La descente aux enfers dans la Tradition Syriaque

La descente aux enfers dans la Tradition Syriaque

Substrat biblique

Il est descendu aux enfers, dit le Credo en parlant de Jésus-Christ reliant ainsi une réalité salvatrice propre au Nouveau Testament à une formulation qui a ses racines dans l’Ancien Testament. Cette assertion retint l’attention des Pères syriaques. Pour moi, je voudrais en développer le substrat biblique: parler du schéol, ce séjour des morts qu’on a appelé enfers, de la descente de Jésus-Christ dans le monde des morts, retrouver une imagerie orientale chez des auteurs comme Aphraate et Ephrem qui en ont usé pour parler du salut des hommes en Jésus-Christ.

1. Le schéol dans l’Ancien Testament

Le schéol est le lieu des ténèbres et de la mort(1). Il est la réplique négative de l’existence terrestre. La terre est le lieu de la lumière et la terre sainte forme l’habitation de Dieu au milieu de son peuple. Si la parole caractérise les hommes sur la terre, au schéol, c’est le silence abolu(2). On ne parle pas aux hommes, on ne loue pas Dieu. En ce sens nous comprenons la prière du roi Ezéchias malade: «Le schéol ne te loue pas, et ses habitants n’espèrent pas en ta fidélité»(3).

En effet, Yahvé qui habite les hauteurs célestes reste étranger au schéol. Il est sans pouvoir sur lui et le domaine de la mort reste en dehors de la sphère d’influence de Yahvé. Dieu serait-il cruel quand il abandonne les morts à leur sort? Non, Dieu est le Tout-Puissant et s’il ne peut être dans le monde de la mort, c’est parce qu’il est le Dieu Vivant. Alors, on parlera de coupure entre le ciel et le schéol. Yahvé oublie ceux qui descendent au séjour des morts, et les défunts perdent tout souvenir de Yahvé(4).

Si le ciel est dans les hauteurs, s’il est au-dessus, le schéol est au-dessous; il est situé dans les profondeurs de la terre(5). et la relation entre le schéol et la tombe est évidente, puisque la tombe se situait sous terre dans les anciennes civilisations orientales. La tombe est alors le canal qui donne accès au schéol. Jacob en mourant ira retrouver son fils Joseph(6), Saïl et ses enfants rejoindront Samuel quand ils seront tués dans la bataille(7). Oui, le schéol est la tombe primitive qui se manifeste dans chaque tombe. C’est le lieu de la destruction humaine(8). Ici, nous retrouvons deux courants dans la littérature biblique. Le premier parle de la dissolution des éléments divers qui composent l’être humain; le second s’attache à une certaine manière d’exister qui considère le mort comme l’ombre du vivant. Dans ces conditions, il est clair qu’il ne fait pas bon mourir(9), qu’un chien vivant mieux qu’un lion mort(10). Au schéol apparaît le caractère illusoire des choses et des activités terrestres; la mort n’apporte pas une union complète avec Yahvé; au contraire, elle équivaut à la séparation avec Lui. Au schéol, c’est l’immobilité de la mort, et l’on y est comme dans une prison d’où il est difficile de s’échapper(11).

Mais pour l’homme de la Bible, Yahvé est le Dieu tout-puissant; comment son influence n’atteindrait-elle pas le schéol?! Si Yahvé est le Dieu juste, comment accepterait-il que les bons soient traités comme les méchants et les sages comme les ignorants?!

Yahvé est le Dieu juste, et le roi de Babylone se retrouvera précipité dans les profondeurs de l’abîme, alors qu’autour de lui les rois des nations reposent avec honneur dans leurs tombeaux(12). Il a fait le mal aux nations et il mérite ce châtiment. Le Pharaon, lui aussi, est puni(13) et sa place n’est pas avec les vaillants, mais avec les incurconcis, ceux qu’on enterre sans cérémonie(14). Tout cela reste un indice ténu, et il faut attendre le second siècle pour que se fasse le triage entre justes et méchants.

Yahvé est le Dieu tout-puissant et il vainvra la mort. Il l’a vaincue en Elie et Hénoch dit la Bible, en Moïse et Esdras disent les traditions rabbiniques. De temps à autre, Dieu rappelle des morts à la vie. Et la Bible rapporte trois cas de revivifications opérées grâce à la participation active des prophètes Elie et Elisée: le fils de la veuve de Sarepta(15), le fils de la Shounamite(16), l’homme qui toucha les ossements d’Elisée(17). Dans ces trois cas, il s’agit bien de cadavres qui ont été rappelés à la vie par Yahvé lui-même, le prophète n’étant lui-même que l’instrument qui devait demander à Dieu la force d’accomplir le miracle.

Sien plus, Dieu est celui qui fait vivre. Osée dit: s’il nous déchire et nous frappe, après deux jours il nous rendra la vie et au troisième jour il nous relèvera(18). Et le prophète Isaïe peut crier son espoir: «Tes morts revivront, leurs cadavres ressusciteront». Et le prophète s’adresse aux morts: «Réveillez-vous, criez de joie, vous qui demeurez dans la poussière»(19). Mais c’est avec Ezéchiel que l’image de la résurrection est la plus parlante. Dans le chapitre trente-sept, il décrit la restauration du peuple après le retour de l’exil. Le Seigneur dit à son prophète: «Prononce un oracle contre ces ossements; dis leur: ossements desséchés, écoutez la parole du Seigneur. Ainsi parle le Seigneur Dieu à ces ossements: je vais faire venir en vous un souffle pour que vous viviez. Je mettrai sur vous des nerfs, je ferai croître sur vous de la chair, j’étendrai sur vous de la peau, je mettrai en vous un souffle et vous vivrez; alors vous connaîtrez que je suis le Seigneur». Ces paroles présentent un élément de symbolisme qui laisse entendre que la résurrection des morts était envisagée là comme possibilité(20).

Ce texte sera mis à profit par Ephrem dans les Chants de Nisibe. La mort parla ainsi(21):

Dans la plaine, j’ai vu Ezéchiel

donner vie aux morts. A l’ordre donné

j’ai vu s’animer les os éparpillés.

Bruit d’ossements au schéol, chaque os cherche son voisin,

l’articulation sa compagne...

Les morts ressuscitent, ils revivent. C’est ce que dit Ephrem surtout dans les différents refrains des Chants de Nisibe. Béni qui a vaincu (la mort) et donné la vie aux morts(22). Béni qui par sa croix donne la vie aux morts qui sont dans le schéol(23). Béni qui par sa croix a ouvert les tombeaux du schéol(24).

Nous avons parlé d’Elie et d’Elisée qui ont rendu la vie à un mort. Ephrem dit à ce sujet: «Par Elie, il rendit son fils à la veuve;

Par Elisée, la Shounamite retrouve son bien-aimé»(25).

Et à propos d’Elisée, écoutons Ephrem parler au nom de la mort(26):

Giézi fut mon tourment quand je le vis

sur l’enfant poser le bâton;

le voleur reprit et partit.

Elisée vint, rapetissa et grandit,

se retira au loin, stupéfiante figure!

J’ai entrevu là celui qui a un enfant donne vie.

Quel bonheur si ce n’est que figure!

Mais si les morts se rebellaient et m’écrasaient!

La mort a peur d’être vaincue par les morts. Elisée a constitué un danger en revivifiant un mort. Mais il n’est là que la figure de Jésus-Christ qui redonnera vie à tous les morts. Oui, ces morts rendus à la vie sont les arrhes de tous les morts. Ainsi Ephrem lit l’Ancien Testament à travers le Nouveau Testament, il regarde les symboles anciens à travers la réalité de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ.

Pour revenir à l’Ancien Testament, nous disons qu’après l’exil il y aura une certaine croyance à la résurrection qui comporte une limitation temporelle du séjour au schéol pour les âmes qui doivent ressusciter(27). Sous l’influence des Perses et des Grecs, la Bible parle d’un sort différent pour les justes et les impies(28). Enfin, la croyance en l’immortalité conduit à l’idée que les âmes des justes iront après la mort dans une félicité céleste et là ils attendront la résurrection. Mais il persistera au temps du Christ une autre conception qui dit que les âmes des justes et des impies sont toutes dans le monde souterrsin. Les deux conceptions appsrsissent par exemple dans l’évangile de Luc. Dans la parabole de l;homme riche et de Lazare, le riche souffre dans le monde des morts, tandis qu’Abraham est loin de lui, un avîme séparant les deux(29). Mais les deux sont dans un même lieu et ils peuvent se parler. D’autre part, dit Luc, les justes vivent dans les demeures éternelles(30). Ils sont avec le Christ au Paradis(31).

Cela nous amène au Nouveau Testament et à sa conception du schéol.

2. Le séjour des morts dans le Nouveau Testament

La conception du séjour des morts dans le Nouveau Testament est très proche de la conception du judaïsme tardif. La mort est décrite dans un langage euphémique comme un sommeil(32). Quant à l’hadès ou le schéol, il se situe au centre de la terre(33). Il est dans les profondeurs(34) en contraste avec le ciel qui est situé dans les hauteurs. On le compare à une prison(35) où les esprits sont enchaînés et placés dans une forteresse avec de grandes portes fermées par de grandes clés(36).

Par la suite, il y aura une différenciation entre l’hadès et la géhenne(37). Le séjour de l’hadès dure un temps, le séjour dans la géhenne dure pour l’éternité. Quand les âmes sont dans l’hadès, elle sont délivrées à la résurrection qui constitue la fin d’une vie diminuée(38). Elles vont alors au ciel ou à l’étang de feu(39), l’autre nom de la géhenne.

Les âmes des impies sont dans le monde souterrain, les âmes des justes sont unies au Christ dans la Jérusalem céleste(40). Telle est la conception du Nouveau Testament en lien avec la foi en Jésus est assurée contre la puissance de l’hadès parce qu’elle a par la foi en lui accès au royaume du Père. En ce sens on ne dira plus que les morts sont dans l’hadès, mais en présence de Jésus. Oui les morts qui sont au schéol et qui ont précédé le Christ dans ce lieu souterrain, le Christ ira les rejoindre, il les prêchera et les ramènera à Dieu. Deux testes retiendront ici notre attention: celui de Matthieu 27, 50-53 et celui de la première épître de Pierre 3,19 ss; 4,6. Mais nous n’oublions pas que le Christ a les clés de l’hadès et que dans son combat il domine la puissance de la mort. Voilà comment Ephrem décrit la descente du Christ au Schéol après sa victoire sur la croix(41):

Une voix cria, ils s’assemblèrent et vinrent

les armées du diable et ses serviteurs.

Toute l’armée de la zizanie se réunit.

Ils avaient vu Jésus vainqueur.

Malheur pour la gauche!

Pas un qui n’en fut tourmenté;

chacun raconta ce qu’il souffrit.

Péché et Schéol furent effrayés.

Les morts se rebellèrent, la Mort trembla,

les pécheurs se révoltèrent, le Diable vacilla.

Et nous revenons au texte de Matthieu et nous le citons selon la traduction de la TOB. «Mais Jésus criant de nouveau d’une voix forte, rendit l’esprit. Et voici que le voile du sanctuaire se déchira en deux de haut en bas; la terre trembla, les rochers se fendirent; les tombeaux s’ouvrirent, les corps de nombreux saints défunts ressuscitèrent: sortis des tombeaux après sa résurrection, ils entrèrent dans la ville sainte et apparurent à un grand nombre de gens».

Jésus cria deux fois, et ce ne fut pas un cri de détresse et de désespoir, mais un cri de confiance. Jésus s’adresse à Dieu en chantant les Psaumes(42). A son second cri, il y eut des phénomènes cosmiques qui, dans l’Ancien Testament, annoncent le jour du jugement dernier(43). Mais l’on pourrait paraphraser en pensant à ce que nous avons dit du schéol. La terre tremvle, telle une femme enceinte qui garde des enfants dans son sein; elle les fera sortir. Les rochers qui ferment l’accès du schéol se fendent pour ouvrir les portes de cette prison qui garde les morts. Les tombeaux des saints s’ouvrent comme le tombeau du Christ s’est ouvert, les défunts ressuscitent comme le Christ, et ils apparaissent aux gens de la ville sainte comme le Christ lui-même est apparu à ses disciples et aux femmes. Les juifs avaient demandé pour se convertir qu’on vienne à eux de chez les morts(44); les gens sont venus, mais surtout le Christ est revenu emmenant derrière lui les signes de sa victoire(45). Il a dépouillé les Autorités, il les a publiquement livrées en spectacle, il les a traînées dans le cortège triomphal de la croix(46).

Ce teste de Matthieu qui est souvent cité dans le commentaire du Diatessaron(47), est chanté par Ephrem dans ses hymnes de Nisibe:

Mort terminait son discours moqueur

Quand au schéol tonna la voix du Seigneur.

Il cria, les tombeaux s’ouvrirent.

La peur saisit Mort et Schéol qui ne connaissaient la lumière;

des anges reçurent rayons de clarté, ils entrèrent et firent sortir

les morts devant le Mort qui vivifie tout.

Les morts sortirent, les vivants de honte rougirent,

ils pensaient avoir évincé le Vivificateur universel(48).

Le second texte du Nouveau Testament qui retiendra notre attention est celui de la première épître de Pierre. Nous le lisons aussi dans le TOB. «C’est alors qu’il est allé prêcher même aux esprits en prison, aux rebelles d’autrefois quand se prolongeait la patience de Dieu... C’est pour cela, en effet, que même aux morts la bonne nouvelle a été annoncée».

De même que le Sauveur s’acquitte de son ministère sur la terre, de même il se déplace et prêche dans l’autre monde. Lui dont la mission était d’amener tous les pécheurs à Dieu, il va étendre son action dans un autre domaine; il s’adresse aux esprits en prison, c’est-à-dire ceux qui sont au schéol(49). Le Christ s’en va chez les défunts tant justes que pécheurs, il s’en va dans les enfers. le plus bas des cercles cosmiques, dans le réceptacle de tous les morts.

Cette fosse localisée dans les profondeurs ténébreuses(50) est dénommée prison. Il s’agit de l’hadès où sont détenus les croyants de l’ancienne Alliance espérant le Messie(51). En effet, il est dit dans l’Apocalypse(52): la mort et ll’hadès donnèrent les morts qui étaient en eux, et ils furent jugés chacun d’après leurs œuvres. Oui, le Christ qui avait été oint pour proclamer aux captifs la délivrance a profité du délai de trois jours pour manifester sa compassion aux morts et leur apporter l’ultime chance de salut.

Jésus avait prédit que le Fils de l’homme demeurerait trois jours dans le cœur de la terre(53). Cette prédiction fut réalisée et Saint Pierre en parlera dans le premier kérygme. «Tu ne laisseras pas mon âme dans l’hadès»(54). Ainsi le Christ est descendu dans les régions inférieures de la terre, y avait rendu à l’impuissance celui qui détenait l’empire de la mort, le Diable(55). Ce triomphe fut manifesté par la sortie des saints de leurs tombeaux, le Vendredi-Saint. Voilà ce que nous lisons à ce sujet dans le Testament de Lévi «Sachez donc maintenant que le Seigneur exécutera le jugement sur les fils des hommes. Car les rochers se fendent... toute la création est ébranlée, les esprits invisibles se consument et le schéol est dépouillé à la souffrance du Très-Haut»(56). Et les Odes de Salomon commentent: «Le schéol m’a vu et a été vaincu... J’ai tenu une assemblée de vivants parmi ses morts et je leur ai parlé avec des lèvres vivantes, en sorte que ma parole ne fût pas vaine. Ils ont couru vers moi ceux qui étaient morts, ils ont crié et dit: Aie pitié de nous, Fils de Dieu, et agis avec nous selon ta grâce; fais-nous sortir des ténèbres et ouvre-nous la porte, pour que par elle nous sortions avec toi. Soyons sauvés, nous aussi avec toi, parce que tu es notre Sauveur. Pour moi, j’entendis leur voix et je traçai mon Nom sur leur tête; c’est pourquoi ils sont libres et ils m’appartiennent»(57).

Selon Saint Pierre, Jésus est descendu au séjour des morts, comme tout trépassé; il y fut actif et y a fait une proclamation, celle de la délivrance des justes. n’est-il pas le Messie rédempteur jusqu’aux enfers inclus? Oui, l’âme du Sauveur a annoncé leur délivrance aux âmes de foi qui l’attendaient(58). Il a remonté des enfers, à la tête d’une multitude de prisonniers libérés, les première fruits de sa rédemption, qu’il introduit au ciel(59).

Tout, au nom de Jésus, s’agenouille, au plus haut des cieux, sur la terre, et dans les enfers(60). Par son Incarnation, le Christ est venu sur terre, à sa mort il descend aux enfers, à sa résurrection il monte au ciel. Or dans ces divers compartiments de l’univers, il reçoit l’acclamation de ceux qui y séjournent. Même les habitants des enfers «fléchissent le genou», le reconnaissent pour Maître et l’adorent.

Tous les morts descendent au schéol. C’est l’assertion de l’Ancien Testament sur laquelle se base saint Ephrem pour parler de l’universalité de la rédemption. Ceux qui sont morts avant Jésus-Christ ont été visités par Jésus-Christ et ont reçu sa prédication. Telle est l’affirmation du Nouveau Testament. Par sa mort, le Christ est présent aux morts. Il vainc le schéol et le maître du schéol, le diable. Désormais, la défaite des puissances du mal est chose faite et la victoire du Christ est acquise. Il s’agit d’expliciter tout cela; c’est ce que cherchera à faire Aphraate, le sage persan.

Après ce survol des textes de l’Ancien et du Nouveau Testament, après ces allusions aux textes de Saint Ephrem(61) dans les Chants de Nisibe, nous nous arrêterons plus longuement aux Démonstrations d’Aphraate.

Ce qui frappe d’abord l’attention c’est que Aphraate n’emploie que deux fois le mot géhenne(62) dans ses démonstrations, mais il se limite au mot schéol qui signifie aussi bien le lieu où séjournent tous les morts que le lieu réservé aux pécheurs et aux damnés. Glanons quelques textes pour étayer notre affirmation. Dans la démonstration sur la foi, on lit: «(la foi) a rendu la vie aux morts et les a fait monter du schéol»(63). Dans la démonstration sur la pière, Aphraate dit: «Quand le prophète Jonas pria il fut entendu du schéol inférieur. Comme il y était seul, il fut entendu et exaucé. Elisée pria aussi et il ramena l’enfant du schéol et il le sauva des mains des mauvais qui l’entouraient»(64). En effet, Jonas était parvenu au séjour des morts qui se présente à lui sous la figure d’un poisson qui l’avale. Et si Elisée ramène l’enfant à la vie, cela signifie qu’il n’est pas déjà dans la seconde mort. Dans la même démonstration, il est dit: «la prière d’Elie a pris d’entre les mains de la mort sa proie et l’a ramenée du schéol»(65).

Mais le schéol signifie aussi le lieu réservé aux pécheurs. Dans la démonstration sur l’amour, Aphraate parle des mauvais riches. Le Christ nous a révélé que celui qui aime le monde ne peut pas plaire à Dieu, et cela est clair dans l’exemple du riche qui mit son espoir dans ses biens(66) et de l’homme qui s’est plu dans ses richesses, et ce fut sa ruine dans le schéol(67). Il s’agit là de la perdition. Le texte qu’utilise Aphraate est celui de Tatien qui parle du schéol, et s’il avait utilisé celui de la Pešitto, il aurait parlé d’un tourment dans les flammes(68). Soit dit en passant, Aphraate parle en ces termes du sort des méchants et des justes: ceux qui n’ont pas fait cela, el les envoya aux supplices (éternels), mais les fils de la droite, il les envoya au Royaume(69). En fait, pour parler des souffrances de l’enfer, Aphraate cite le mot de «tašniqo»: quand on ne porte pas de fruit, on est jeté dans le tašniqo, les tourments(70). Si on veut posséder la vie, on espère ne pas être mêlé le jour de la résurrection aux mauvais qui retournent au schéol et au tašniqo(71).

On lit encore un parallèle entre le Royaume et le schéol: ceux qui retournent au schéol pleurent et grincent des dents; ceux qui vont au Royaume se réjouissent, exultent et dansent(72); et on lit une comparaison entre le schéol et le feu à propos de Coré et de ses compagnons: le schéol ouvrit sa bouche et les engloutit, le feu s’alluma et les mangea. Ainsi eurent-ils la rétribution qu’ils méritaient(73).

Ce qui est remarquable, c’est le double sens du mot schéol: celui du Nouveau Testament, ce lieu réservé aux pécheurs; celui de l’Ancien Testament, ce séjour de tous les morts, qu’ils soient justes ou impies. De plus, ce que l’Ancien Testament dit de la mort physique, Aphraate le dit de la mort de l’âme, de la seconde mort, comme dit l’Apocalypse(74), de l’état de damnation en enfer(75). Datan et Abiram, Coré et ses compagnons sont morts engloutis dans la terre. Mais Aphraate qui considère cette mort comme une punition, estime qu’il s’agit de la damnation éternelle.

Aphraate, il est vrai, utilise l’imagerie de l’Ancien Testament, mais il se place au niveau du Nouveau Testament. Et pour lui, il n’y a qu’un seul qui soit descendu au schéol comme séjour des morts et en soit remonté, c’est Jésus-Christ. Il y est descendu non pour y demeurer, mais pour en sortir et faire sortir avec lui tous les justes qui y demeurent. Il n’y est pas descendu comme un homme vaincu pour mener une vie diminuée, mais comme vainqueur pour faire la guerre aux puissances de la mort et ramener les captifs, Adam en tête. A la lumière de cette descente dans la mort et la résurrection, les images prennent une teinte nouvelle et les personnages reçoivent une autre destination. Tout l’Ancien Testament converge vers le Nouveau pour en recevoir la plénitude de sens.

Voilà comment Aphraate exprime cela dans ses démonstrations. En s’adressant aux moines, il leur commente le texte de saint Paul sur la résurrection(76): «La nuit s’enfuit, la lumière domine, l’aiguillon de la mort est brisé et il a été englouti par la vie. Ceux qui retournent au schéol(77) pleurent et grincent des dents; et ceux qui vont au Royaume se réjouissent, exultent et dansent»(78).

Et dans les Exhortatoria, Aphraate confesse sa foi: «Que devait Notre-Seigneur à la mort? Qu’avait-il emprunté au achéol? Tandis qu’il était vivant il était fort pour les rebelles et il les a réconciliés avec son Père. Il pénétra au schéol et en fit sortir ses captifs: il lutta avec le Malin, il le vainquit et le piétina; il mit le trouble dans son domaine et emporta ses possessions. Il brisa ses portes et cassa ses verrous; il enleva ses épines et les déposa sur sa tête (du malin). Il signa nos âmes par son propre sang et il délivra les captifs du puits de la prison. Il brisa la haie et le glaive, il emporta la malédiction et la cloua sur la croix. Ceux qui étaient dispersés, il les réunit; ceux qui s’étaient rebellés, il les pacifia»(79).

Puis Aphraate cherche des modèles dans l’Ancien Testament pour les appliquer au Christ. Il compare Moïse et Jésus, les chrétiens et les Hébreux dans la célébration de la fête de Pâques. Eux ont immolé un agneau qui par son sang les délivra du dévastateur; nous sommes sauvés par le sang du Fils élu des œuvres de la corruption que nous avons faites. Ils eurent Moïse pour les conduire, et nous avons Jésus pour nous mener et nous sauver. Pour eux, Moïse fendit la mer et les fit passer. Notre Seigneur divisa le schéol, il brisa ses portes pour y entrer. Il les ouvrit et traça la route devant tous ceux qui croient en lui(80).

Son second modèle, c’est David. Le texte dit: «Ils ont percé mes mains et mes pieds, tous mes os se sont lamentés(81). En effet, le Christ fut libéré du glaive, il rencontra le schéol; il redevint vivant et après trois jours il ressuscita»(82).

Ananias et ses compagnons furent comparés au Christ. Il en est se même de Daniel. Ananias et ses compagnons connurent le feu et Jésus le schéol. Il est dit: «ils tombèrent dans la fournaise de feu. Quant à Jésus, il est descendu au lieu des ténèbres; il brisa ses portes et il fit sortir ses captifs. Eux sortirent de la fournaise indemnes et Jésus remonta vivant des ténèbres»(83).

Daniel fut jeté dans la fosse aux lions, il fut délivré et remonta indemne de la fosse. Jésus fut jeté dans la fosse aux morts, il en remonta et la mort n’eut pas de pouvoir sur lui. Pour Daniel, la bouche du lion fut fermée; pour Jésus fut fermée la bouche aviche avide de la mort(84).

Au terme de cette communication, j’ai fait quelques allusions à Ephrem et je me suis arrâté un peu sur Aphraate. Mon but n’était pas de m’attarder aux pères syriaques, mais de montrer le substrat biblique sur lequel ils se sont appuyée pour paler de la descente du Christ au schéol chez les morts qui y séjournent attendant sa venue. J’ai insisté sur la notion de schéol dans l’Ancien Testament et j’ai commenté les deux textes principaux du Nouveau Testament qui montrent que la descente du Christ aux enfers fut en fait sa victoire sur la mort et les prémices de sa résurrection. En agissant ainsi, j’ai voulu montrer la source où ont puisé Ephrem, Aphraate et d’autres afin de présenter le mystère du salut.

 

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