Règne de Dieu et Terre Sainte

Règne de Dieu et Terre Sainte
dans l’Ancien Testament

En 1897, se tint le premier congrès sioniste à Bâle en Suisse. Théodor Herzl (1860-1904) qui en fut le promoteur, présentait un projet d’une grande simplicité: donne à un peuple sans terre, une terre sans peuple. Lorsque la Palestine fut désignée pour être cette terre convoitée, le transfert des juifs se transforma en une entreprise de colonisation territoriale et de spoliation nationale.
Je ne veux pas discuter cette affirmation qui oublie que la Palestine était peuplée les Israélites y sont venus au début du XX° siècle. Je ne veux pas oublier qu’il y eut des projets de regroupement ailleurs qu’en Palestine et que Herzl lui-même fut séduit un moment par l’Argentine et le Kenya. Mais je vais m’arrêter à ce concept de la terre que nous lisons dans l’Ancien Testament. Quelle est cette terre promise? Pourquoi est-elle sainte et quel est son rapport avec le règne de Dieu?
1. Le concept de terre, la terre d’Israël
Le mot «eretz» qui signifie terre, pays, territoire est un des mots les plus fréquents dans la Bible. Il totalise dans la concordance de Gerhard LISOWSKY 80 colonnes d’environ 48 citations chacune. Ce concept peut signifier la terre, toute la terre, une partie de la terre. Il signifie aussi la terre en opposition au ciel, aux cieux: au commencement Dieu créa le ciel et la terre. La terre désigne ce qui est durable et permanent, ce qui est construit sur des fondements ou des piliers. La terre est stable; si elle s’ébranle et chancelle, les cieux eux-mêmes peuvent frémir. Cet ébranlement indique la puissance de Dieu. Enfin, quand on parle de la terre on désigne les habitants de la terre.
Le mot «eretz» signifie aussi la contrée, le territoire. On parle alors de la «terre (ou pays) de Shinéar» ou Mésopotamie, de la terre de Misraïm ou Egypte. Il peut être personnifié: «Malheur à toi, pays (terre) dont le roi est un gamin... Heureux es-tu pays (terre) dont le roi est de souche noble».
La terre c’est le district ou la région, c’est le territoire d’une tribu si petite soit-elle. Mais pour notre propos, le mot «eretz» s’applique de manière particulière à la terre de Canaan ou à la terre d’Israël. Il est dit dans Gn 11,31: «Terah prit son fils Abram (qui sera dans la suite Abraham, Gn 17,5) son petit fils Loth... pour aller au pays de Canaan». Canaan est le pays, le pays de tes pères, le pays que Yahvé ton Dieu te donne. Il est le territoire d’Israël par rapport aux Arméens de Damas.
En fait, l’appellation pays ou terre d’Israël (Eretz Israël) ne se trouve que onze fois dans la Bible dans le sens moderne du mot. On lit par exemple en 1 S 13, 19: «Il n’y avait pas de for-geron dans tout le pays d’Israël».
Mais l’on trouve ailleurs une expression équivalente: «Sol d’Israël (adamah)»; elle s’échelonne 17 fois dans Ezéchiel depuis 7,2 à 38,9. L’on parle aussi de «territoire d’Israël (Gebul)» des «montagnes d’Israël», des «douze tribus d’Israël», de «tout Israël».
Il faut dire ici que dans de nombreux textes, Israël ne désigne pas la totalité du peuple des douze tribus ou le trerritoire partagé entre les tribus, mais il s’applique à une réalité plutôt politique: C’est l’ensemble des «dix tribus» du Nord, souvent identifié avec la tribu la plus importante Ephraïm, en opposition avec la tribu de Juda qui avait absorbé Siméon.
Ainsi la terre de Canaan connaît deux royaumes, celui du Sud ou Juda puis celui du Nord ou Israël. David est d’abord oint comme roi de Juda tandis qu’Isbaal, fils de Saül, est roi sur Israël; la bataille de Gabaon oppose Israël et Juda. Enfin David est sacré roi sur «tout Israël et sur Juda». Et l’on sentira tout au long de la vie de David que les tribus du Nord supportent mal un joug qui leur est imposé par le Sud; il y aura des révoltes avec le cri de ralliement: à tes tentes Israël. Le deux royaumes de Juda et d’Israël ne connurent ainsi une certaine unité qu’au temps de David et de Salomon. Et ce qu’on appelle schisme en 931, c’est-à-dire à la mort de Salomon, n’est qu’un retour à l’état normal. Ceux qu’on appelle les deux frères auront une existence indépendante et se traiteront souvent en ennemis.
Ainsi, l’on peut dire qu’Israël a désigné de l’actuelle Palestine et que l’expression terre d’Israël a remplacé l’ancien nom (pays de Canaan) à une période tardive, au moins après l’exil. Soit dit en passant, le pays de Canaan sera appelé dans trois versets bibliques pays des Philistins.
2. Terre Sainte, Terre Bénie
Disons-le d’ores et déjà, nus sommes en face de constructions théologiques littéraires, comme disent J. Maxwell Miller et J. Hagès.En effet, nous n’avons aucun document extrabiblique qui mentionne le royaume davidico-salomonien; que dire alors de la période de Josué ou des Juges. De même les frontières «idéales» de la terre promise ont beaucoup varié selon les textes, comme nous allons le voir. Quant aux limites réelles, l’on sait par exemple qu’une partie de lacôte de la Palestine actuelle était aux mains des Phéniciens, et cela jusqu’à Akka (St. Jean d’acr), qu’une ville comme Tell Keisan (15 km au Sud-Est de Akka) tait une cité phénicienne en Galilée, slon l’Ecole Biblique et Archéologique Française. De plus, le marché entre Salomon et Hiram, roi de Tyr, est connu; vingt villes du pays de Galilée sont données au roi de Tyr pour cent vingt talents d’or. En outre, il faut dire que ce qu’on a appelé l’eretz d’Israël n’appartenait pas aux seuls fils d’Israël. Même au temps de Salomon, «il restait toute une population d’Amorites, de Hittites, de Perizzites, de Hivvites, de Jébusites».
Après cette longue digression, nous revenons au concept de Terre Sainte et de Terre Promise.
Quand on parle de Terre Sainte, adamat (ha) qodesh (en grec hagia gê), on pense d’abord au sol, à la portion de terre où Dieu se manifeste. Le Sinaï est une terre sainte. Le «Maqom» qui est près de Jéricho et où le chef de l’armée apparut à Josué est un lieu saint(51). C’est la présence de Dieu qui confère à un lieu son caractère sacré.
Le pays d’Israël est désigné pour la première fois en Za 2,16 comme étant la terre sainte. Il y est dit en effet: «Le Seigneur s’attribuera Juda comme son patrimoine sur la Terre Sainte». L’expression reparaît dans les livres deutérocanoniques, dans 2 M 1,7 et dans Sg. 12,3. On trouve aussi des appellations similaires; lieur saint, sancturaire; on lit en 2 M 1,29 une prière: «Implante ton peuple dans ton lieu saint». Et dans le chant de l’Exode (Ex 15,17): «Tu les amèneras et tu les planteras sur la montagne de ton héritage, lieu dont tu fis, Yahvé, ta résidence, Seigneur, qu’ont préparé tes mains».
Pourquoi cette terre est-elle sainte? Parce qu’elle est la terre de Yahvé, parce qu’elle est l’héritage de Yahvé. Dieu est saint, et sa terre est sainte. Aussi son peuple d’être saint. Dieu est saint et sa terre est sainte. Aussi son peuple n’a-t-il pas à la profaner, par exemple en laissant un cadavre sur un gibet, le jour du sabbat ou en commettant une quelconque injustice envers le pauvre ou l’étranger. Cette terre est si sainte que Naaman le Syrien en emportera un peu avec lui pour pouvoir vénérer Dieu chez lui.
La terre de Canaan est aussi la terre promise. C’est l’expression «terre de la promesse» (en grec gê tés epaggelias) telle qu’on la lit dans le Nouveau Testament. C’est que l’Ancien Testament n’a pas de mot correspondant au verbe «promettre». Mais l’idée est fréquemment exprimée par deux formules de base:
Dans la première, on parle de la terre que Yahvé vous donnera comme il l’a dit. Cela nous ramène à ce que Dieu a dit à Abraham: «c’est à ta postérité que je donnerai cette terre». Il le redira à Isaac et à Jacob. Cette formule sera répercutée à travers les livres de la Tora comme dans les livres historiques.
Dans la seconde formule, on parle de la terre que Dieu a juré à tes pères de te donner. Cette formule est particulièrement fréquente dans le livre du Deutéronome (16 fois): Dieu t’aimera, te bénira, te rendra nombreux... sur la terre qu’il a juré à tes pères de te donner. Le serment de Dieu se présente à travers les livres de l’Ancien Testament, qu’ils soient historiques ou prophétiques.Disons quelques mots encore à propos de la notion de «terre promise». Elle semble avoir été commune à tout l’ancien Orient, spécialement en Syro-Mésopotamie. Chaque Dieu national concède au roi et à son peuple le territoire où il entend être honoré et où il a son lieu de culte. Quand Jacob était à Béthel, Dieu lui donna ainsi qu’à sa descendance «la terre sur laquelle il était couché».
Cette terre est qualifiée poétiquement de «terre où ruissellent le lait et le miel». Sommes-nous en face de «l’abondance dans la nature» (TOB), ou le texte évoque-t-il à l’origine une région propice aux  troupeaux et aux vignobles? Il ne s’agit pas ici, comme disent certains exégètes, du miel d’abeilles, mais de la mélase de raisins.En fait nous sommes en face du thème de la gratuité du Dieu qui donne (Is 55,1 ss) à son peuple ce qui est nécessaire à sa subsistance.
Le don de la terre est central dans le Deutéronome. Cela nous ramène à la fin de la monarchie judéenne ou même au temps de l’exil. Le Royaume de Juda était alors menacé par les empires environnants, ou même avait disparu sous les coups de Nabuchodonosor en 587. Ainsi on comprend que le texte exprime sa revendication sur le pays dont il avait jadis possession. Et il souligne aussi la raison pour laquelle le peuple a perdu sa terre.
Oui, cette promesse du don de la terre est conditionnelle. Tous n’y sont pas entrés parce qu’ils ont murmuré contre Yahvé. Et une fois entrés, ils en ont été arrachés parce qu’ils ne se sont pas montrés fidèles à l’alliance. Le Deutéronome nous présente le fait déjà passé mais comme une annonce de l’avenir: «Parce que tu n’auras pas obéi à la voix de Yahvé ton Dieu... vous serez arrachés à la terre où tu vas entrer pour en prendre possession».
A partir de là, le peuple hébreu comprendra l’importance de la fidélité à Dieu, le fait de sa  dépendance à l’égard de Yahvé. Il comprendra surtout que a possession du pays est une étape. Le but à atteindre n’est pas une terre mais Dieu lui-même. Canaan est le signe d’un don beaucoup plus grand, et la «Terre» que nous auros à posséder est le lieu où se manifeste le Dieu Vivant.
Dieu n’est pas attaché à une terre mais à une personne, à une communauté. Il est le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Le peuple crie, Dieu entend sa voix et vient à son secours. Le plupel part en exil, et Dieu quitte même Jérusalem et se tient sur le mont des Oliviers avant de rejoindre les exilés à Babylone(79). Ainsi Dieu n’est pas attaché à une terre, car toute la terre lui appartient. Il n’est pas attaché à une ville, fût-elle Jérusalem avec son peuple. Jérualem sera détruite et le temple brûlé en 587 av. J.C., mais déjà Dieu a envoyé Ezéchiel pour préparer la relève, pour parler du temple nouveau et de la ville qui sera é[urée de ses scories pour redevenir «la ville de justice».
Dieu n’est pas attaché à un seul peuple, mais à tous les peuples: L’Egypte et Babylone sont liées à lui par des liens d’amitié, la Philistie et Tyr et même la Nubie (ou l’Ethiopie) connaissent Dieu et Dieu le connaît. On peut être né ici ou là, c’est là le niveau matériel. Mai au niveau spirituel tout homme est né à Jérusalem et Dieu l’inscrit dans ses registres. Voilà ce que dit le Ps 87 expliqué par Blaise Arminjon.
Sur la terre de Dieu, nul n’est étranger. Tous sont du pays. Il suffit d’observer le droit et de pratiquer la justice, il suffit de s’abstenir de toute action mauvaise. Et Isaïe d’ajouter: «Que le fils de l’étranger qui s’est attaché à Yahvé ne dise pas: sûrement Yahvé va m’exclure de son peuple... (Dieu dit:) les étrangers... je les mènerai à ma sainte montagne, je les comblerai de joie dans ma maison de prière... car ma maison sera appelée maison de prière pour tous les peuples».
voilà la ligne spirituelle dans la laquelle nous m nent les prophètes. S’ils parlent d’une appartenance mutuelle entre Dieu et son peuple, cete appartenance ne se situe pas seulement au niveau matériel, mais aussi au niveau spirituel. Il s’agit d’une nouvelle alliance gravée non sur de la pierre, mais dans les cœur. Cependant une autre ligne semble s’imposer dans la lecture fondamentaliste: elle considère le peuple d’Israël comme le peuple élu et qui reste comme tel même après Jésus-Christ car les dons de Dieu sont sans repentance; que la terre de Palestine appartient aujourd’ui au peuple d’Israël seul; que la guerre sainte est le meilleur moyen de réserver la terre sainte au peuple saint; que Jérusalem ne peut être que le lot du peuple de Dieu, à savoir les Juifs; là nous nous retrouvons en face de deux courants modernes: pour les uns on ne peut être un bon juif que sur la terre d’Israël. Pour les autres - et qui sont la minorité - on peut être un bon juif partout, en terre d’Israël ou ailleurs.
Mais avant de dire notre opinion, il est bon de considérer les limites de cette «terre sainte et promise» dans les textes de l’Ancien Testament.
3. Limites idéales de la Terre Sainte
Quatre séries de textes nous décrivent les limites de la Terre Sainte.
a - De Dan à Bersabée
Dan est située à l’extrémité nord de la Terre Promise. Bersabée est une ville du Néjeb de Juda. Elle est par le fait même à la limite sud du territoire d’Israël. Et la Terre Sainte est située entre ces deux villes.
Le texte biblique dit: depuis Dan jusqu’àBersabée ou de Bersabée à Dan c’est-à-dire du Sud du Liban au Nord du Sinaï. Que lisons-nous dans Jg 20,1 à propos de la guerre des Tribus d’Israël contre la tribu de Benjamin? «Tous les fils d’Israël sortirent et, comme un seul homme, la communauté s’assembla depuis Dan jusqu’à Bersabée...» Le rédacteur postexilique dont le style est particulièrement manifesté dans les versets 1-2, conçoit Israël comme une communauté qui ne possède plus de terre depuis qu’elle en a été chassée. En fait la campagne contre Benjamin, dont on parle ici a été probablement menée par un groupe restreint de tribus, si ce n’est pas la seule tribu d’Ephraïm.
Cette formule (de Dan à Bersabée) se trouve de manière particulière dans la tradition deutéronomiste, dans les livres de Samuel ou des Rois. Abner, chef des armées de Saül parle d’un tône de David sur Israël et sur Juda depuis Dan à Bersabée. Et Husbaï, conseiller d’Absalom, lui demande de rassembler tout Israël de Dan à Bersabée(91). Enfin David demande à son chef d’armée, Joab, de recenser son peuple, toutes les tribus d’Israël, de Dan à Bersabée. Oserons-nous dire que ce sont là des limites proches de la réalité?! Deux faits étayent mon assertion. Le premier: aux temps des Maccabées, Judas franchit (avec son frère) le Jourdain dans le pays de Galaad et ramène ses frères qui étaient assiégés à Bésora. Aléma... Cette terre ne leur apprtient pas: pour cela, ils l’abandonnent. Le second fait nous ramène aux temps modernes où dans les pourparler de paix, l’Israël moderne abandonne le Sinaï à l’Egypte, car il est au-delà de Bersabée. Voilàla réalité biblique sur laquelle ss’appuient ceux qui veulent réserver la Palestine moderne à Israël. Mais cette réalité ne peut justifier aujourd’hui une manière de faire qui prône l’oppression au nom de Dieu.
b - Depuis l’Euphrate jusqu’à la frontière d’Egypte
Là nous passons à une première délimitation idéale, si on peut encore parlerde délimitation. Nous lisons en effet dans 1 R 5,1: «Salomon dominait sur tous les royaumes depuis le Fleuve, sur le pays des Philistins, et jusqu’à la frontière d’Egypte». Le Fleuve, le nahar, c’est l’Euphrate. La frontière d’Egypte ou le «torrent d’Egypte», c’est Wadi El-Arish. Là nous sommes loin de l’histoire, ou plutôt l’histoire contredit une telle affirmation. 1 R dit en 11,23 que les Arméens (qui étaient installés à Damas) se sont révoltés après la mort d’Israël pendant toute la vie de Salomon; quant au terme «le pays des Philistins» c’est une glose qui vient de la période postexilique: ce sont les Grecs qui parlèrent de la plaine côtière des Philistins avant de parler de la Palestine. Cela nous ramène donc au quatrième siècle av. J.C. Comment expliquer cette extravagante revendication?
Les commerçants araméens du Nord-Est payaient un droit de transit à Salomon. Cela est indiqué par le mot «minhah», tribut, que nous lisons dans ce verset 1. Mais nous pouvons être encore en face d’un présent ou d’un cadeau offert par ces mêmes comemrçants. Mais ce qui nous étonne, c’est que ces assertions sont colportées aujourd’hui au nom de Dieu pour parler du grand Israël. Dieu serait-il le serviteur d’un peuple ou est-il le Dieu de tous les peuples? C’est exploiter les textes bibliques pour des buts qui n’ont rien à faire avec la parole de Dieu. Et cela n’est pas le fait de Juifs seulement. D’autre part cette notion a été mystifiée par ceux qui disent que la paix s’étend sur la terre à partir de la terre d’Israël. On voit à quel point on confond règne de Dieu et règne d’un peuple qui veut se réserver une terre au nom de Dieu.
Dans de nombreux textes, l’Euphrate est cité comme la frontière nord-est de la Terre Promise. En effet on lit dans Ex 23,31 comme une promesse divine: «J’établirai ton territoire de la mer des Joncs ou Mer Rouge à la mer des Philistins et du désert au Fleuve». La TOB explique: le golfe d’Aqaba - la Méditérranée, le début du Sinaï-l’Euphrate. Dieu promet même de chasser de ce territoire les Hivvites, les Cananéens et les Hittites. Ce teste tardif qui met tout dans la bouche de Dieu va à l’encontre de la situation que nous connaissons par ailleurs: cela n’arriva jamais dans l’histoire de la Palestine, de la Syrie ou des territoires qui entourent la Terre Promise. D’ailleurs le texte se situe dans la période postexilique et il cherche à expliquer le fait: pourquoi ces peuples sont-ils restés dans le pays? Et il cherche une raison dans la bouche de Dieu: «Je ne les chasserai pas devant toi en une seule année, de peur que la terre ne devienne une terre désolée... C’est peu à peu que je les chasserai devant toi, jusqu’à ce que ayant fructifié, tu puisses recevoir le pays comme patrimoine». Tout le monde sait comment est appliqué ce texte dans la situaiton actuelle d’Israël. Mais le sens spirituel est ailleurs et le règne de Dieu n’est pas un royaume à dimension humaine. Il est le lieu où Dieu veut faire règner sa justice et sa paix. Ainsi la terre sainte n’est pas la seule terre d’Israël. La terre tout entière est sainte et Dieu veut y faire habiter son nom même dans la sanguinaire Ninive à qui il envoie un prophète.
Et alors le véritable roi n’est pas David ou Salomon mais c’est Dieu lui-même. Dans ces conditions, on comprend que le Ps 72,8 étende encore plus le domaine de Dieu; du Fleuve-l’Euphrate, jusqu’au bout de la terre. Non seulement toute la terre connue, mais encore la terre inconnue, car Dieu est le maître de la terre entière. Il veut en faire à paradis. Pour cela il agrandit ses possessions, son territoire propre: à l’est et à l’ouest du Jourdain, au sud de la Palestine et au nord: même les trois pays qui furent traditionnellement en conflit avec les tribus de Juda et d’Israël, appartiennent à Dieu: Moab m’est intime, Edom est à moi et la Philistie s’attache à moi comme la ceinture à la personne. Tel est le sens du verbe dans le Ps   60,10.
c - Au Liban et jusqu’au grand Fleuve
Voilà comment se présentent les dernières instructions à l’Horeb: «Yahé notre Dieu nous a parlé à l’Horeb: bous avez assez séjourné dans cette montagne. Allez-vous-enm partez, et allez à la montagne des Amorites, chez tous ceux qui habitent la Araba, la Montagne, le Bas-Pays, la Negen et le bord de la mer, allez en terre de Canaan et au Liban jusqu’au grand Fleuve, le fleuce Euphrate. Voici le pays que je vous ai donné».
Cette énumération évoque les diverses régions de la terre promise étendue jusqu’à des limites qu’Israël n’a en fait jamais atteintes.
Une formule analogue se lit dans Jos 1,3-4: «... Tout lieu que foulera la plante de vos pieds, je vous l’ai donné comme je l’ai promis à Moïse: depuis le désert et le Liban que voici jusqu’au grand fleuve, l’Euphrate, tout le pays des Hittites, et jusqu’à la grande mer, au soleil couchant, tel sera votre territoire».
L’auteur parle au passé (je vous l’ai donné). On a appelé ce passé «le passé prophétique». Si on va du passé à l’avenir, on considère que le don est déjà fait; il ne reste plus aux tribus qu’à réaliser, par la conquête, le plan divin.
En fait, l’auteur a voulu englober les tribus de la Transjordanie dans la terre Sainte. Ainsi est-il allé jusqu’à l’Euphrate. Ce n’est pas la pure géographie, mais une gépgraphie théologique. Toute la terre est le territoire de Dieu et son peuple y est son lieutenant non pour dominer les autres peuples mais pous faire connaître Dieu à tous les peuples de la terre. C’est là non une mission politique mais une mission religieuse que préconisent certains juifs aujourd’hui.
Que dire de ce texte de Josué? D’abord la formule «la terre des Hittites» est tardive. Elle se retrouve dans les documents néoba byloniens pour désigner la Syrie Palestine. Mais elle est absente du texte grec parallèle qu’est Dt 11,24.
Le Texte grec parle du désert et de l’Antiliban, de l’Euphrate jusuq’à l’extrémité de la mer. L’Antiliban désigne la chaîne orientale qui se prolonge par l’Hermon.
Le désert c’est le désert du Sinaï. Voilà la limite sud. La frande Mer, c’est la Méditerranée. Et pourtant nous l’avons dit: la côte palestienenne jusqu’à Akka était tenue par les Phéniciens, et depuis Akka jusqu’à Gaza et la frontière Egyptiennes, par les Philistins.
Est-ce que le Liban serait la limite nord? Mais il semble que le Liban est considéré comme étant dans les limites théoriques de la Terre Promises.
John Gray par du Liban comme étant une interpolation, d’autant plus qu’il est précédé du démonstratif. Dans la description deutéronomique normale de la Terre Promise, on voit que les pentes occidentales du Liban n’y sont pas incluses. Ainsi ce teste reflète l’étendue de l’infuence de David et le contrôle des routes du commerce après sa victoire sur les Araméens.
Quant à Hinckley G. Mitchell, il commente Za 10,10 et dit: «La région du Liban, si elle a été dans la pensée de l’auteur comme étant une partie de la Palestine occidentale, n’a pas besoin d’être mentionnée». Et il conclut: La formule «et du Liban» est une glose qui peut être une réminiscence de Dt 3,25.
On voit là aussi qu’il est difficile de concilier les données de l’histoire avec ce que nous fournit la Bible comme limites de la Terre Sainte. Avons-nous oublié que la Bible se base sur l’histoire, mais qu’elle dépasse l’histoire pour nous présenter une vue théologique. Si nous voulons avoir des renseignements sur la si-tuation politique, nous devons aller aux Annales des rois de Juda et d’Israël et non lire le texte biblique et lui imposer notre manière de penser.
d - De Lebo-Hamat jusqu’au torrent d’Egypte
Le premier livre des Rois nous parle de la fête organisée par Salomon pour la dédicace du temple: «C’était une grande assemblée venue de Lebo-Hamat jusqu’au torrent d’Egypte». Nous avons là une autre formule qui présente les frontières idéales du Royaume de Salomon, et partant de la Terre Sainte. La limite méridionale est le torrent d’Egypte c’est-à-dire le Wade-El-Arish. La limite septentronale est Lebo-Hamat. Mais où se situe exactement cette ville?
La TOB s’appuie sur Elliger pour dire: il est peu probable qu’il s’agisse de Hamat sur l’Oronte (dans la Syrie actuelle), mais «peut-être d’une localité en Transjordanie, au sud de Damas». Mai il nous  semble que «Leboué» dans le nord de la Beqaa peut être ce Lebo-Hamat.
John Gray dit: «La description de l’étendue d’Israël de lentrée d’Hamat au Wadi d’Egypte est plus précisément définie comme «du désert de Sin» (Nord su Sinaï) à Réhob en face de Hamat.
Et il dit à propos de 2 R 14,28: «Les limites idéales du territoire d’Israël au temps de Salomon (1 R 8,65) et de Jéroboam (Am 6,14) atteignirent seulement l’entrée de Hamath, c’est-à-dire, la Beqaa, entr le Liban et l’Anti-Liban, au sud de Hamat».
4. Terre Sainte, règne de Dieu
Telles sont les grandes formules qui décrivent les limites idéales de la Terre Sainte. Là nul étranger ne soit rester, là nul étranger ne doit entrer, ni dans le pays, ni dans la communauté. Il est dit: «Le bâtard n’entrera pas dans l’assemblée du Seigneur. Jamais l’Ammorite et le Moabite n’entreront dans l’assemblée du Seigneur, même la dixième génération des leurs n’entrera pas dans l’assemblée du Seigneur Jamais tu ne rechercheras leur prospérité ni leur bonheur, tant que tu seras en vie».
Voilà la réaction à fleur de peau d’un peuple qui se sent me-nacé! Le mot qui traduit le «bâtard» (mamzer) désigne propablement l’enfant issu d’une union illicite. La Tradition juive a appliqué ce commandement à la descendance d’un mariage entre un juif et une femme étrangère. Néhémie a essayé de mettre en pratique cette ordonnance. Il dit: «Je vis des Juifs qui avaient épousé des femmes ashdodites, ammorites et moabites... je leur fis jurer au nom de Dieu: ne donez pas vos filles à leurs fils. Voilà l’application matérielle de la loi; mais en fait, c’est la contamination religieuse et morale qui est en jeu.
Nous sommes là face à une attitude politique qui va commander une prise de position religieuse; le peuple juif de l’exil se sent perdu au milieu d’un empire très vaste. Il cherche à «retrouver» la pureté de sa race, comme s’il y avait une race sainte et une race non sainte, comme s’il pouvait se trouver une race pure! Le Livre Saint lui-même convaincra le fidèle de son erreur.
En effet, dans ce même texte du Deutéronome, on lira un peu loin: «Tu ne considéreras pas l’Edomite comme abominable, car c’est ton frère, tu ne considèreras psa l’Egyptien comme abominable, car tu as été émigré dans som pays. Les fils qu’ils auront à la troisième génération entreront dans l’assemblée du Seigneur».
Oui, la porte est ouverte pour l’entrée des étrangers dans le peuple de Dieu Ruth la moabite en est l’exemple le plus frappant; elle sera même l’aïeule de David. Oui, l’étranger ne doit pas être séparé du peuple de Dieu(123). Et la réalité sociologique de la terre de Canaan reste un exemple typique de ce mélangr des populations qui vivent côte à côte. Et Isaïe ira plus loin en présentant un universalisme qui semble laisser la priorité aux nations sur Israël. Il dit: «Ce jous-là Israël viendra le troisième avec l’Egypte et l’Assyrie. Telle sera la bénédiction que dans le pays prononcera le Seigneur tout puissant: bénis soient l’Egypte, mon peuple, l’Assyrie, œuvre de mes mains et Israël, mon patrimoine»(124). C’est la traduction de la TOB. J’en recuse deux éléments. Le mot «avec» n’est pas dans le texte; c’est le «lamed». Et nous disons alors: le troisième par rapport à l’Egypte et à Assur. Ensuite le mot «eretz» signifie d’abord terre puis pays.
Pour cela je propose: au milieu de la terre, et non dans le pays, entendez le pays d’Israël. C’est au milieu de la terre tout entière que le Seigneur prononcera sa bénédiction, non seulement sur le pays d’Israël, mais aussi sur d’autres pays comme l’Egypte et l’Assyrie.
En effet nous sommes dans un contexte universaliste où tous les peuples se retrouveront et s’embrasseront. Plus de luttes entre l’Egypte et l’Assyrie mais l’entente totale. Plus de murailles qui séparent les deux grandes puissances de ce temps là, mais il y aura une route entre l’Egypte et l’Assyrie. Les Assyriens viendront en Egypte et les Egyptiens en Assyrie. Tous les peuples deviendront une seule communauté où Dieu est roi. Tous adoreront le Dieu Unique.
La traduction de la Septante a infléchi le texte dans un sens particulariste. On y lit en effet: «En ce jour-là, Israël sera troisième parmi les Egyptiens et les Assyriens; il sera béni dans la terre que le Dieu Sabaoth a bénie, disant: béni est mon peuple qui est en Egypte et qui est parmi les Assyriens, et Israël mon héritage».
L’on voit que nous sommes tout simplement devant deux catégories: d’une part Israël avec le peuple qui y réside; d’autre part, le peuple de Dieu qui réside en dehors d’Israël, c’est-à-dire dans la Terre d’Egypte et dans la terre qui représente l’aire de l’ancien empire assyrien. Donc, il ne s’agit plus d’Assyriens ou d’Egyptiens, mais des seuls Israélites qui vivent au pays ou dans la diaspora. Et Jean Koenig de commenter: l’Egypte et Assur sont bénis à cause d’Israël. Cette conception se fonde sur la présence en Egypte des communautés juives exilés.
L’on voit le particularisme qui veut prendre sa revanche sur l’universalisme auquel Dieu ne cesse d’appeler Israël.
Ce n’est pas le seul pays d’Israël qui sera béni, comme disent les traducteurs de la première édition de la Bible de Jérusalem, mais les trois pays, Egypte, Assur et Israël, et en d’autres termes le monde entier.
L’Assyrie sera bénie. Dieu l’appelle: «l’œuvre de mes mains». Mais ce qualificatif s’applique d’abord à Israël(130). Ainsi Assur, l’ennemi qui a fait tant de mal à Israël et à tous les pays de l’Orient, et qui ne méritait pas la conversion aux yeux de Jonas, est lui aussi l’objet d’une attention spéciale de la part de Dieu.
L’Egypte elle aussi sera bénie. Dieu l’appelle: «mon peuple». Mais cette appellation et ce titre étaient réservés jusqu’alors à Israël(131). Et ce que les textes disaient d’Israël, ils vont le dire de l’Egypte. Le culte de Dieu sera célébré en Egypte comme il l’est en Israël(132); le peuple d’Israël fut opprimé; il a crié et Dieu lui a envoyé un sauveur. Et quand les Egyptiens crient à cause de ceux qui les oppriment, Dieu leur enverra un sauveur qui les défendra et les délivrera.
La troisième caractéristique de ce nouveau peuple de Dieu qu’est l’Egypte, c’est la connaissance. Isaïe dit: «Le Seigneur se fera connaître des Egyptiens, et les Egyptiens, ce jour-làm connaîtront le Seigneur». La connaissance déborde de savoir anstrait et exprime une relation existentielle. Et la connaissance de Dieu se déploie non dans un contexte de science mais dans un contexte de vie. Cela nous indique les liens qui unissent Dieu à l’Egypte à Dieu. Oui, Israël ne sera pas seul à connaître Yahvé.
Oui, la terre où réside le royaume de Dieu, dépasse les frontières d’Israël qui vont de Dan à Bersabée.
Comme nous sommes loins d’une notion étriquée de la Terre Sainte. La terre toute entière est sainte car partout on adore le Seigneur; l’Egypte le connîtra et Ninive, capitale de l’Assyrirevient à lui «sous le sac et la cendre», se convertit «à la prédication de Jonas».
Voilà comment se présente le règne de Dieu dans la ligne prophétique. Ici nous distinguons entre royauté politique et royauté cosmique et transcendante. Dieu intervient dans l’histoire de son peuple meurtri, attaqué, asservi. Yahvé est le véritable artisan de ses victoires et le seul garant de ses promesses. Israël hérite de Yahvé, il partage avec lui la terre et le pouvoir; il est avec lui dans une communion d’intérêts et d’objectifs. La Terre Promise a été conquise pas les armes d’Israël et par le bras de Yahvé et doonée en héritage. Jérusalem, elle aussi, avec l’arche en son centre, devient l’héritage conquis et remis aux siens.
Mais il ne s’agit pas d’un royaume terrestre, d’une victoire sur les ennemis; il s’agit d’une autre victoire pour assurer l’ordre dans le monde, pour faire régner la justice et la paix au milieu des hommes. Oui Dieu n’est pas seulement le souverain d’Israël; il est le roi de toutes les nations, il est le roi du Cosmos. C’est le grand Roi, dit  le psalmite, c’est le souverain universel, c’est le monarque transcendant. Il règnera toujours, il est le Dieu d’âge en âge.
Dans ces conditions, la politique doit se subordonner au religieux et la royauté humaine ne peut se substituer à une royauté divine. Ce serait trop ambigu.
Ici nous touchons à une première tension: universalisme - nationalisme. S’agit-il de tirer vengeance des nations, de châtier les peuples, d’enchaîner leurs rois, de mettre aux fers leurs élites? Ou s’agit-il d’appeler les familles des peuples à glorifier le Seigneur et à chanter sa grandeur? A proclamer parmi les nations la royauté de Dieu sur l’univers?
Là apparaît une autre tension entre une royauté terrestre et une royauté céleste. Israël s’est longtemps accroché à l’odée d’un royaume terrestre avec Saül, David ou Salomon. Mais les événements survenant, l’anéantissement des royaumes d’Israël et de Juda, l’exil à Babylone, la difficile restauration, tout cela imprime à ces idées de messianisme terrestre une note eschatologique qui nous ramène aux temps derniers.
Aux delà du thème du jugement des nations, il y a celui du bonheur des nations qui viendront à Sion ou qui sont prêtes à se convertir. Dieu lui-même vient en berger royal pour sauver. Non des ennemis qui entourent un peuple ou une nation, mais des vrais ennemis qui sont la mort, le mal et le péché.
Là nous sommes au seuil du Nouveau Testament. Si dans le monde juif au temps du Christ, la tension entre royaume céleste et royaume terrestre se durcit, par contre, elle est claire pour Jésus qui affirme que son royaume n’est pas de ce monde. Les milieux juifs se sont enfermés - s’enferment toujours - dans le nationalisme et le particularisme. Mais un petit reste se tourna vers l’envoyé de Dieu qui établira le peuple nouveau, vers Jésus-Christ.
On a attendu le Christ comme le guerrier victorieux ou celui qui établi sur terre un puissant royaume d’Israël. Mais Jésus refusa toute compromission avec le mythe d’un royaume théocentrique, comme il refusa la confusion entre le dessein de Dieu sur son peuple et le problème politique qui se posa alors. Sa mission est l’annonce du règne de Dieu qui a un caractère universel et ne peut se confondre avec aucun royaume ici-bas(151).
Oui, l’Ecriture ne peut-être utilisée comme justificatif d’une entreprise humaine - comme le fait Israël et à sa suite tant de fondamentalistes chrétiens, qui s’accrochent à la fameuse phrase de Saint Paul au sujet des dons de Dieu. Mais de quels dons s’agit-il? Et le concept de terre a-t-il dans le Nouveau Testament le sens qu’on lui donne? L’Ecriture se présente toujours comme interpellation et remise en question prophétique. La parole intervient dans l’histoire. Et celle-ci le lieu où Dieu nous parle.
Toute la question de la Bible est là: allons-nous imposer à la parole de Dieu notre point de vue ou nous soumettre à son appel? C’est à cette dernière condition que la parole de Dieu peut être vivificatrice, que la terre promise n’est plus un objet de commerce et de compromission, que la terre saint devient le Règne de Dieu. Oui, avec l’Evangile, le règne de Dieu est une personne; il n’est plus une terre à acquérir au nom de Dieu; il est une personne qui a pour nom Jésus-Christ.









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