ou d’étranger de passage. On y disitngue quatre catégories: le «gér» ou «ger», le «noker» ou «neker» ou «necker», le «toshab» ou «tosheb» et le «shekir». Le ger c’est «le réfugié ou l’isolé qui vient demander la protection d’une autre tribu que la sienne». Le «ger» est aussi «un étranger qui vit d’une manière plus ou moins stable au milieu d’une autre communauté où il est accepté et jouit de certains droits».
Ces étrangers résidents sont des hommes libres, mais ils n’ont pas tous les droits civiques et religieux; et pour cela ils sont différents des Israélites et inférieurs à eux. Ils n’ont pas le droit de posséder une proriété foncière et ils étaient réduits à louer leurs services. Ils sont des pauvres qu’on recommande à la charité des Israélites comme les veuves et les orphelins.
Au point de vue religieux, ils sont soumis aux mêmes prescriptions de pureté. Ils doivent observer le sabbat, le jeûne du Yom Kippour (jour des expirations). Ils peuvent offrir des sacrifices et participer aux fêtes religieuses. Ils peuvent même célébrer la Pâque avec les Israélites à condition qu’ils soient circoncis.
Mais quand l’étranger est circoncis, il fait partie du peuple de Dieu. Car c’est par la circoncision qu’on appartient à la race sacrée. C’est d’ailleurs à cette condition que les gens de Sichem peuvent former avec les Hébeux «un seul peuple».
Le toshab vit dans une situation proche de celle du ger. Il paraît moins assimilé socialement et religieusement. Cela est clair dans la manducation de la Pâque: aucun étranger n’en mangera. Il s’agit du «neker». Et le texte continue: «Ni l’hôte (tosheb) ni le mercenaire (shekir) n’en mangera».
Ce qu’on peut dire, c’est que l’hôte résident (ger) peut participer à la vie du peuple de Dieu, peut faire partie du peuple de Dieu. Il lui suffit de se faire circoncire. Akhior, par exemple, sera reçu dans la communauté de Béthulie. Et quand il vit le salut de Dieu, il «se fit circoncire en sa chair et s’agrégea à la maison d’Israël». Il en de même pour Rahab qui «a habité au milieu d’Israël jusqu’à ce jour». Tout le monde devait mourir selon sa loii de l’interdit; mais Rahab eut la vie sauve en raison de sa foi.
Les Gabaonites, eux aussi, peuvent entrer dans le peuple de Dieu: ils firent «la paix avec les fils d’Israël».D’autres groupes entrèrent dans la communauté du peuple de Dieu. C’est le cas de Caleb, ce clan quennizite qui fut incorporé à la tribu de Juda. C’est aussi le cas de Shua le canaanite (Gn 38).b. Religion juive, religion fermée
Autant la religion juive est ouverte pour accueillir les païens dans son sein, autant elle est fermée par rapport au juif. Une fois entré, on ne peut en sortir. Si la punition est terrible pour ceux qui se permettent d’adorer les faux dieux, quelle sera la punition de celui qui apostasie la religion des Pères. Dans cette ligne, nous comprenons que tout prosélutisme pour une autre religion soit absolument interdit. Il mérite la mort.
Ici se présente un texte du Deutéronome qui légifère contre tout prosélytisme en faveur d’une autre religion, et contre toute ville qui passe à l’apostasie.
Ce texte se divise en trois paragraphes. Dans le premier il est fait mention du faux prophète qui prêche la conversion à «d’autres dieux»; non seulement il ne faut pas écouter ce séducteur, mais encore le tuer. L’alliance avec Yahvé est irrévocable. Comment Israël peut-il avoir d’autre dieu que Lui?.
Dans le second paragraphe, nous trouvons une loi contre ceux qui invitent le fidèle à l’apostasie. L’invitation vient cette fois non d’un prophète, mais d’un proche ou d’un ami. Comment faut-il répondre? Dénoncer la personne pour qu’elle soit lapidée. Oui, rien ne justifie l’apostasie, pas même les liens de famille. Rien ne justifie le passage à une autre religion: ni les dieux des peuples proches - entendez les Cananéens; ni lesdieux des peuples lointains - entendez les Babyloniens qui se sont propagés partout.
Quand on lapide le «fauteur de troubles», on marque qu’il est retranché de la communauté; mais on montre aussi qu’on ne prend point part à son apostasie. Bien plus, on cherche à l’exptirper pour le maintien de l’ordre dans la société: «Tu extriperas le mal de chez toi».
Dans le troisième cas, le législateur envisage «une cité entière qui est passée aux dieux étrangers à l’appel de quelques-uns de ses citoyens». «Les apostats seront traités comme des païens, comme des ennemies de peuple de Dieu». Ici nous retrouvons ce qui est dit à propos du peuple tout entier: s’il est infidèle à Dieu, s’il rompt l’alliance, il s’assimile aux Cananéens; il devient comme eux un peuple maudit, un peuple voué à l’extermination.
Tel est le sort prévu pour la ville apostate: elle sera soumise à une extermination sacrée. Ses habitants et tout ce qu’ils possèdent seront considérés comme un sacrifice offert à Dieu, comme un holocauste où tout doit périr. Ce sera une répression d’une sévérité impitoyable.
Il faut maintenir la foi, non seulement au niveau de l’individu, mais aussi au niveau du clan et de la tribu comme cadre social. La collusion entre le religieux et le social a montré qu’en laissant une brèche dans le religieux, c’est le social qui risque de se désintégrer. Et au nom de la défense de groupe, on brise la conscience personnelle; on s’oppose à toute liberté religieuse. C’est une religion militaire qui s’applique aussi à la cité avec la même intransigeance que dans les temps anciens. Israël a passé à une vie sédentaire, mais il garde deslois tribales. Ici, on remarque la peur du législateur après la chute de Jérusalem et la dispersion du peuple. L’élément social est distordu. Pour cela, l’élément religieux sera à maintenir et à renforcer. Et l’individu sera une unité dans le groupe qui lui seul permet la cohésion du groupe. Dans ces conditions, l’apostasie devient l’équivalent de la trahison ou de l’espionnage et devra être traitée comme une crime de guerre.
c. Et le païen?!
La répression est dure à l’égard de l’Israélite qui trahit sa religion et adore d’autres dieux. La questionm qui se pose maintenant: se contente-t-on d’inviter le païen à la religion de Yahvé? Et s’il refuse, quelle punition lui infliger? En d’autres termes, faut-il forcer le païen à entrer dans «la race sacrée»? Sinon, il devra mourir.
Ici se pose la question des «Herem», puis l’attitude des Maccabées à l’égard de la population païenne qui vivait sur la terre d’Israël.
Il faut dire auparavant que la population indigène de la Palestine resta ce qu’elle était à l’arrivée de Josué et de ses hommes. Elle était restée «païenne», ou plutôt adorait un autre dieu que celui des Hébreux. La convivialité fut de règle à tel point que David maintint le prêtre Jebusite et païen à côté du prêtre «israélite». Abiatar et Sadoq. Et le grand problème qui se posera par la suite: comment a-t-on ou laisser tant de populations vivre en Israël et attirer le «peuple de Dieu» à l’idolâtrie? Si l’infidélité à Yahvé fut la cause de la destruction de Jérusalem et de la dispersion d’Israël, déracinons ces racines de l’infidélité en «massacrant» tout élément étranger, tout élément «païen». C’est ce qu’on appelle la loi du «herem» telle qu’elle fut promulguée par le Deutéronome et «appliquée» dans le livre de Josué.
Le législateur deutéronomique demande à son peuple d’exterminer les «sept nations» au nom de la loi de séparation. La nation sainte doit se préserver de tout contact avec les horreurs de ces nations, avec leurs dieux. Pour cela, elle les extermine. Ainsi elle montre que Dieu a donné la Terre comme il l’a promis; que son jugement contre les Canaanites a été éxécuté. Et si les Canaanites demeurent dans le pays, avec leur religion abhorre, ils détourneront Israël du servie de Dieu.
Mais en fait, il n’y eut pas toujours l’extermination, mais deux formes de séparation: éviter le mariage entre Israélites et Païens; supprimer les sanctuaires des Païens pour ne pas les utiliser.
Pour Israël, la séparation est une question de vie ou de mort. Pour cela, l’historien deutéronomiste montre Josué mettant en pratique la loi du «herem»: contre Jéricho, contre Aï, contre Haçor. Et l’on verra que Saül, le premier roi d’Israël, fut rejeté parce qu’il n’a pas pratiqué la loi du «herem» à l’encontre des Amaléqites.
Cependant on devrait mettre une sourdine à l’accomplissement du «herem»: le Deutéronome comme les livres deutéronomiques furent présentés dans leur rédaction finale au moment où la guerre sainte n’était qu’un souvenir lointain; à ce moment le peuple d’Israël était une communauté religieuse dominée par des puissances étrangères.
Cette idée de nation sainte va ressurgie avec les Maccabées qui considèrent leurs guerres comme des guerres de religion. Ils font ce que disent les anciens textes: ils renversent les autels en pays philistin, brûlent les images des dieux, pillent les villes Et nous verrons Jean Hyrcan, fils du grand prêtre Simon, détruire le temple des Samaritains à Garizim; il prit les villes iduméennes d’Adora et de Marisa et obligea les Iduméens à la circoncision. Mais nous avons dépassé les livres des Macabéens pour nous retrouver dans l’œuvre de Flavius Josèphe.
3. L’Appel de Dieu aux Païens
Notre recherche dans le second axe nous a montré que le peuple de Dieu était prêt à recevoir dans son assemblée tous ceux qui acceptaient ses conditions en se faisant circoncire. Cette première ouverture va être suivie par d’autres ouvertures dans l’Ancien Testament. Et ce troisième axe nous mènera directement chez les Païens qui sont eux aussi appelés à adorer le Dieu unique dans une liberté de conscience qui nous mène à l’évangile.
a. De Jéthro à Naaman et Ruth
Le livre de l’Exode parle de Jéthro, beau-père de Moïse: il prononça un acte de foi en Dieu qui a délivré son peuple, qui est plus grand que tous les dieux. Ce Jéthro offrira un sacrifice auquel participent Aaron et les Anciens: prêtre de Madian à côté du prêtre des Hébreux. Tout se termine par un repas devant Dieu, repas qui établit la communion entre les participants et Dieu.
Ensuite le beau-père donnera des conseils à Moïse. Celui-ci les écouta et les mit en pratique. Le Madianite qui a appris à l’Israélite le nom de Yahvé, est celui qui lui apprend à organiser les instances de jugement dans le peuple.

Et après un pacte entre les gens de Jéthro et ceux de Moïse, les deux partis ne vont pas vivre ensemble. Mais Jéthro quitte Moïse et s’en va dans son pays. Nous sommes là dans un dialogue où Israël apprendra maintes choses des peuples qui l’entourent sans s’imposer pas le fait qu’il constitue le peuple de Dieu. Le même cas se présentera avec Hobab à qui Moïse demande de guider le peuple à travers le désert. Y-a-t-il là un appel secret pour que Hobab le Madianite entre dans le peuple de Dieu? Quoiqu’il en soit, Hobab répond: Je veux aller dans mon pays, dans ma parenté.
A l’opposé, on a Ruth: elle refuse de quitter sa belle-mère qui n’a ni mari ni enfants: «Où tu iras, où tu demeureras je demeurerai, ton peuple sera mon peuple, et ton Dieu sera mon Dieu». Est-ce que Ruth s’est convertie au Judaïsme? A-t-elle simplement prononcé une «confession» comme Jéthro ou Akhior? L’important c’est qu’elle a agi en pleine liberté de conscience. Elle n’a pas été forcée à suivre la religion de sa belle-mère. A l’inverse sa belle-sœur a pu prendre un autre chemin: elle retourne en Moab et à son dieu Kemosh. Chacune a choisi son chemin. Nous sommes là en face d’une véritable liberté religieuse qui avait commencé par la pratique de mariages mixtes.
Ici nous nous retrouvons en face de la liberté de conscience avec Naaman le Syrien. Guéri par Elisée, il confessa le Dieu d’Israël et sa toute puissance. Mais va-t-il embrasser la religion juive? Il demande à Elisée s’il peut accompagner son maître (le roi) au temple de Rimmon. Le prophète ne lui impose rien. Il se contente de lui dire: «Va en paix».
b. Le prophète Isaïe
Avec les prophètes s’opère ainsi une «tendance» à la liberté de conscience. Jésus lui-même dira après son discours inaugural de Nazareth qu’Elie alla vers une étrangère dans le pays de Sidon, la veuve de Sarepta; qu’Elisée a guéri non des lépreux en Israël, mais Naaman le Syrien. Oui, le Dieu d’Israël envoie ses bienfaits à ceux qui ne font pas partie de son peuple sans leur imposer de devenir «juifs».
Ici nous revenons à un texte majeur d’Isaïe qui remet en question une loi du Deutéronome. Un texte (celui de Dt) qui est considéré comme parole de Dieu est aborgé par un autre qui l’invalide (celui d’Is).
Quelle est la teneur du texte deutéronomique? Il s’agit de lois qui parent de l’admission à l’assemblée de Yahvé, à l’assemblée liturgique; seul celui qui est un «vrai israélite» peut prendre part au service de Yahvé. Mais des catégories sont empêchées de faire partie de cette communauté, ou elles ne peuvent être admises qu’à certaines conditions. Ce sont les gens châtrés, les bâtards, les Ammonites et les Moabites, les Egyptiens et les Edomites).
Pourquoi exclure les châtrés? Parce que «la castration était imposée à certaines perosnnes des sanctuaires cananéens». Les bâtards seraient les enfants de mère étrangère, philistine ou araméenne. Les Moabites et les Edomites sont exclus jusqu’à la dixième génération, c’est-à-dire jusqu’à la fin des jours. Mais en fait on ne parle plus que de Moab avec l’affaire Balaam. Enfin, c’est une attitude favorable envers Edom et l’Égypte. Ce sont des voisins lointains et pour cela ils sont moins dangereux. Nous avons là «l’application à une situation historique concrète du nationalisme religieux du Deutéronome». Nous avons là «l’un des aspects les plus caducs de la synthèse deutéronomique».
Cet aspect sera dépassé en attendant d’être invalidé par le prophète Isaïe. Dans un premier texte, il parle du temple comme maison de prière pour tous les peuples. Les étrangers (et les eunuques) se demandent: peuvent-ils être admis dans le peuple de Dieu? Peuvent-ils y jouer un rôle utile?
Oui les étrangers ont leur place dans le peuple de Dieu: il suffit qu’ils se joignent à Dieu, qu’ils s’attachent à lui, qu’ils l’aiment, qu’ils le servent. «À ces conditions, Dieu prendra lui-même l’initiative de les faire venir à la sainte montagne de Sion... Sur son autel il acceptera avec faveur leurs sacrifices». Ainsi la religion devient universelle; elle unit les hommes dans la même adoration du Dieu unique. Et le temple n’est plus réservé au peuple, juif, mais il est ouvert à l’humanité entière et il est sacré non seulement dans le saint et le saint des saints mais aussi dans le parvis des gentils.
Dans un second texte, nous voyons tous les peuples invités à devenir les adorateurs du Seigneur. Le prophète s’adresse aux rescapés des nations. Les conflits armés, les bouleversements les ont menacés de mort et leurs dieux ne pouvaient les protéger. Seul Dieu peut «porter le salut non pas au seul Israël, mais à l’humanité entière».
Alors «Il peut s’adresser à tous les pays, même aux plus lointains, même aux contrées limites où la terre prend fin, aux confins du monde, pour leur faire cette déclaration capitale: «Tournez-vous vers Moi et soyez sauvés, vous tous les confins de la terre».
c. Les païens sont appelés
Avec Isaïe ce fut la dimension universaliste qui fut mise en valeur. Le peuple d’Israël n’est pas le seul peuple de Dieu, le peuple d’Israël n’est pas le seul appelé. Il est un paradigme et un modle. Il a passé de l’idolâtrie qu’il a connue en Égypte comme en Mésopotamie à l’adoration du Dieu unique. Ainsi auront à faire les autres peuples. Ce fut un chemin long et difficile à travers le désert avec des essais de retour en arrière. Ainsi sera le chemin des nations «païennes».
Ces nations sont appelées à écouter la voix de Dieu, à se repentir, à attendre la punition de Dieu comme les États d’Israël et de Juda. Amos parle des «rébellions de Tyr» et d’Edom, comme il parle des «rébellions d’Israël». Et dans cet appel, on sent que Dieu veut le salut de toutes les nations. Cela est clair avec Jérémie quand il voit les nations coalisées avec Juda pour s’opposer à Nabuchodonosor. Il appelle leurs ambassadeurs à ;a sagesse: «Écoutez-moi et n’écoutez pas vos prophètes... C’est faux ce qu’ils vous prophétisent, aussi vous éloignent-ils de votre terre».
Amos, Isaïe, Jérémie ont parlé aux autres nations à partir de la Palestine. Mais Jonas ira jusqu’en Mésopotamie, jusqu’à la ville sanguinaire et païenne. Il la menace de mort comme les autres prophètes ont menacé Jérusalem. Il l’a appelée à la pénitence et elle a couté la parole de Dieu et s’est repentie.
Ici nous avons deux lignes de retour à Dieu dans la pleine li-berté de conscience. L’appel est lancé pour un rassemblement à Jérusalem: «Toutes les nations y afflueront. Des peuples nombreux se mettront en marche et diront: venez, montons à la montagne du Seigneur, à la Maison du Dieu de Jacob». Et Zacharie de prolonger l’appel d’Isaïe en montrant les bienfaits reçus par ceux qui monteront et les malheurs qui s’abattront sur ceux qui refuseront. Bien sûr, nous sommes là à un niveau spirituel. «Tous les survivants des peuples qui auront marché contre Jérusalem, monteront d’année en année pour se prosterner devant le roi, le Seigneur, le Tout-puissant et pour célébrer la fête des Tentes; mais pour les familles qui ne monteront pas à Jérusalem. Il ne tombera pas de pluie».
Les peuples sont invités à prier Dieu à Jérusalem. Mais ils peuvent le prier partout. Même à Ninive. Il écoute la prière et sauve la ville. Même en pleine mer. C’est ce que feront les marins dans le bâteau qui transportait Jonas vers Tarsis. Le texte dit que «les hommes furent saisis d’une grande crainte à l’égard du Seigneur, lui offrirent un sacrifice et firent des vœux».
Appel des juifs, appel des païens. Aux deux on peut dire ce que disait Ezéchiel aux déportés de Babylone: «Qui veut écouter qu’il écoute; qui ne veut pas écouter, qu’il n’écoute pas. Mais le prophète doit parler «qu’ils l’écoutent ou ne l’écoutent pas. Au moins ils sauront qu’il y a un prophète au milieu d’eux». Il y a un appel à la pénitence et à la conversion pour les individus comme pour les peuples. A chacun de choisir le bonheur ou le malheur, la vie ou la mort, d’adorer Dieu ou les idoles.
Conclusion
Nous avons essayé de parler de liberté religieuse dans l’Ancien Testament. Cette liberté qui est un droit de l’homme a eu beaucoup de difficultés à passer à Vatican II. Car il fallait concilier l’aspect subjectif et l’aspect objectif. Le fait que l’homme soit à l’image de Dieu, qu’il soit un but et non un rouage dans la société. Qu’il soit un être responsable et capable de se décider. Mais d’autre part, certains Pères du concile considéraient que la foi catholique était en danger; d’autres prônaient l’importance d’un État catholique qui réprimerait «les hérétiques» au nom du bien commun». Voilà ce qui animait le législateur dans la Tora quand il refusait la liberté religieuse. L’État en Juda et en Israël est un état théocratique et vouloir sortir de cet État équi-valait à se mettre contre Dieu. Et comme les ennemis de Dieu sont les ennemis du peuple, quand le peuple punissait un apostat ou un infidèle, il considérait qu’il faisait l’affaire de Dieu. L’Ancien Testament est né dans cet Orient où la collusion du religieux et du social est toujours patente, où l’État considère sa religion comme la religion unique et qui doit s’imposer à l’ensemble de la population quelle que soit la croyance des uns et des autres. L’Ancien Testament était loin, et notre monde oriental reste loin d’une notion de liberté qui ne force personne à agir contre sa conscience; une liberté qui a son fondement dans la dignité même de la personne humaine telle que l’ont fait connaître la parole de Dieu et la raison.
Parler de liberté religieuse dans un monde qui connaît de moins en moins la tolérance n’est-ce pas là une gageure qui tient du miracle. L’Ancien Testament a ouvert une petite brèche dans ce monde oriental qui s’est vite refermée. Le Nouveau Testament a insisté sur l’acte de foi raisonnable et libre qui exclut toute contrainte de la part des hommes. Il a montré la personne du Christ qui s’est gardé de forcer les consciences qu’il invitait au Royaume. Il renonça à un messianisme politique et aux moyens violents, se faisant plutôt doux et humble comme le serviteur qui vient pour servir. Il n’a pas éteint la mèche fumante; il a invité les gens à son école avec patience. Ses miracles étaient une invitation à la foi, non une contrainte. Et sa mort sur la croix ne fut pas un prodige qui terrasse, mais un amour qui attire les hommes à lui.
Mais l’Ancien Testament resta loin tel idéal. Il lui fallait se convertir et nous appeler nous aussi à la conversion.

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