Les Incohérences de la foi

Les Incohérences de la foi

Les incohérences de la foi! Les incohérences de la religion! Mais la religion est un ensemble de croyances et de dogmes qui nous relient à Dieu, qui définissent nos rapports avec Dieu et dans un sens plus général avec le sacré. Cela consiste en des pratiques, en des rites nécessaires à un équilibre au niveau de la foi, au niveau de ce croire en Dieu, de reconnître son existence et son action dans ma vie et dans le monde. Tout cela devrait être «sécurisant». Devrait être solide pour que ma vie de tous les jours ne soit pas une inquiétude perpétuelle proche du scrupule. La religion doit être un système cohérent, un système dont toutes les parties sont unies, sont organisées de manière logique, de manière conforme au bon sens. Mais en fait la religion telle que nous la concevons, la vivons, semble manquer de cohérence. Et je parlerai volontiers des incohérences de «ma» religion, de ma manière, ou de la lumière de mon groupe de parler de la religion. Les incohérences ne peuvent qu’avoir des répercussions d’un groupe religieux à un autre; et dans notre cas, à l’intérieur d’un dialogue islamo-chrétien. Sujet vaste, s’il en faut. Pour cela, je m’attacherai à trois points qui pourront faire l’objet d’une réflexion. Les rapports entre la foi et la raison; l’existence de Dieu et le problème du mal; le fossé qui sépare la beauté et la richesse du dogme de la pauvreté de la pratique.

1) Entre foi et raison
La foi est le fait de croire en Dieu, en des vérités religieuses révélées; c’est le fait de reconnaître Son existence et de s’attacher à Lui. La foi s’attache à la révélation, à la manifestation de Dieu à l’humanité. Ce monde surnaturel reste à être monnayé dans un language humain. C’est alors qui joue la raison, cette faculté propre à l’homme, par laquelle il peut penser, il peut juger.
Ici, nous sentons tout de suite les difficultés à exprimer cette foi de manière «raisonnable». Et l’autre remarquera vite les incohérences de ma religion. Pour moi chrétien, la base de ma foi c’est le mystère de la Trinté, Dieu Père, Fils et Saint-Esprit. A lui s’attachent deux mystères. Celui de l’incarnation, ce mystère de Dieu fait homme en Jésus-Christ; et celui de la Rédemption, mystère du salut apporté par Jésus-Christ à l’humanité pécheresse, par sa vie mais surtout par ses souffrances, sa mort et sa résurrection.
A la base de tout cela, il y a la relation entre les personnes de la Sainte Trinté, et la relation de Dieu à la matière, à l’humanité. Que veut-on dire quand on parle d’un Fils de Dieu? N’est-ce pas qu’on se met à un niveau païen où les dieux se mariaient à des déesses et avaient de enfants? C’est le cas d’Osiris, d’Osis et de Horus en Egypte; celui de Ea, Inana et de Enkidu, en Mésopotamie. Et en Grèce on parle de Zeus comme le père de Dieux: il les a engendrés. Il en est de même de Jupiter. Et pour passer dans le monde de la pénissule arabique on pourrait citer la triologie: El-lat, Ozza et Manat. Le père, la mère et l’enfant. C’est que l’idée trinitaire est ancrée dans le cœur de l’humanité à partir de notre expérience familiale: Il y a le père, la mère et les enfants. A tel point qu’on s’imagine difficilement une famille sans enfants. Et l’on permet à l’homme tous les stratagèmes pour avoir une descendance.
Mais est-ce là le mystère de la Trinté tel que le présente ma religion chrétienne? Sûrement pas. Il n’y a pas de mariage en Dieu à la manière des hommes. Comme il est dit dans le prophète Osée (11/9): «Je suis Dieu et non un homme», dit le Seigneur. Et ce serait une aberration de dire que le Fils est «crée»! Le monde de l’Ancien Testament a trouvé la solution en se limitant à l’unicité de Dieu. «Ecoute Israël, notre Dieu est un»; ce fut alors un refus de tout ce qui touche à cette unicité. Il n’y a qu’un Dieu. «C’est moi le Seigneur, ton Dieu, ... tu n’auras pas d’autres dieux face à moi» (Ex 20, 3). Cela signifie l’exclusion de toute autre divinité. Comme dit Osée: «Et moi excepté, tu ne connais pas de Dieu, et de sauveur, il n’y en a point sauf moi». (13, 4). Mais la richesse en Dieu, comment la caractériser? LAncien Testament parle de la «Parole» de Dieu, de la «Sagesse» de Dieu, de son «Esprit». Il est sûr que le christianisme, et cela depuis les origines de l’Eglise, a vu dans la Parole de Dieu, dans son Verbe, la seconde personne de la Trinité; et dans son Esprit l’Esprit-Saint, la troisième personne de la Trinité. Mais le juif ne voit dans ces mots qu’une manière concrète de détiller les richesses de l’action de Dieu dans le monde. Et il me semble que le monde musulman suit cette ligne. Quant aux «gestes» de Dieu qu’on décrit (il s’est assis, il a regardé, il  a regretté d’avoir crée l’homme comme on dit à propos du déluge), ce sont de purs anthropomorphismes, une manière de comparer Dieu à l’homme, d’essayer de «saisir» Dieu à partir de notre expérience humaine.
Mais cette expression, comme toute expression, restera pour toujours en deça de la révélation. Comment le fini va-t-il exprimer l’infini, et l’homme saisir Dieu? Il y aura toujours un fossé infranchissable. Mais cela signifie-t-il que l’homme ne doit pas faire un effort? Point de tout. D’ailleurs il nous est dit dans le Concile Vatican I que l’homme peut connaître par ses propres forces l’existence de Dieu. Et le livre de la sagesse a blâmé les hommes qui n’ont pas su voir, à travers la beauté du monde, le Dieu de toutes les beautés (ch. 13). Et Saint Paul ira dans la même ligne et considère inexcusables les hommes qui ne sont pas arrivés à la connaissance de Dieu et qui ne lui ont pas rendu la gloire ou l’action de grâce qui reviennent à lui (Rom 1, 20).
Malgré la défaillance de la raison humaine, malgré le péché qui peut affaiblir la recherche humaine, l’homme peut exprimer quelque chose de Dieu. Car si Dieu est l’infiniment loin, il est aussi l’infiniment proche: il a créé l’homme de ses propres mains, il marchait avec lui dans le paradis vers le soir de chaque jour. Et si Dieu est celui qu’on adore, il est celui qu’on aime. Il s’est fait l’époux de son peuple comme le dit de manière spécial, Osée et le cantique des Cantiques. Et si Dieu est l’infiniment grand, il s’est fait aussi petit pour être à la mesure de l’homme.
Cela nous mène en ligne directe à l’Incarnation: Dieu s’est fait homme pour que l’homme soit élevé à la dignité de Dioeu, comme disaient les Pères de l’Eglise. Et alors quand on parle du rapport du Fils de Dieu à son Père, nous comprenons tout de suite qu’il ne s’agit pas d’un engendrement à la manière humaine. Mais d’une relation très personnelle, très intime. Relation d’un fils à son père. D’ailleurs, le Christ lui-même s’est appelé Fils de manière absolue et Fils de Dieu. Dans ce climat, nous devenons fils avec le fils. Il s’est fait semblable à nous en toute chose pour que nous lui ressemblions à notre tour. «Dès a présent nous sommes enfants de Dieu, nous dit Saint Jean dans sa première épître, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous savons que lorsqu’il paraîtra, nous lui seront semblables puisque nous le verrons tel qu’il est» (3, 2).
Mais pourquoi insister sur la Trinité et ne pas se limiter à l’unité divine? Pourquoi dire trois personnes en dieu qui pourraient être à la manière humaine: «Trois dieux»? et qui font dire que nous sommes, nous chrétiens, des associationnistes, et à la limite polythéistes et idolâtres: nous associons à Dieu ce qui n’est pas Dieu?
D’abord par fidélité à notre foi. Nous sommes baptisés au nom de trois personnes: «Baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit» (Mt. 28, 19). Nous ne sommes pas face à trois noms, mais à un seul nom, le nom du Dieu unique en trois personnes. En ce sens le monde arabe a ajouté au signe de la croix: un seul Dieu. Il dit: «Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, Dieu unique, Amen». Les chrétiens affirment l’unicité de Dieu avec force, mais ils cherchent à la suite de Jésus-Christ à entrer dans la richesse de cette divinité.
Et là nous passons à la pratique: Le Dieu des chrétiens n’est pas un personnage isolé au fond de son ciel. Il serait alors une idole lointaine qui ne voit pas, qui n’entend pas, qui n’agit pas, mais laisse les hommes à leur propre sort. Notre Dieu est une famille, c’est pour nous convier à en faire partie; «vous êtes de fils; donc vous êtes des héritiers» (Ga 4, 7). Nous sommes la grnde famille de Dieu qui est avant tout pour nous le Père. Il nous a aimés le premier et il nous demande d’aimer pas seulement le prochain le plus proche, mais tout homme. Car ce qui montre la vérité de notre amour pour Dieu, c’est la vérité de notre amour pour le prochain.
Voilà une manière presque humaine d’entrer dans le mystère de la Trinité. Chacune des personnes divines regarde l’autre et ne regarde pas lui-même. Il est tout don à l’autre. C’est cela aussi l’Incarnation où la seconde personne s’est dépouillé et s’est fait esclave pour sauver l’humanité. Dieu est devenu tellement proche de nous qu’il a pris chair de notre chair. paul dit: «Lors que les temps furent accomplis, Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme et assujetti à la loi, pour racheter ceux qui sont assujettis à la loi, pour qu’il nous soit donné d’être fils adoptifs» (Ga 4, 4-5). Les païens disaient qu’il était impossible à la divinité d’être en contact avec la matière. Et les juifs disaient que l’homme ne pouvait voir Dieu sans mourir. Mais Jésus nous a dit: «Qui m’a vu a vu le père». C’est vrai qu’avant le Christ personne n’avait vu Dieu. Mais le Christ, Fils unique, nous l’a dévoilé. Ah, si nous fisions l’expérience de ce Dieu très proche, du père de Jésus-Christ qui est aussi notre père. Si nous acceptions le mystère de Dieu fait homme; si nous acceptions de vivre dans sa pauvreté, lui qui s’est fait pauvre pour nous enrichir! alors on oublierait des «incohérences» au niveau de la raison pour goûter la plénitude du Dieu un et trine, qui a voulu habiter parmi nous et nous montrer sa gloire.
2) Dieu et le mal
Une seconde incohérence où est arrivé ma religion, c’est le problème du mal que vit durement le monde, alors que nous savons que Dieu est le père des hommes; qu’il les a créés pour le bonheur, afin de collaborer avec lui pour un monde humain. Comment réagir devant ce problème?
D’un point de vue, on essaie de disculper Dieu, et de montrer que la souffrance humaine est le produit de l’homme, de sa liberté. Sans doute, il y a là un aspect de la question et qui n’est pas le plus important. Car cela équivaudrait à cantonner Dieu dans son ciel et à laisser les gens vivre une loi de la jungle quitte à les juger à la fin de leur vie, ou à la fin du monde. L’Ancien Testament, quant à lui, laisse tomber l’agir des hommes et ramène tout à Dieu.
S’il y a une défaite pour le peuple, Dieu nous a défaits et nous a vendus à l’ennemi. De même s’il y a la richesse, la mort, la maladie. La liberté humaine est mise en veilleuse. Et l’homme se contente de suivre, de subir. Et l’on parle alors d’un Dieu qui frappe ou qui guérit, qui fait vivre ou fait mourir. C’est alors que nous sommes proches du destin, de la fatalité; d’un Dieu qui est tout sauf un père. Et l’humanité est mise alors dans un engrenage d’où elle n’arrive pas à sortir. Elle se sent malheureuse.
Comment concilier cette situation avec l’idée que nous donne l’Ecriture, depuis, l’Ancien Testament, d’un Dieu Père, d’un Dieu miséricordieux? La raison est rebutée. Et la vie de tous les jours en est scandalisée; et certaines en arrivant à dire: Dieu n’existe pas. Car il s’il existait, le mal n’existerait pas. Alors, on nous dit aussi qu’il est père, qu’il est mère comme ce texte que nous lisons dans Os 11: «C’est pourtant moi qui avais appris à Ephraïm à marcher, le prenant par le bras (comme le père prend son enfant). J’étais pour lui comme celui qui soulève un nourrisson contre sa joue et je lui tendais de quoi se nourrir».
Dans cette ligne, le peuple d’Israël se plaisait au début de sa vie avec Dieu, à se rappeler le Providence divine: Dieu prévoit tout pour son peuple: il lui donne de l’ombre pour le jour, et de la lumière pour la nuit. Il lui donne à manger et à boire. Il le garde des ennemis. En somme, il marche avec lui, et même devant lui, pour le conduire «aux pâturages». Cela est prolongé dans le Nouveu Testament. Jésus nous dit: «Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez... Regardez les oiseaux du ciel... votre Père céleste les nourrit... Si Dieu habille ainsi l’herbe des champs... Ne fera-t-il pas bien plus pour vous, gens de peu de foi. Ne vous inquitez donc pas en disant; qu’allons-nous manger? Votre père céleste sait que vous avez besoin de tout cela» (Mt 6, 25-32).
J’ai tenu à citer ce texte long qui nous donne une image «idyllique» d’un Dieu père qui s’occupe de ses enfants même pour le manger, le boire et le vêtement. Mais la réalité que nous côtoyons tous les jours est bien différente quand on voit de gens affamés aller aux poubelles pour trouver de quoi manger. Et les gens en loques... Et ceux qui souffrent de terribles maladies. N’est-ce pas que Dieu s’est joué d’eux; qu’il leur a promis, mais n’a pas tenu ses promesses. Pire, Dieu est l’ennemi des pauvres. Ici on rejoint la première poussée de l’Ancien Testament où Dieu récompense sur cette terre par les biens, les enfants, la santé, la longue vie. Sinon, on se plaint à Dieu; on crie contre lui; on blasphème son nom. Et l’on retrouve ici la femme de Job. Elle disait à son mari: Blasphème contre Dieu et meurt. Et alors on aurait l’image d’un Dieu vengeur, d’un Dieu toujours en colère qu’il faudrait apaiser par des offrandes et des sacrifices. D’un Dieu dont il faut avoir peur car il agit d’un manière que nous ne comprenons pas. Dieu est le Destin! Dieu est une loi supérieure qui mène les événements vers une fin que personne ne comprend. Et ce qui préside à la vie des hommes, c’est le sort. C’est le hasard. C’est une puissance impersonnelle qui gouverne nos vies. Et elle est très souvent inhumaine; elle nous enferme dans le fatalisme; elle nous dit que les événements sont irrévocablement fixés par avance. Alors, pourquoi se battre comme une mouche devant le feu. C’est écrit. Maktoub. Subissons le coups du sort; résignons-nous.
Telle pourrait être à la limite la position de Job quand il perd tous ses biens: «Dieu a donné. Dieu a repris, que son nom soit béni». Nous acceptons également tout de la main de Dieu; le bonheur comme le malheur. Il me semble que c’est à ce niveau qu’arrivent le judaïsme et l’islam. Quant au Christianisme, il fait un pas de plus quand il vit les mystères de l’Incarnation et de la Rédemption. Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. Il est devenu semblable à nous en toute chose hormis le péché. Nous lisons dans l’épître aux Hébreux: «Tout Fils qu’il était, il apprit par ses souffrances l’obéissance» (5, 8). Il est le Fils de Dieu, le Fils bien-aimé. Le Fils de l’amour du Père; et malgré cela il a souffert. L’épître dit aussi de Jésus: «C’est lui qui, au cours de sa vie terrestre, offrit prières et supplications avec grands cris et larmes à celui qui pouvait le sauver de la mort, et il fut exaucé en raison de sa soumission» (Hé 5, 7). Oui, le Christ est entré pleinement dans le projet de Dieu pour l’humanité qui souffre de manière spéciale la maladie, la mort... Bien qu’il fût de nature divine, il ne s’est pas «accroché» à sa divinité comme une proie qu’on tient entre les mains. Il a pris la forme d’un homme, d’un esclave, celui qui est au plus bas de l’échelle. Il n’a pas voulu jouer le rôle d’un Dieu lointain qui regarde avec commisération le malheur des humains. Il a passé chez les hommes, il a porté sa croix et leur a demandé de le suivre. Dieu, dans son fils, n’est pas de l’autre côté avec «le bâton» qui frappe. Il est de ce côté et il reçoit des coups avec nous; il porte sa croix avec chacun des humains.
Quand on lit les évangiles, on est étonné de la part très importante donnée à la passion du Christ. Le Fils de Dieu a souffert dans sa chair, la souffrance du corps et de l’âme. Il a été flagellé, couronné d’épines, cloué sur un croix. Mais aussi, un de ses compagnons l’a trahi, un autre l’a renié. Il est venu dans le monde et pour le monde, mais le monde ne l’a pas reconnu, n’a pas voulu le reconnaître, préférant les ténèbres à la lumière.
Le scandale de la croix ne peut être levé par des moyens humains. Dieu lui-même est venu, et dans son amour il a changé le destin de la souffrance, comme il a commencé à enrayer le mal. Déjà dans sa mort, il a crucifié le péché; il a tué la haine. Dès maintenant, il a vaincu le mal, vaincu le monde avec toute son opposition au plan de Dieu. Et à la fin, il n’y aura plus de mal. L’Apocalypse parle de la mer (qui est le symbole du mal) qui n’existera plus (21, 1). Et l’on comprend que l’humanité se trouve devant une longue marche, à la suite de Jésus-Chrit, le Fils de Dieu, pour une victoire certaine. Elle est appelée à se transformer elle-même et toute le créature qui «gémit maintenant encore dans les douleurs de l’enfantement» (Rm 8, 22). Pouvons-nous dire alors que nous avons forcé le mystère du mal? Certes non. Mais avec la raison nous ne pouvons jamais circonscrire le mal. Il est là, présent dans le monde et dans nos vies. Et nous devons le prendre de deux mains en sachant que nous ne sommes pas seuls dans cette lutte. Si Jésus-Christ est l’Emmanuel, c’est à dire Dieu avec nous, il est Emmanuel même lorsque nous luttons, nous souffrons, nous mourrons. Il y a le scandale du mal face à un Dieu père. Mais la présence de Jésus-Christ dans le monde nous aide à transformet ce scandale comme il l’a fait lui-même lorsque le croix qui était un signe d’humiliation et de mort est devenue un signe de gloire et de vie.
3) Beauté du dogme et pauvreté de la pratique
Quand on lit les textes sacrés et ce qu’ils impliquent comme enseignement; quand on prend conscience des exigences de la religion dans la vie pratique; quand on voit le fossé entre ce qui se dit dans la foi et ce qui se fait dans la vie de tous les jours, on se rend compte d’une incohérence très grande entre le domaine de la doctrine et celui de la praxis. Et l’on se rappelle la parole de Jésus-Christ à propos des scribes et des pharisiens: «Il disent et ne font pas» (Mt. 23, 3). Et au fond, nous sommes tous dans cette catégorie soit par faiblesse humaine, soit par maivaise volonté. Nous chantons les beauté de notre religion, mais l’on s’arrête souvent à la beauté du chant. Et pour montrer cela, je parlerai du commandement de l’amour et j’en montrerai la pratique dans deux points particuliers: le pardon mutuel, le repect de l’autre dans le mariage.
Quand on demanda au Christ quel était le plus grand commandement, Il répondit: «Tu aimeras Dieu de tout ton cœur et le prochain comme toi-même». En fait, il y avait dans le monde Juif 613 commandements. Et pourquoi cette multiplicité? Pour régler la vie du croyant qui est appelé à la sainteté comme Dieu qui est saint. Et le Christ nous parla de l’amour de Dieu qui nous envoya son fils unique. Et il nous demanda de nous aimeer les uns les autres comme lui nous a aimés. Et saint Jean nous dira dans sa première épître: «Dieu est amour». Et il nous pose une condition pour juger de l’authenticité de notre amour pour Dieu: «Si quelqu’un dit: j’aime Dieu et qu’il n’aime pas son frère, c’est un menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, ne peut pas aimer Dieu qu’il ne voit pas. Et voici le commandement qui nous tenons de lui; celui qui aime Dieu qu’il aime aussi son frère» (4, 21).
Voilà le niveau où nous a placés notre religion: au niveau de Dieu; «Qu’ils soient un comme nous sommes un» (Jn 17, 22). L’unité entre les hommes ressemble à l’unité entre les personnes de la Trinité. Elle devrait ressemble. Car nous devons être parfaits comme le Père céleste est parfait (Mt 5, 48). Et notre amour les uns pour les autres trouvera sa source dans l’amour du Père pour le Fils et dans l’amour du Fils pour le Père. Si nous sommes les enfants de Dieu, nous devons vivre comme des enfants. Nous devons imiter Dieu comme l’a dit Saint Paul dans l’épître aux Ephésiens (5, 1), puisque nous sommes des enfants qu’il aime. Nous devons vivre dans l’amour comme le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même à Dieu pour nous.
Mais la réalité de notre vie est bien en deça de cet appel. Il y a une dichotomie dans notre religion. Et l’unité est loin de se faire entre le dire et le faire. Et je donne le premier exemple au niveau du pardon aux ennemis. Jésus nous dit: «Vous avez appris qu’il a été dit; œil pour œil et dent pour dent. Et moi je vous dis de ne pas résister au méchant. Au contraire, si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui l’autre... Vous avez appris qu’il a été dit: tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemis et moi je vous dis: aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux» (Mt. 5, 38-45).
Notre pratique en fait va de la loi de la jungle au pardon non pas sept fois, mais soixante-dix fois sept fois. Dès le début du livre de la Genèse, nous voyons la vengeance prendre des proportions de plus en plus grandes. On venge Caïn sept fois seulement. Mais on vengera Lamek soixante dix sept fois. On tue un homme pour une blessure: on écrase un enfant pour meurtrissure (4, 23-24). Il y eut un pas de fait dans la religion du Proche-Orient et surtout avec Moïse: «Si malheur arrive, tu paieras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure» (Ex 21, 23-25). C’est ce qu’on appelle la loi du «talion». A la base, il y a un principe juridique selon lequel la peine doit être proportionnelle à l’offence. Mais comme nous sommes encore loin de la loi du pardon qui est le sommet du don et de l’amour. Elle l’on peut se poser une question obvie. En enlevant la dent de mon ennemi, est-ce que je retrouve la dent qu’il m’a enlevée. En le blessant, ma blessure guérit-elle? Pourquoi ne pas pardonner? Si ton ennemi a faim domme-lui à manger. S’il a soif donne-lui à boire. Si tu trouves le bœuf de ton ennemi égaré, tu le lui rendras. Si tu vois l’âne de ton ennemi gisant sous son fardeau, tu l’aideras (Ex 23, 4-5). Pourquoi ne pas rendre le bien pour le mal. Ainsi nous serons semblables au Père qui est aux cieux: «il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons» (M. 5, 45). Et le Seigneur a lié son pardon au pardon mutuel que nous pratiquons. Seigneur, pardonne-nous comme nous pardonnons. Jésus a dit: «Si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre père céleste vous pardonnera à vous aussi; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre père non plus ne vous pardonnera pas vos fautes» (Mt. 6, 14-15). Face à cet appel divin nous sommes encore faibles, impuissants. Bien plus nous cherchons à nous venger, à rendre le mal pour le mal et à contredire le grand commandement de l’amour.
Un autre exemple montre le fossé qui spare la doctrine que nous enseignons des actes qui nous pratiquons. Dès le début du livre Saint, le respect de l’autre dans le mariage est prôné, spécialement pour ce qui est de la femme, «sexe faible». Elle était considérée comme un bien parmi les biens de l’homme. On lit dans Ex 20, 17: «Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, ni rien de ce qui appartient à ton prochain». La femme est au niveau de l’âne et du bœuf (on peut l’acheter ou la vendre). Et dans le meilleur des cas, elle est la servante. Et au niveau sexuel, elle est celle qui assure «le plaisur» sexuel de son mari. Et comme les besoins de l’homme sont grands, il aura plusieurs femmes, sans compter les concubines. Et pourtant dès les premières pages de la Genèse, l’homme ne trouva pas une aide semblable à lui parmi les animaux, une aide qui lui soit accordée (Gn 2, 12). Et malgré la présence des animaux, l’homme reste seul, il reste incomplet. Et c’est avec la femme qu’il trouve sa plénitude. Lui seul n’est pas l’image de Dieu; et la femme elle seule n’est pas l’image de Dieu. Chacun des deux est une image incomplète. Mais ensemble ils sont images de Dieu et donc créateurs (Gn 1, 26-27).
Les deux sont une seule image. Cela signifie qu’ils sont un avant d’être d’eux. D’où l’image que nous lisons dans la Genèse; la femme est tirée de l’homme. Elle est os de son os chair de sa chair (2, 21-23). La femme est une partie de l’homme. Et quand il la respecte, il se respecte lui-même. Mais quand il la traite comme un objet, une servante, non comme un partenaire, il manque à la grande loi du Seigneur, celle où l’homme aime sa femme, se dépense se sacrifie pour elle. Ici, nous retrouvons ces paroles fortes de Saint paul dans l’épître aux Ephésiens: il y a d’abord la soumission mutuelle. La femme est soumise au mari et le mari est soumis à la femme. «Soyez soumis les uns aux autres» (5, 21). C’est la réciprocité totale telle qu’elle est décrite dans la première aux Corinthiens: «Que chaque homme ait sa femme (non ses femmes, comme David ou Salomon) e chaque femme son mari (et non ses maris comme la Samaritaine). Que le mari remplisse ses devoirs envers sa femme, et que la femme fasse de même envers son mari. Ce n’est pas la femme qui dispose de son corps, c’est son mari. De même, ce n’est pas le mari qui dispose de son corps, c’est sa femme» (7, 2-4). Ce sont les mêmes devoirs et les mêmes droits. Et si le texte symbolique dit que la femme est prise de l’homme, et donc lui est supérieur, Saint paul rappelle que par l’enfantement l’homme sort de la femme.
Pourquoi tout cet effort? Parce que la pratique n’est cohérente avec la doctrine. Dès le début, l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair (Gn 2, 21). Le texte massorétique a laissé tomber le mot «deux» parce que la pratique n’était pas en accord avec la théorie, avec la doctorine. Mais les versions l’ont gardé. Et Jésus en parlant du mariage et du divorce, revient aux origines: «Les deux ne feront qu’une seule chair» (Mt 19, 60). Et il ira plus loin, non seulement en condamnant l’adultère, mais en condamnant même un regard non pur de l’homme vers la femme. L’homme doit devenir à l’image du Christ dans son amour; et la femme à l’image de l’Eglise. Si la femme obéit à l’homme comme l’Eglise au Christ, l’homme aime la femme comme le Christ a aimé l’Eglise et s’est livré lui-même pour elle (Ep. 5, 24-25). Voilà la doctrine sublime à laquelle nous appelle notre religion dans nos rapports à l’intérieur du mariage, et la pratique sordide qui montre que nous ne sommes pas conséquents avec ce que nous croyons, avec ce à quoi nous sommes appelés à vivre.
Conclusion:
Trois points nous ont retenus pour parler de l’incohérence de Votre religion; dans le rapport de la foi à la raison; dans le paradoxe du mal face à un Dieu Père; dans la sissonance entre la beauté du dogme et le pauvreté de la pratique. Nous avons essayé de cheminer comme chrétiens d’abord; mais nous n’avons oublié ni le juif, ni le musulman. C’est ensemble que nous «résolvons» les incohérences qui se posent devant nos dogmes comme devant nos pratiques. Mais si chacun prend un chemin ou l’autre est refusé, exclu, condamné, ce n’est sûrement pas à Dieu que nous aboutissons, mais à une idole.

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