La prière du pardon dans les liturgiques syriaques et ses racines bibliques et judaïques

La prière du pardon dans les liturgiques syriaques et ses racines bibliques et judaïques

Quand on regarde vers l’Église d’Antioche et ses liens avec celle de Jérusalem; quand on se rappelle que l’Église d’Edesse, où est né le syriaque, a connu à ses débuts sept évêques d’origine juive; quand on sait le passage de la Bible en syriaque par l’intermédiaire de l’araméen, peut-être avant la Septante, dans le forme orale; quand on prend en compte que les lectures bibliques, dans les églises syriaques reprennent les trois lectures de la synagogue (Torah, prophètes, livres) auxquelles elles ajoutent trois lectures du Nouveau Testament, on ne s’étonne pas de voir qu’une prière très importante trouve ses racines dans un patrimoine qui revient à cinq cents ans avant J. C.

Notre communication sera divisée en trois parties: le pardon dans sa signification théologique; la peière du pardon dans les liturgies syriaques; les racines biblique et judaïque de la prière du pardon.

1. Le pardon et la rémission des péchés

Le pardon est une nécessité à laquelle aspire l’homme depuis les origines. En ce sens Michée à la fin de sa prophétie: «A quel Dieu te comparer, toi ôtes le péché, toi qui passes sur les révoltes... De nouveau il nous manifestera sa miséricorde, il piétinera nos péchés. Tu jetteras toutes leurs fautes au fond de la mer»(1) comment se présente le pardon dans le christianisme. Dans l’Ancien Testament, dans le monde juif?

a _ le pardon dans le christianisme

Dans le christianisme, le pardon est lié à celui que nous a obtenu le Christ en mourant sur la croix. C’est ce que dit la tradition dans le ligne de l’épître de Ssint Paul aux Romains: «Livré pour nos fautes, ressuscité pour notre justification» (Rm 4, 25). Ce fut un long chemin pour l’apôtre des nations, qui va relire le texte biblique et lui donner un sens nouveau: «Maudit quiconque est pendu au bois»(2). Cette mort sur la croix nous a obtenu le pardon de nos péchés, et nous sommes appelés à nous réconcilier avex Dieu: «Celui qui n’avait pas connu le péché, il l’a, pour nous, identifié au péché, afin que, par lui, nous devenions justice de Dieu» (2 Co 5,21). Ceci a suivi l’appel pressant de l’Apôtre: «Au nom du Christ, laissez-vous réconcilier avec Dieu» (v. 20).

Paul a insisté sur la rédemption et sur la rançon (1 Tm 6,2), retrouvant la parole du Christ citée dans le second évangile: «Car le Fils de l’homme est venu non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude»(3). Et ce que le Christ a dit popur donner une leçon à ses disciples qui cherchaient à prendre la première place, il va le réaliser dans le mystère de l’Eucharistie, dans la sainte Cène: «Ceci est mon sang, le sang de l’alliance, versé pour la multitude, pour le pardon des péchés» (Mt 26,28). Dans ce sens, l’épître aux Hébreux prolonge la parole évangélique: «Combien plus le sang du Christ, qui, par l’esprit éternel, s’est offert lui-même à Dieu comme une victime sans tache, purifiera-t-il notre conscience des œuvres mortes pour servir le Dieu vivant... sa mort étant intervenue pour le rachat des transgression» (Hé 9, 14-15).

L’évangile nous parle souvent du Christ qui pardonne les péchés. Il a pardonné au paralysé, et lui a procure la santé de l’âme et du corp. «Tes péchés sont pardonnés» (Mc 2,5). Cela scandalise les scribes. Puis il s’adresse au malade: «Lève-toi, prends ton brancard et va dans ta maison» (v. 11). La pécheresse est venue elle aussi et elle a vu ses nombreux péchés pardonnés (Lc 7,47). Et la femme adultère n’est pas lapidée, comme le demande la loi de Moïse. «Moi non plus, je ne te condamne pas: va, et ne pèche plus» dira Jésus quand il s’est retrouvé seul avec elle (Jn 8,11).

Jésus ne se contente pas de pardonner et de parler de la miséricorde de Dieu qui reçoit son fils revenant à lui, comme le père de l’enfant prodigue (Lc 15,24). Mais il donne à l’Église le pouvir de pardonner, dans la personne de Pierre d’abord; puis dans celle des sutres apôtres: «Tout ce que vous délierez sur la terre sera délié au ciel»(4). Et après la résurrection, il sera encore plus explicite: «Recevez l’Esprit-Saint; ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis» (Jn 20, 22-23).

b _ Le pardon dans l’Ancien Testament

Tout cela nous fait penser à la parole de Dieu dans le livre de l’Exode; «Prouvant sa fidélité à des milliers de générations» (20,6). Ainsi nous revenons à l’Ancien Testament pour découvrir les racines du pardon de Dieu(5). Yahvé apparaît avec des sentiments humains: l’homme a péché, Dieu se repent de l’avoir créé, comme il est dit dans Gn 6,5. Tout cela a commencé avec le péché des origines. L’homme était menacé de mort s’il mangeait de l’arbre de la connaissance de bien et du mal. Mais il n’est pas mort. Dieu va lui-même revêtir celui qui est devenu nu de «tunique de peau» (Gn 3,21).

Aux origines du peuple d’Israël, il y eut encore un grand péché. Ceux qui sont sortis d’Egypte se sont empressés d’être «adultère» avec Yahvé. Ils vont adorer le veau d’or. Bien sûr qu’il y eut un châtiment rapide. Mais Moïse va comprendre par la suite que, malgré la gravité de la faute, Dieu reste «miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, plein de fidélité et de loyauté» (Ex 32,6).

Cet aspect du pardon divin retentira dans l’enseignement des prophètes. Oui, Dieu n’est pas le Dieu vengeur, celui qui veut la mort du pécheur. Il est Dieu, non un Homme, comme il le dira à Osée (11,9), il est le saint, c’est-à-dire celui qui est séparé et se distingue par son comportyement envers les humains. Son plaisir c’est la vie du pécheur. Pour cela, il nous cria: «Revenez, revenez de votre méchante conduite» (Ez 33,11).

Quand Dieu pardonne, il ne se contente pas de couvrir le péché pour ne pas le voir. Mais il refait le cœur de l’Homme. Dans ce sens nous lisons le psaume: «Devant mes péchés, détourne-toi, toutes mes fautes efface-les. Crée pour moi un cœur pur. Dieu, enracine en moi un esprit neuf» (51, 11-12). Dans ces conditions, les commandements de Dieu ne sont plus quelque chose d’extérieur à l’homme. Ils sont inscrits dans son cœur. Jérémie dira au nom de Yahvé: «Je déposerai mes directives au fond d’eux-mêmes, les inscrivant dans leur être; je deviendrai Dieu pour eux, et eux, ils deviendront un peuple pour moi» (31,33).

Et pourquoi Dieu pardonne-t-il? Touve-i-il un mérite dans l’homme? Bien sûr que non. Le livre de la Genèse avait constaté dès le début la méchanceté du cœur de l’homme. «Son cœur n’était porté qu’à concevoir le mal» (6,7). Si Dieu pardonne, c’est pour son nom, pour sa sainteté. C’est ce que dit Ezéchiel au nom de Yahvé: «Ce n’est pas à cause de vous que j’agis, maison d’Israël, mais bien à cause de mon saint nom... je montrerai la sainteté de mon nom...» (36,22-23). Dieu est le premier et il est le dernier (Es 44,6). Il est celui qui crée au début et reçoit à la fin ses enfants qui reviennent à lui. Il est le Créateur et le Rédempteur (Es 44,24), «celui qui efface comme un nuage nos révoltes, et comme une nuée, nos fautes» (v. 22). dans cet esprit, le peuple fait une double confession; d’une part il confesse le Dieu miséricordieux qui va en exil pour ramener son peuple pécheur, d’autre part, ce peuple confesse ses péchés comme il est dit dans le psaume: «Car je reconnais mes torts, j’ai toujours mon péché devant moi. Contre toi et toi seul j’ai péché, ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait» (Ps 51,5-6).

c _ le pardon dans le monde juif

A la base des péchés, il y a la volonté libre. Il y a le libre-choix entre le bien et le mal, et cela depuis les origines. Cela est rendu clair à la fin du Deutéronome: «Vois: je mets aujourd’hui devant toi le vie et le bonheur, la mort et le malheur» (30,16). Si le croyant répond à l’amour par l’amour, il vivra et recevra la bénédiction. Mais si son cœur se détourne, n’écoute pas, il disparaîtra. A l’homme de choisir(6).

Ici le Talmud parle de deux penchants dans la personne humaine: un penchant vers le bien et un penchant vers le mal. Et l’on explique le verbe yatsar qui veut dire «modeler» (Gn 2,7). Ce verbe est écrit avec deux «y». C’est parce que le Très-Haut a créé deux penchants: un penchant bon et un penchant mauvais. Nous ne devons pas méconnaître la force du penchant mauvais. Si nous échonons dans le combat, il devient plus puissant. Cependant, le penchant mauvais n’est pas mauvais en soi. Il l’est du fait de l’homme(7).

Dans cette ligne nous lisons Gn Rabba 9: «Rabbi Samuel dit: Et cela était bon (Gn 1,31). Tel est le penchant bon et: il était très bon. Tel est le penchant mauvais. Mais, est-ce que ce penchant est vraiment très bon/ Ici, je m’étonne. Cependant cela veut t’apprendre que sans le penchant mauvais, l’homme ne construit paas une maison, n’épouse pas une femme, n’engendre pas une enfant, ne fait pas de commerce. Nous n’éludons pas les penchants, mais nous les dominons(8).

De tels tels propos nous font comprendre une pensée essentielle dans le judaïsme: le péché n’est pas un sort que nous ne pouvons éviter. Il n’y a pas de péché au sens absolu, mais il y a le péché de tel ou tel homme. Sans doute, «aucun homme n’est assez juste pour faire le bien sans pécher» (Qo 7,20). Même Dieu recherche le pécheur et lui donne une vie nouvelle(9). «Dieu dirige l’homme dans une voie qu’il veut suivre»(10). C’est l’initiative divine qui agit, et attend une réponse de la part de l’homme, par la pénitence. Dieu ne refuse personne, sauf s’il endurcit son cœur, comme a fait Pharaon (Ex 7,13, 22). Ex Rabba 19 dit: «Dieu ne rejette aucune créature, mais reçoit chacun de nous». Et nous lisons dans Gn Rabba 22, autour de Gn 4,16: «Caïn s’est éloigné de la présence de Dieu. Rabbi Hona dit il s’est éloigné joyeusement. Adam le recontre et lui dit: comment est tombée la sentence sur toi? Caïn répondi et je me suis réconcilié avec Dieu. Alors Adam lui toucha le visage et lui dit: comme est puissante la force de la pénitence: je ne la connaissais pas».

Même le grand crime où le frère tua son frère, n’éloigne pass l’homme de Dieu jusqu’à la fin, et ne le rejette pas pour toujours de la communauté humaine. C’est ce qu’ont compris les sages du Talmud: «Quelle que grande que soit la faute, la valeur de la pénitence est plus grande. Rabbi Abahon a dit: là où se tiennent les pénitents, les justes ne peuvent se tenir»(11). Ici nous nous rappelons Rm 5,20: «Là où le péché a proliféré, la grâce a surabondé».

Si l’homme se repent et regrette ses actes mauvais d’un regret sincère, il peut espérer le pardon de Dieu. Car la pénitence est liée à l’expiation. En effet, MI 3,7 dit: «Revenez à moi et je reviendrai à vous». Et Rabbi lévi: «Comme elle est grande la pénitence! Elle arrive au trône de la gloire»(12). Et un peu plus loin nous lisons: «Grande est la pénitence car elle porte la rédemption au monde».

2. La prière du pardon dans les liturgies syriaques

Après ce survol du pardon dans le Nouveau et l’Ancien Testament, comme dans la tradition judaïque, nous revenons à la tradition syriaque à propos du pardon: nous nous arrêtons au vocabulaire et nous donnons quelques textes.

a _ Vocabulaire de la prière du pardon

1° Husoyô

Tel est le nom connu dans les liturgies syriaques. Cela signifie: expiation, propitiation, remise des fautes, pardon, absolution(13). Et l’on parle de la prière du pardon «slûtô d-husoyô»(14). Nous rappelons ici que cette prière était formée dans la première liturgie, de trois éléments: Les proemium(15), la narration ou l’arrangement(16), le Husoyô. Une fois terminés les psaumes et les répons, le prêtre s’approche et se tient debout devant l’autel. Il commence par le proemium ou l’introduction. Après cela, le crélébrant récite la prière de demande du pardon: «Seigneur, sois celui qui pardonne». C’est là une formule fixe. En ce moment on brûle l’encens pour louer le pardon divin et pour demander ce pardon.

Ici on comprend que le husoyô est dit par le célébrant pricipal, ou par un prêtre désigné. Nous avons là une véritable absolution comme dans le rite copte. Les fidèles reconnaissent leurs péchés et montrent leur (17).

2° Proemium ou commencement

Le proemium, avons-nous dit est un mot grec qui signifie le début du discours. Telle est sa situation présente. il est devisé en deux parties: une partie fixe qui nous rappelle quelques prières juives dont on trouve des traces dans le livres de l’Apocalypse: «Il est digne, l’agneau immolé, de recevoir puissance, richesse, sagesse, force, honneur, gloire et louange» (5,12), ou dans le v. 13: «A celui qui siège sur le trône et à l’agneau, louange, honneur, gloire et pouvoir pour les siècles des siècles». Quant à la partie moblile, elle indique le thème pour lequel nous offrons la gloire à Dieu(18).

IL semble que le proemium fut à l’origine un développement du «Gloria»(19) qui commence l’office divin(20). Juste après le «Gloire au Père et au Fils et au Saient-Esprit», il parle des trois personnes de la Trinité, ou rarement de la personne du Christ(21).

3° Sedrô ou disposition

Ce mot signifie «disposer, mettre en ordre». Il est lié à la racine arabe «srd» qui indique deux faits: énumerer des faits, les organiser dans une prière qui a une forme fixe.

Le Sedrô se compose de deux éléments distincts qui sont séparés par un «badgum» syrique, signifiant: Et maintenant(22), ou c’est pourquoi. Le premier élément est une prière de louange ou une action de grâce. Il rappelle les attributs de Dieu et spécialement ceux qui sont en rapport avec la fête célébrée. Comme il rappelle les bienfaits ded Dieu pour sa création et les grâces reçues par les fidèles dans une circonstance donnée. Le second élément est une prière de supplication où les demandes sont énumérées selon un ordre connu. Ainsi le second élément est a conclusion logique du premier élément. Ce Dieu qui a prodigué ses grâces dans le passé, ne cesse de le faire aujourd’hui: Il est le Dieu fidèle et nous remémorons sa fidélité(23).

Ce genre de prière qui peut être un spécimen et une formule typique, a ses racines au premier siècle avec l’épître de Clément de Rome aux Corinthiens(24); ou au second siècle avec Justin(25). Nous le trouvons de manière forte dans les liturgies antiochiennes, melkites, maronites ou syriaques(26).

Egérie parla de cette pière dans son journal de voyage(27), quand elle vint en Palestine. Elle décrivit la liturgie dominicale(28) telle qu’elle se célèbre à Jérusalem. A partir de là on a une litanie de demandes auxquelles les fidèles répondent: «Amen» ou «Kyrié éleison». Elle eut son apogée à Antioche, à la fin du quatrième siècles ou au début du cinquième. Nous en avons un témoin dans le huitième livre des Constitutions apostoliques(29).

Nous laissons de côté le point de vue qui considère la prière du parfum (‘etrô) comme s’ajoutant au sedrô. Mais nous nous confinons à la prière du pardon (husoyô, et ce qui est lié à elle comme proemium et sedrô). Tout cela revient à Ephrem (+ 373), à Jacques (+ 578), à Jean I patriarche d’Antioche (631-648) qu’on surnomma «le faiseur des sedrô». Nous donnons ici quelques exemples sans nous demander sur leur origine syrienne ou byzantine(30).

b _ Textes de cette prière du pardon

1° Textes antiques

Dans la lettre aux Corinthiens de Saint Clément de Rome, nous avons la grande prière: «Toi qui par ton action as montré la disposition éternelle du monde. Toi ô Seigneur qui as créé la terre. Tu es fidèle dans tous les siècles... oui ô Maître, éclaire-nous ton visage pour le bien de la paix, afin de nous garder par ta main puissante(31).

Dans les Constitutions apostoliques, l’évêque prie: «O toi qui as lié l’homme fort et lui as pris ses armes, toi qui nous as donné pouvoir pour piétiner les serpents et les scorpions... Chasse les esprits mauvais et libère l’œuvre de tes mains de l’esprit hostile»(32).

2° Textes syriaques

Nous citons d’abord deux exemples de proemium qui sont daté du 9-10° s.

«Gloire au Père, au Fils et au Saint Esprit. A celui qui est l’un unique dans sa nature et sa seigneurie, qui est réellement le Seigneur Dieu, le Créateur et le Justificateur de l’univers...»(33).

«Gloire au Père... A celui qui est seul le Dieu céleste et le roi des mondes, le maître des êtres...»(34).

Nous remarquons ici lélément trinitaire avec une insistance sur l’unicité de la divinité.

Pour le sedrô nous citons par exemple ce qui se chante au matin de Noël: «A toi la louange et l’action de grâce, ô enfant et fils véritable du Père éternel. Par ta grâce tu es devenu un enfant de la race d’Adam. Toi l’unique de ton Père, es devenu le premier-né de nombreux frères... aujourd’hui s’est levé un rameau de la souche de Jessé, un rameau qui a adouci notre amertume... Et maintenant, ô Seigneur, puisque tes miséricordes éternelles se sont adressées vers ta créature, nous attendaon de ta générosité que tu éloignews de ton Eglise...»(32).

Nous citons aussi le sedrô de la fête de la pentecôte: «Gloire à toi, Seigneur Tout-puissant, Esprit consolateur... Tu es l’égal du Père et du Fils. A toi la grandeur et la puissance. Tu n’es pas avant le Père, ni après le Fils. Tu es uni à eux et égal à eux... C’est pourquoi nous te supplions, Esprit Paraclet, descends dans le temple de nos âmes...»(35).

Quand au Husoyô ou le pardon proprement dit, nous trouvons des prières qui datent du 7° - 9° siècles, et qui ont entrées dans l’office syriaque. Nous lisons par exemple une formule d’absolution dans un manuscrit de Londres: «Envoie, Seigneur, tes miséricordes à l’appel de ma faiblesse, et reçois ma supplication qui s’adresse à toi sur le pécheur un tel qui a péché et couroucé ton Esprit-Saint et a méprisé la grande parole de ton commandement. Mais j’ai confiance en toi, et ma faiblesse s’appuie sur tes promesses divines...»(36).

3. Racines bibliques de la prière du pardon

De tout ce que nous avons dit, nous n’avons pas voulu insister sur un aspect en laissant dans l’ombre les autres. Pour cela, nous avons cité le proemium, le husoyô proprement dit et le sedrô. Et ce que nous appelons aujourd’hui la prière du «husoyô» contient aussi le sedrô qui fut écrit en prose ou en poésie, et apporte le pardon aux pénitents afin qu’ils se préparent a écouter la parole de Dieu et à participer aux mystères divins. Tout ceci trouve ses racines dans la Bible comme dans les prières juives récitées les sabbats dans les synagogues. Nous nous arêtons sur le grand jour du pardon, le «Yom Kippour» qui se célèbre au mois de tishri (septembre-octobre) «au point culminant des dix jours de pénitence qui commencent Roch ha-chanah»(37). Après avoir étudié les chants de louange, nous terminons avec les prières de pénitence que les exilés eurent l’habitude de réciter dans les temps difficiles de leur histoire.

a _ Yom Kippour

Ce jour est une fête très importante à tel point que la tradition juive l’appela tout simplement «le jour». Ce fut une fête tardive dans le calendrier d’Israël. Nous trouvons la preuve dans le livre de Néhémie qui ne la cite pas comme une activité durant le septième mois. En effet Né 8,1-8 parle d’une lecture publique de la loi: «Tout le peuple, comme un Homme se rassembla devant la porte des Eaux, et ils dirent à Esdras, le scribe, d’apporter le livre de la Loi de Moïse... C’était le premier jour du septième mois» (v. 1-2).

De cette fête parle le Lévitique (ch. 16), à la fin des prescription sur le pur et l’impur. A l’origine, la crérémonie fut une grande purification pour le peuple, un moyen privilégié pour que les croyants «se débarrassent de leurs souillures contractées du fait des nécessités de la vie, ou de l’ignorance». Cette célébration évolua jusqu’à devenir une liturgie du pardon dans un sens strict où le peuple exprime sa conscience du péché et sa foi en un Dieu qui pardonne(37 bis).

Tout cela fut repris par l’épître aux Hébreux (ch 9), qui le considéra comme un prototype de la croix du Christ. En effet, le Christ a accompli sur la croix ce qu’a voulu faire le Grand-prêtre au grand jour du pardon.

«Par le sang, non pas des boucs et des veaux, mais par son propre sang, il est entré une fois pour toutes dans le sanctuaire, et il a obtenu une libération divine» (v. 12). dans la mort du Christ le voile du temple se déchira et tous les fidèles purent rentrer dans le Saint des Saints.

C’est cela qui vivent les chrétiens qui se savent, eux aussi, pécheurs, dans la liturgie. S’ils ne trouvent pas dans le Lévitique la prière que récite le Grand-prêtre, ils vont la trouver dans les prières d’après l’exil. Mais dès maintenamt, l’encens est là: il désigne l’honneur dû à Dieu, comme il désigne la purification des fidèles avant la rencontre avec Dieu.

Dans ce cadre, entre le Husoyô, la prière du pardon. Le prêtre encense l’autel qui symbolise le Christ; puis il encense les fidèles. Et nous pouvons lire alors la prière suivante: «Reçois, Seigneur, de nos mains, cet encens, comme tu as reçu l’encens d’Aron qui a barré la route à la mort, dans le peuple. Que cet encens qui t’offrons, nous tes serviteurs, efface nos fautes et pardonne nos péchés. Gloire à toi, ô Seigneur, les célestes et les terrestres glorifient ton nom, car ta gloire remplit les cieux et la terre. Comme tu as reçu l’encens et la prière, accepte, Seigneur, l’encens que t’offrent tes adorateurs». Puis il poursuit: «Tu nous a promis et dit par ta sainte bouche: Demandez et je vous exauce, frappez et je vous ouvre. Nous t’avons appelé comme tu nous l’as appris, Seigneur, exauce-nous comme tu as promis, réponds à notre requête, dans ta miséricorde. Que notre prière te plaise, et par notre requête entre en ta présence. Reçois-là comme une odeur d’encens»(38).

Dans les textes antiques nous remarquons que le sedrô est accompagné de la mention de l’encens: «En faisant mémoire de tes prodigues et des miracles de ton économie, dans le corps sur le parfum de ces encens que nous offrons en ta présence...»(39). Dans un autre sedrô, on fait mention de l’encens au cœur de la prière, non au début, ni à la fin: «Comme le prêtre abrahamiste se tint à l’intérieur de Saint des Saint, devant l’autel royal, avec des pensées chastes et spirituelles, nous pouvons, nous aussi, comme des serviteurs proches et des adorateurs de ta majesté... nous lever en ce lieu saint...»(40).

Si nous laissons de côté l’Ecriture Sainte pour nous attacher à la célébration de Yom Kippour, nous trouvons des ressemblances remarquables entre «la prière du pardon» (husoyô) et la cérémonie du Grand Jour dans le monde juif. Il y a en effet cinq liturgies qui se partagent la fête. Au début, tous les vœux(41). A la fin, c’est la lermeture des portes. A l’origine il s’agit de la fermeture des portes du temple. Ici, c’est la fermeture des portes du ciel. Nous sommes devant la denière occasion pour demander le pardon, après cela, se ferment les portes du ciel.

Entre les deux nous avons la prière qui se récite debout. «En l’honneur de ton nom, tu as sanctifié le septième jour où est le couronnement de la création du ciel et de la terre. Tu l’as béni entre les autres jours, et tu l’as sacrifié entre tous les temps... O notre Dieu et le Dieu de nos pères, reçois notre repos, sanctifie-nous par tes commandements, associe-nous à ta Torah, rassasie-nous de ta bonté, rejouis-nous par ton salut. Purifie notre cœur pour qu’il te serve dans la vérité...»(42).

En ce jour, il y a aussi la confession des péchés. Le texte est mis à la forme «nous» pour insister sur la responsabilité de la communauté par rapport à l’individu, et la responsabilité de l’individu par rapport à la communanté. Et voilà la supplication qui accompagne la confession, au jour de la pénitence: «O notre père et notre roi, nous avons péché devant toi. O notre père et notre roi, nous n’avons d’autre père que toi. O notre père et notre roi, traite-nous selon ton Nom. O notre père et notre roi, annule tous les décrets mauvais contre nous. O notre père et notre roi, déjoue les dessins de ceux qui nous haïssent»(43).

b _ Les chants de louange et d’action de grâces

Le point de départ de ces prières se lit dans le Ps 8: «Seigneur, notre Seigneur, que ton nom est magnifique par toute la terre» (v. 2). Après un appel à la louange, on parle de la motivation: car il a fait des merveilles. Il y a là deux grands motifs: l’œuvre de la création, les miracles dans l’histoire.

Quant aux psaumes d’action de grâces, ils sont accompagnés d’un sacrifice. Après un appel à chanter le Seigneur, il y a le récit de l’intervention divine. Le psalmiste raconte ce qui lui est arrivé, comment il a crié vers le Seigneur et il a été exaucé. Et le priant il tire la leçon: Dieu est grand, il est le Transcendant. Tout nousvient de lui. Il nous reste à le remercier, à confesser nos péchés et à avouer que nous sommes pécheurs devant celui qui est infiniment Saint.

Tel est le thème de sedrô: après une prière au Père et une autre qui s’adresse au Fils, nous insistons sur la médiation du Christ: «Et nous aussi rends-nous dignes de te amgnifier... O Seigneur, notre Dieu, ô Cgrist et roi de gloire, et par toi et avec toi nous magnigions ton Père et ton Esprit-Saint»(44).

Nous lisons une prière de pardon dans un manuscrit qui date du huitième siècle(45). Elle s’adresse au Christ: «Nous remercions ta bonté, ô Seigneur des miséricordes. Dans ta miséricorde tu es apparu dans le monde d’un bras et tu t’es offert à ton Père comme un sacrifice de réconciliation. O roi de la vie, tu es devenu un sacrifice de pardon (husoyô) et par ton sang répandu sur la croix tu as lavé la malédiction de la race des mourants. O quintessence de pardon des péchés, le Père t’a envoyé comme un remède à nos blessures. Par tes souffrances, tu nous as guéris de nos souffrances. O fils de la Grandeur, tu fus élevé sur la croix pour nous. Le parfum de ta mort est devenu sacrifice de pardon pour nos fautes... O Christ, tu es la porte du pardon (husoyô) et le trésor d’absolution (shuboqonô), que le parfum de notre encens s’élève par toi vers le temple saint de ta volonté, pour que nous obtenions de toi, le pardon des fautes et l’absolution des péchés, et que nous soyons dignes de l a mésirécorde au jour de ton épiphanie...»(46).

c _ La prière du pardon dans le sens strict.

Cette prière est divisée en deux parties principales: L’une parle de la fête ou de l’occasion de la prière; l’autre est une prière de demande. Cette seconde partie peut être une litanie générale ou une requête de pardon. On peut prendre comme exemple les vêpres du dimanche dans l’office ordinaire (ch-himtô). On retrouve dans la première partie la louange: «Qui peut louer la mer de ta tendresse, ô Verbe de Dieu...». La deuxième partie commence avec «Et maintenant» (w. hochô), nous te demandons, ô Christ notre Dieu, le pardon de nos péchés par le parfum de cet encens que nous offrons devant toi. Donne le repos à ceux qui sont dans la peine...»(47).

Nous allons essayer de retrouver cette structure dans l’Ancien Testament, dans des textes postexiliques. Nous commençons par le livre d’Esdras, ch. 9(48).

Le peuple se réunit dans l’après midi à quinze heures, à l’heure du sacrifice du soir. Esdras commence une prière personnelle où il momtre que les souffrances de son peuple sont duses à leurs péchés. Dans les v. 6-9, il se remémore le péché des Pères et la colère de Dieu, mais aussi sa miséricorde qui a permis à un reste de revenir, aux v. 10-12, commence une nouvelle partie avec «et maintenant»: il part du temps présent. Les enfants n’ont pas été mieux que les Pères. Peuven-ils encore attendre le pardon. Esdras commence sa prière en «je», puis il passe au «nous»: «Nos fautes se sont multipliées». Le prêtre est solidaire du peuple, et sa prière devient la prière du peuple. Non pour influencer Dieu et le pousser à pardonner, mais pour toucher le cœur de ceux qui l’écouternt et les appeler à la pénitence.

Nous avons ainsi trouvé la base de la prière du pardon dans la liturgie syriaque: les même thèmes, la division en deux parties, le passage du singulier au pluriel. Toute la communauté est concernée. Nous allons trouver tout cela dans le livre de Néhémie, ch. 9.

La situation est la même: le péché du peuple et surtout les mariages mixtes. Le cadre est la fête des Tentes qui dure sept jours et se termine par une célébration au huitième jour (Lv 23, 35, 39). Le peuple a jeûné, il a porté le sac et mis la cendre. Il a confessé ses péchés et les péchés des pères. Au v. 6 commence la prière d’Esdras qui revient sur l’histoire du peuple, depuis l’Exode jusqu’à l’exil. Durant toute cette période, les fils d’Israël ont refusé d’écouter. Mais le dernier mot n’est pas à la colère: «Dans tes grandes compassions tu ne les as pas livrés à la destruction et tu ne les as pas abandonnés, car tu es un Dieu bienveillant et miséricordieux» (Né 9,31).

Avec le verset 32 commence la seconde partie de la prière: «Et maintenant». Il s’agit d’actualiser l’histoire et lire le passé à la lumière du présent. L’affliction continue à nous occuper jusqu’à aujourd’hui. Nous sommes dans le péché. Il ne reste plus que la supplication.

Conclusion

Telle fut notre démarche. Partis de la Bible, Nouveau et Ancien Testament, nous avons retrouver les racines des liturgies syriaques. Cette insistance sur le péché est une inspiration du monde biblique comme du monde judaïque. Et la prière du pardon n’est pas seulement une fête qui se célèbre une fois l’an. C’est quelque chose que vit l’Eglise chaque jour. En rappelant la force de Dieu, elle voit sa faiblesse. En admirant la sainteté de Dieu, elle ne peut que prendre conscience de son péché. Dans ce contexte la prière du pardon prend sa place. Après une prière d’introduction (proemium) qui loue le Père, le Fils et le Saint Esprit, nous nous rappelons l’action de Dieu dans le monde et l’histoire. Tel est le sedrô qui nous prépare aux demandes et surtout au husoyô ou le pardon des péchés. La marche des liturgies syriaques fut de Jérusalem à Antioche. Puissions-nous toujours revenir à nos sources (Ps 27,7) pour retrouver une liturgie qui s’adresse aux femmes et aux hommes de notre temps.

 

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