Note sur l’exégèse de Saint Ephrem

Note sur l’exégèse de Saint Ephrem. Commentaire sur le déluge (Gn 6, 1-9, 17)

1. Introduction au texte.
L’authenticité des commentaires bibliques d’Ephrem qui existent en langue syriaque est une question qui n’a pas encore été étudiée(1). Cependant, la publication par Dom Louis Leloir de l’explication de l’évangile concordant(2), la parution de l’édotion du «Sancti Ephraem Syri in Genesim et in Exodum commentarii» par le regretté R.M. Tonneau(3) ainsi que de nombreuses œuvres du docteur syrien par Dom Edmun Beck pourraient nous apporter quelques lumières sur la production exégétique de saint Ephrem.
Pour moi, je voudrais aborder le commentaire sur la Genèse. Ce texte fut publié une première fois avec une traduction latine, plutôt large, dans l’édition romaine par Petrus Benedictus en 1737. Une préface et une introduction montraient la place d’Ephrem dans la tradition syriaque, d’intérêt des commentaires du docteur syrien et l’utilité de la tradition latine de ces textes. En publiant un certain nombre de commentaires des livres prophétiques, T. J. Lamy ne discute pas plus que P. Benedictus l’authenticité des œuvres qu’il publie, se contentant d’y ajouter quelques textes supplémentaires(4). Quand le père Tonneau publie en 1955 le texte et la tradition latine du commentaire sur la Genèse, en recourant au seul manuscrit existant (Vat. Sir, 110, daté du 6e s.) auquel il manque quelques pages à la fin, il montre sa dette à l’égard de l’édition romaine mais s’étonne de ce que le texte de P. Benedictus renferme un certain nombre de pages du commentaire sur l’Exode qu’il n’a trouvées dans aucun manuscrit(5). Mais ni le Père Tonneau(6), ni T. J. jansma(7) qui apporte quelques améliorations au texte publié ne doutent que le commentaire sur la Genèse ne soit d’Ephrem; on pourrait en dire autant de Dom Gribomont(8), d’Ortiz de Urbina(9), de Dom Leloir et J. S. Brock. Cependant, Dom Beck, dans l’introduction à la traduction des hymnes sur le Paradis(10), doute de l’authenticité des commentaires sur la Genèse et l’Exode; mais dans son article dans le Dictionnaire de Spiritualité, trois ans après, il range ce commentaire parmi les œuvres authentiques du diacre d’Édesse(11). Ce doute viendrait-il de ce que l’édition romaine publie aussi des œuvres qui ne sont pas d’Ephrem? Toujours est-il que P. Benedictus distingue clairement entre l’œuvre d’Ephrem et celle du moine Sévère(12). De plus, toute une tradition considère Ephrem comme celui qui interpréta l’Écriture, et son œuvre exégétique resta longtemps après sa mort, la base de l’étude de la Bible dans la ville d’Édesse, comme elle passa, non sans se développer, aussi bien dans la tradition syriaque que dans la tradition arménienne(13).
Voilà pour l’authenticité du commentaire sur la Genèse et sur l’Exode. Quant à la méthode exégétique d’Ephrem, nombre de chercheurs y ont déjà donné leur contribution. Je cite rapidement D. Gerson (13 bis), S. Krauss(14), M. Treppner(15) et T. J. Lamy(16). Quant au Père Charles Bravo, il présentait une thèse à l’université grégorienne et concluait qu’on trouvait chez Ephrem deux sens à l’Écriture: un sens littéral et un sens spirituel(17). Ce shéma d’interprétation plutôt occidental, Dom Lelois le qualifiait d’artifiait(18). S. Hidal essaya de suivre pas à pas le texte du commentaire sur la Gnèse, mais de manière rapide(19). Quant à T. Kronholm(20), même s’il a voulu rester dans les limites des œuvres poétiques (madros<ê) pour suivre les thèmes des onze premiers chapitres de la Genèse, cependant il utilise largement le commentaire sur la Genèse pour étayer ses affirmations générales.
A partir de ces différentes études, nous pouvons déceler dans le commentaire sur la Genèse trois types d’influence sur la méthode  exégétique d’Ephrem. C’est d’abord la tradition grecque qui passa par Antioche laissant chez Ephrem les traces d’un double refus des philosophes avec leurs considérations sur le monde(21), refus des alexandrins avec leur recours au sens allégorique pour l’interprétation de l’Écriture(22). A partir de là une méthode s’est dégagée, la théoria, cette contemplation qui pénètre au-delà de la lettre de l’histoire jusqu’à la réalité spirituelle qui est le Christ(23). C’est ensuite la tradition syrienne qui laissa son influence sur la conception de l’ascétisme chrétien, sur l’image du paradis et la manière dont ce fait la présentation de la vie des hommes dans l’Ancien Testement(24). Si Noé fut un homme juste que Dieu sauva du déluge, c’est surtout parce qu’il pratiqua la chasteté et la virginité durant cinq cents ans (C Gen 6/1) et qu’il fit pratiquer la chasteté et la virginité aussi bien aux hommes qu’aux animaux dans ce mini-paradis, qu’est l’arche du déluge (C Gen 6/12a). Enfin, il faut citer l’influence de la tradition judaîque sur l’exégèse d’Ephrem malgré la lutte féroce qu’il mena contre les Juifs surtout à propos de la Pâque. Si l’impact du judaîsme fut important sur la première communauté chrétienne syrienne(25), il faut dire qu’au temps d’Ephrem, les académies juives en Syrie et en Mésopotamie étaient en pleine activité; cependant nous ne pouvons affirmer de manière péremptoire si les contacts entre Ephrem et le rabbinisme furent directs ou indirects, bien que nous trouvions ici ou là des races d’interprétation qui ne peuvent venir que de la tradition judaïque(26).
Dans le commentaire sur la Genèse dont je présente la section VI et que j’intitule le déluge(27), trois remarques se dégagent: la première est que le texte que nous avons ressemble plutôt à des notes touchant quelques problèmes qu’à un travail élaboré traitant des ch. 6-9 de la Genèse(28). La seconde apparaît à partir d’une comparaison entre les textes syriaque et arménien: celui-ci est plus court que le premier(29), bien que le fond soit le même. Enfin, le texte biblique commenté est celui de la Pes<ît/tô, non toujours cité dans sa littéralité la plus matérielle(30).
Après cette introduction sur le commentaire sur la Genèse de saint Ephrem, voici la tradition de la section VI, intitulée le déluge et qui commente n 6,1 - 9, 17.

2. Le texte
Section VI. Le Déluge(*)
(1) Après avoir compté dix générations d’Adam à Noé, il dit: «Noé  était âgé de cinq cents ans quand il engendra Sem, Cham et Japhet» (Gn 5, 32). Durant tout cet intervalle, Noé fut un spectacle à sa (génération) par la pureté (de sa vie). Cinq cents ans durant, il pratiqua la virginité au milieu de ceux dont il fut dit: «Toute chair avait perverti sa voie» (Gn 6, 12).
(2) Après avoir parlé de la pureté de Noé, il revint sur les mauvais désirs qui agitaient les fils de sa génération. Voici ce qu’il dit: «Il arriva que les hommes se multiplièrent et que des filles leurs étaient nées» (Gn 6, 1). Ces hommes désignent la maison de Caïn, et «des filles leur étaient nées» signifie que (le Seigneur) allait mettre un terme à la succesion de leur génération comme nous l’avons dit plus haut(31).
(3) a. Les fils des dieux virent que les filles des hommes étaient belles et ils prirent pour femmes celles de leur choix... (Gn 6, 2). Les fils des dieux sont les fils de Seth, et comme fils du juste Seth, ils furent appelés peuple de Dieu. Les belles filles des hommes qu’ils virent étaient les filles de Caïn qui s’étaient parées pour tendre un piège aux fils de Seth. Il dit ensuite: «Ils prirent des femmes de leur choix», car tandis qu’ils les conduisaient, ils se pavanaient devant elles pour les choisir. En effet, (trois choses) sont en horreur: le pauvre qui s’élève face au riche, le vieillard qui s’enorgueillit devant le jeune homme et surtout celui qui se pavane devant des êtres plus beaux.
b. Ils ne réalisèrent pas que les gens de Caïn, confrontant la richesse et la beauté, s’efforçaient, cultivateurs qu’ils étaient, de ne pas laisser leurs terres sans semailles. la rencontre eut lieu entre débauchés et pauvres; les débauchés furent conduits par la beauté, les pauvres séduits par la richesse et le trouble envahit toute la tribu de Seth.
c. Quand les fils de Seth entrèrent chez les filles de Caïn, ils négligèrent les premiers femmes qu’ils avaient épousées. Celles-ci, à leur tour, méprisèrent toute réserve, délaissèrent la fidélité qu’elles avaient gardée jusque-là pour leurs maris et s’empressèrent de se détourner d’eux. Alors, à caue de l’impudicité qui régnait chez les hommes et les femmes, l’Écriture dit: «Toute chair avait perverti sa voie».
(4) Le Seigneur dit: «Mon esprit ne demeurera plus dans l’homme; il n’est que chair et ses jours seront de cent vingt ans» (Gn 6, 3). Cette génération ne vivra plus neuf cents ans comme les générations précédentes, car elle n’est que chair et elle terminera ses jours dans les œuvres de la chair. Mais les jours (des hommes) seront de cent vingt ans; s’ils font pénitence, ils échapperont à la colère qui va fondre sur eux; sinon, je prendrai leurs œuvres à témoin contre eux. La bonté (divine) a donné cent vingt ans à cette génération pour faire pénitence alors que la justice l’en jugeait indigne.
(5) Après cela, il parla des enfants qui naquirent (du mariage) des filles de Caïn et fils de Seth. Voilà ce qu’il dit: «En ces jours, il avit des géants comme il y en aura par la suite. Les fils des dieux vinrent trouver les filles des hommes et eurent d’elles les héros d’autrefois, ces héros de renom» (Gn 6, 4). En effet, ces héros qui naquirent furent attribués à la famille de Caïn dont les enfants étaient chétifs, non à la puissante famille de Seth dont les enfants étaient vigoureux. Comme la terre de la famille de Caïn était maudite et par conséquent ne lui donnait pas ses produits, les maigres fruits qu’elle lui procurait étaient dépourvus de vigueur. N’est-ce pas ce qui arrive de nos jours aux semailles, aux fruits et aux herbes? Les uns donnent leurs produits et les autres, non. Certes, en ce temps-là, les fils de Caïn étaient des maudits et des fils de maudits qui séjournaient sur une terre étrangère dont ils recueillaient les produits et en mangeaient; ainsi étaient-ils sans vigueur à l’image de la nourriture qu’ils mangeaient. Mais les fils de Seth étaient des fils bénis (par Dieu) et ils habitaient un sol attentant à l’enclos du paradis, dont les produits étaient abondants, ce qui donnait de la force aux corps de ceux qui les mangeraient. Donc ces vigoureux fils de Seth vinrent trouver les tremblantes filles de Caïn et ils engendèrent pour la maison de Caïn ces héros de renom comme ceux d’autrefois. (Cf. Gn 6, 4). Et comme Seth et Enosh furent les premiers héros de renom, ainsi naquit à la maison de Caïn (des héros de renom).
(6) Après avoir parlé des héros qui naquirent à la famille de Caïn - si les femmes étaient belles, cependant elles étaient plus petites que les fils de Seth - il dit encore: «Le Seigneur vit que la méchanceté de l’homme se multipliait sur la terre; à longueur de journée, son cœur n’était porté qu’à concevoir le mal» (Gn 6,5). Il leur fut donné des années supplémantaires pour faire pénitence, mais (les hommes) accumulèrent péchés sur péchés. la méchanceté de l’omme se multipliait sur la terre, c’est-à-dire, son mal s’étendit et engloba les deux familles. Leur cœur n’était porté qu’à concevoir le mal à longueur de journée parce qu’il n’y avait pas de péché qu’ils ne commettaient chaque jour ni de faute où ils ne persistaient à toute heure. Ainsi jour et nuits ils retaient attachés à leurs desseins mauvais.
(7) a. L’iniquité régnait parmi eux; pour cela Dieu dit: «Je détruirai les hommes et les bêtes, les reptiles et les oiseaux, car je me repens de les avoir faits» (Gn 6,7). Il se repentit, non parce qu’il ne savait pas que (les hommes) feraient le mal, mais il voulut montrer aux générations futures leur impiété si grande. Ils furent si débauchés qu’ils poussèrent Dieu à se repentir, lui qui ne se repent pas; mais sa patience l’emporta encore une fois sur sa justice (pour retarder) un déluge qui les submergerait sans faute de leur part. La nature (divine) qui ne se repent pas s’abaissa pour dire: «Je me suis repentie». Elle espérait que la génération rebelle serait secouée et qu’elle laisserait pousser le repentir dans le cœur de ceux qui se refusent à la pénitence.
b. S’il y avait eu un défaut dans l’œuvre de Dieu, il aurait fait une création nouvelle et n’aurait pas conservé à l’intérieur de l’arche une œuvre qu’il s’est repentie (de faire). Considère la parole où il dit: «Je me suis repenti» et vois qu’il ne s’est pas repenti. En effet, s’il s’était repenti à cause de ceux qui ont péché, pourquoi se serait-il repenti à cause des bêtes, des reptiles et des oiseaux qui n’ont pas péché? Et s’il ne s’était pas repenti à cause de (ces créatures), pourquoi a-t-il dit «je me suis repenti» alors qu’il ne s’est pas repenti? Le repentir de Dieu s’est étendu, à cause des pécheurs, sur ceux qui n’ont pas péché, et cela explique l’attitude de Dieu quand il a dit: «Je me suis repenti». Il a dit cela par amour pour les pécheurs qui allaient périr et non pour confesser son ignorance. En effet, ceux qui périront à cause de leurs œuvres causeront de la souffrance à la bonté (divine) qui les a faits; ceux qui ne périront pas corrompront, par leur faute, les générations qui viendront après eux.
(8) a. Comme ils n’avaient eu peur ni de l’écourtement de leur vie, ni de la parole de repentir dite (par le Seigneur) et qu’ils ne s’étaient pas repentis, Dieu dit encore à Noé: «parce que la fin de toute chir et (arrivée) devant moi... Fais-toi une arche de bois de cèdre... longue de trois cents coudées, large de cinquante et haute de trente... (Tu feras un toit à pignon) que tu fixeras à une coudée qu-dessus; tu l’induiras de bitume à l’extérieur» (Gn 6, 13-16). Dieu poussa ce juste à un travail très dur dans l’espoir de leur épargner le déluge.
b. Où va-t-il chercher le bois de cèdre? Où prendra-t-il le bitume, le fer et le chanvre? Quels artisants monteront l’arche et quels ouvriers l’y aideront-ils? Dans la génération où toute chair avait perverti sa voie, qui l’écoutera? Et s’il se met qu travail lui-même et les fils de sa maison, tous ceux qui le verront se moqueront de lui. Cependant (Noé) se mit à construire l’arche lors de la première année de l’appel à la pénitence et la termina cent ans après.
(9) a. Comme ils avaient l’exemple d’un homme intègre et les exhortations d’un juste qui leur annonçait le déluge dans cent ams et qu’ils ne se convertirent pas, il leur dit: «Toute chair m’a rejoint dans l’arche pour échapper (au déluge)», mais ils se moquèrent de lui en se demandant: comment viendraient là les animaux et les oiseaux partout dispersés? Le Seigneur lui dit de nouveau: «Entre dans l’arche, toi et toute ta maison, car tu es le seul juste que je vois en cette génération. Tu prendras sept couples de tout animal pur et un couple de tout animal impur» (Gn 7, 1-2). Il appela (les animaux) purs les doux, et les animaux impurs, les méchants, Dieu ayant multiplié, dès les origines, les animaux purs. Si la parole ne conainquit pas (cette génération), la vue de (ces merveilles) la convaincrait. «Dans sept jours, dit Dieu, je ferai pleuvoir sur la terre pendant quarante jours et quarante nuits, et je détruirai tous les êtres que j’ai faits» (Gn 7,4).
b. En ce jour-là, les éléphants vinrent de l’est, les singes et les paons du sud; d’autres (animaux) arrivèrent en foule de l’ouest et d’autres encore se dépêchèrent du nord. Les lions sortirent de leurs forêts et les fauves de leurs cavernes; gazelles et onagres quittèrent leur désert et d’autres (animaux) leurs montagnes.
c. Devant ce spectacle nouveau, les fils de cette génération s’assemblèrent, non pour se repentir, mais pour s’égayer. Sous leur regard entrèrent dans l’arche les lions, bientôt suivis par les bœufs qui ne craignaient pas d’être enfermés avec les lions. Les loups entrèrent avec les agneaux, les éperviers avec les passereaux et les colombes avec les aigles.
(10) a. Mais, ni ces animaux réunis en un moment, ni leur amour mutuel qui se forma en une heure, rien ne convainquit les fils de cette génération de la nécessité de se convertir. Alors le Seigneur dit à Noé: «Dans sept jours, je vais détruire tous les êtres que j’ai faits».
b. En effet, il leur donna cent ans, le temps nécessaire à la construction de l’arche, mais ils ne se repentirent pas; il rassembla des animaux qu’ils n’avaient jamais vus sans qu’ils se convertissent; il mit la paix entre (les animaux) qui nuisent et ceux qui sont leurs victimes, mais ils ne craignirent pas (le seigneur). Puis, après que Noé fut entré dans l’arche, lui et toute chair avec lui, Dieu patienta encore sept jours. Et tandis que la porte de l’arche restait ouverte, elle présentait un spectacle admirable: les lions oublièrent leurs forêts, animaux et oiseaux oublièrent leurs instincts; mais, à la vue de ce qui se passait dans l’arche et hors de l’arche, les fils de cette génération ne furent pas persuadés qu’ils devaient répudier leur conduite mauvaise.
c. Dieu patienta durant les cent vingt années qui leur étaient données: d’abord, pour qu’ils fassent pénitence; ensuite, pour permettre aux justes qui demeurent au milieu d’eux de les condamner; et enfin, pour rassasier de jours (les justes) afin que personne ne puisse dire: pourquoi n’a-t-il pas laissé en vie ceux qui s’ont pas péché? Dieu mit à l’épreuve cette génération durant cent ans et il écourta (leur vie) de vingt ans; mais les sept jours qui furent prolongés après l’entrée des animaux (dans l’arche), avaient plus d’importance, par le nombre de signes, que les vingt ans qui furent amputés.
(11) a. S’ils ne se repentissent pas (en voyant) les signes des sept jours, il est clair qu’ils ne le feront pas durant vingt années dépourvues de signes. Ainsi, en diminuant leur vie de vingt ans, il leur donna l’occasion d’avoir moins de péchés.
b. A la fin des sept jours, en l’an six cent de la vie de Noé, au deuxième mois, au dix-septième jour du mois, les réservoirs du grand abîme furent rompus et les ouvertes du ciel furent béantes... Le Seigneur ferma la porte sur Noé pour qu’on ne vienne pas la briser lors des inondations. Le déluge eut lieu (sur la terre)... Toute chair... et il ne resta que Noé et ceux qui étaient avec lui dans l’arche. Les réservoirs de l’abîme et les ouverture du ciel s’ouvrirent durant quarante jours et quarante nuits, et l’arche flotta (sur les eaux) (Gn 7, 11-23).
(12) a. Au bout de cent cinquante jours, les eaux commencèrent à diminuer et l’arche reposa sur le mont Quardu... Au deuxième mois, les cîmes des montagnes apparurent... En l’an six cent un, au premier jour du premier mois, les eaux découvrirent la terre ferme... Au deuxième mois qui est «Ayar»(32), le vingt-septième jour du mots, la terre était sèche (Gn 8, 3...14).
b. Noé et ses compagnons étaient restés dans l’arche durant trois cent soixante cinq jours, du dix-septième jour du deuxième mois qui est «Ayar» jusqu’au vint-septième jour de ce même mois de l’année suivante. Cela fait donc trois-cent soixante cinq jours selon le comput lunaire.
c. Considère donc ue la génération de Noé a utilisé le calendrier d’une année de trois cent soixante cinq jours. Alors comment dis-tu que ce sont les chaldéens et les égyptiens qui l’ont ordonné et inventé?
d. Dieu dit à Noé: «Sors, toi et ta femme, tes fils et les femmes de tes fils» (Gn 8, 15). Tu les as fait entrer dans l’arche un par un pour pratiquer la chasteté, fais-les sortir par couples pour qu’ils soient féconds et profiques dans l’univers. (Dieu) lui parla aussi des animaux qui ont pratiqué l chasteté dans l’arche: «Tous les animaux qui sont avec toi, de tout ce qui est chair, fais-le sortir avec toi, qu’ils pullulent sur la terre, qu’ils soient féconds et prolifiques» (Gn 8, 17).
(13) a. Après que Noé fut sorti, lui et ceux qui étaient avec lui, il prit de tout bétail pur et il offrit des holocaustes sur l’autel (Gn 8, 20). Tous les oiseaux et les animaux se mirent à sa disposition dès qu’ils sortirent de l’arche. Il prit alors de toute chair pure et il offrit à Dieu un sacrifice agréable qui fit cesser le déluge sur la terre.
b. Le Seigneur respira dit l’Écriture, non l’odeur de la chair des animaux, ni la fumée du bois, mais il observa et regarda la pureté de cœur de celui qui offrait un sacrifice pris de l’univers pour l’univers. Le Seigneur dit à (Noé) comme pour se faire entendre: «A cause de ta justice, je conserverai ce reste et je ne le ferai plus périr dans un déluge comme je l’ai fait; à cause de ton offrande prise de toute chair et pour toute chair, il n’y aura plus de déluge sur la terre». D’abord (Dieu) se lia par une promesse pour ne pas amener un second déluge sur l’homme toujours enclin aux desseins mauvais. Ensuite, comme cette année fut privée de semence et de moisson, que ses climats et saisons furent troublés, il rendit à la terre ce au’il lui avait pris dans (sa) colère.
c. Et il dit: «Désormais, tant que la terre durera, semailles et moissons, froidure et chaleur, été et hiver, jour et nuit ne cesseront plus» (Gn 8,22) sur la terre. Comme la nuit régnait durant les quarante jours de pluie, ainsi chaque année un hiver sans été durera jusqu’à la période de sécheresse.
(14) Dieu bénit Noé et ses fils: qu’ils soient féconds et prolifiques; qu’ils soient la crainte de toute chair sur terre et dans la mer. «Toutefois, vous ne mangerez pas la chair avec son âme» (Gn 9, 4) c’est-à-dire vous ne mangerez pas la chair étouffée et dont le sang (ou l’âme) n’aura pas coulé. Il établit avec Noé trois alliances: la première: ne pas manger le sang; la seconde a rapport à la résurrection, car on demandera compte aux animaux du sang versé; la troisième: qui tue sera tué.
(15) a. De votre sang, je demanderai compte à toute bête et à la main de l’homme; je demanderai compte maintenant et à l’avenir. Le meurtrier sera tué et le bœuf qui frappe de la corne sera lapidé; enfin, au moment de la résurrection, les animaux restitueront les corps de tous les hommes qu’ils auront mangés.
b. Il dit ensuite: «Je demanderai compte à l’homme et à son frère du sang versé, comme j’ai poursuivi Caïn à cause du sang de son frère. Qui verse le sang d’un homme, par l’homme aura son sang versé car, dit-il, il a été fait à l’image de Dieu... (Gn 9, 6) pour dominer les animaux, les laisser vivre et mourir.
c. Après cela, Dieu établit une alliance avec Noé et ceux qui sont sortis de l’arche avec lui; il dit: «Aucune chair ne sera plus exterminée par les eaux du déluge... Voici que j’ai placé mon arc dans la nuée pour qu’il devienne un signe de l’alliance perpétuelle entre Dieu et toute chair qui est sur la terre» (Gn 9, 11-17).
3. Notes explicatives
Par. 1. Le commentaire insiste sur la pratique de la chasteté et de la virginité chez Noé. Deux mots sont employés: «Zahyûtô» signifie la splendeur, la parure, l’intégrité et l’honnêteté des mœurs(33); «btûlûtô» désigne la personne non mariée, vierge et chaste(34). Saint Ephrem prolonge le texte biblique dans ce sens: si Noé n’a eu des enfants qu’à l’âge de cinq cents ans, cela suppose qu’il a pratiqué la virginité durant cette période de sa vie.
par. 2. Nous retrouvons encore la pureté de Noé, opposée aux mauvais désirs des gens de sa génération. Un premier châtiment frappera la maison de Caïn: celui d’avoir seulement des filles, ce qui a pour conséquence d’extinction de sa lignée. Dans C Gen3/4b, Lamek craignait le même châtiment; pour cela il rechercha l’union avec la famille de Seth dans l’espoir d’être couvert par la miséricorde divine et être sauvé. Mais dans l’épisode du déluge, l’union entre les deux familles de Caïn et de Seth sera fatale aux deux: ils communient dans le péché et méritent ensemble la mort.
Par. 3. alinéa a: Ephrem propose l’explication de l’expression «fils des dieux», «filles des hommes» dans la ligne des Pères de l’Église du quatrième siècle; ceux-ci ont communément interprété cela comme désignant respectivement la lignée de Seth et la lignée de Caïn(35). De plus, trois remarques s’imposent: l’expression «bnay ‘elohîm» de la Pes<îttô, calque de l’hébreu, devient chez Ephrem «bnay ‘slohê = fils des dieux»; mais le commentaire n’en maintenant pas moins le sens de «fils de Dieu». Ensuite, le père Tonneau lit l’adjectif «zadîqê = justes» comme qualifiant les fils de Seth; mais il semble préférable de lire l’adjectif au singulier, comme désignant Seht lui-même. Enfin le mariage entre les fils de Seth et les filles de Caïn se conclut sous  le signe du péché: la beauté des filles de Cïn constitue un piège aux fils de Seth. A la fin de cet alinéa, un proverbe numérique rappelle le livre des Proverbes (30,15).
Le par. 3 b, c montre que la famille de Seth va vivre aussi dans l’adultère. Les hommes commencent par délaisser leurs femmes qui, à leur tour, suivront l’exemple des premiers. Deux mots parlent de l’ancienne conduite de la famille de Seth: «knîkûtô» indique quelque chose de vénérable dans le comportement, comme il signifie la pureté et l’honnêteté des mœurs(36); «ntar» signifie garder, veiller à, et il est employé deux fois dans le même alinéa, dont l’un avec le mot «nafs<ô» pour indiquer qu’on se garde soi-même(37). La nouvelle conduite des fils de Seth s’exprime par le mot «srîh$ûtô» qui indique le plaisir du sexe et l’impudicité. A la fin de ces alinéas, nous retrouvons le refrain: toute chair avait perverti sa voie(38). L’expression toute chair désigne tout homme, toute l’humanité. Mais il semble que saint Ephrem l’emploie ici, au moins dans quelques cas, pour désigner le domaine sexsuel, puisque dans le paragraphe suivant, il associe à la chair les œuvres de la chair (Rm 7, 5, 24).
Dans le par. 4, Ephrem explique qu’en écourtant la vie de l’homme, Dieu le frappa d’un premier châtiment d’avertissement, alors que le second sera un châtiment d’anéantissement. Nous retrouvons ici l’appel à la pénitence et à la mise en œuvre de la justice et de la bonté divines.
Le par. 5 présente l’opposition entre la famille bénie de Seth et la famille maudite de Caïn. Cette bénédiction se manifeste dans les produits du sol et la taille des corps. La proximité du paradis explique cette différence. Mais par le mariage, cette différence entre les deux familles s’estompe.
Le par. 6 montre que l’homme s’enfonce de plus en plus dans le mal comme pour saint Paul (Rm 1, 24-27) le péché de la chair (Rm 7, 24) entraine à sa suite toute sorte de péché.
Le par. 7 discute la notion du repentir de Dieu. Si Dieu a été poussé à se repentir, c’est à cause de l’impiété (rûs<’ô) et de la débauche (fehzô) de cette génération. Ainsi le repentir de Dieu ne  signifie pas son ignorance, ni que sa création soit mauvaise. De plus, nous retrouvons l’idée biblique que les créatures sont solidaires de l’homme dans le salut comme dans la perdition. Ceux qui seront dans l’arche échapperont à la colère, les autres périront.
Dans le par. 8, Dieu demande à Noé un travail long et difficile: ce travail dure cent ans, il exige de la main d’œuvre et du matériel. Si Dieu lui demande tout cela, c’est pour donner un répit à cette génération pécheresse pour qu’elle se repente.
Le par. 9 présente une image du paradis avec Noé comme second Adam. Cette image est tissée de réminiscences d’Isaïe 11, 6-8 avec un vocabulaire assez proche, Cette image du paradis a une double intention: d’une part, convaincre les gens de cette génération pécheresse de la perte qu’elle va subir; d’autre part, donner une image du monde à venir.
Dans le par. 10, alinéa a, l’image de l’arche comme paradis se présente à la vue de la génération de Noé. Mais celle-ci ne se convertit pas. Dans l’alinéa b, Ephrem justifie Dieu quand il donne à cette génération cent ans et sept jours, au lieu des cent vingt années promises auparavant. S’il avait prolongé leur vie, ils auraient commis encore plus de péchés. L’alinéa c donne la raison de cette patience divine quand elle prodigue des signes (‘otwotô) pour composer, par l’intensité de l’appel divin, la durée des vingt années dont furent privés les hommes.
Le par. 11, alinéa a insiste encore sur l’endurisement du peuple avant le châtiment du déluge, et cela pour justifier d’avance le comportement de Dieu. Dans l’alinéa b, le commentaire se contente de citer l’Écriture par texte détachés laissant au lecteur le soin de compléter la citation. Il en est de même du par. 12, alinéa a.
Dans le par. 12, alinéas b et c, Ephrem revient une fois encore sur l’origine divine su calendrier utilisé en Orient (C Gen. 1/25c). Ce ne sont pas les chaldéens ou les égyptiens qui l’ont inventé, mais c’est Dieu lui-même qui l’avait institué lors de la création du soleil et de la lune et qui l’a mis en application une fois encore avec le déluge. Dans l’alinéa d, il reprend l’idée que la chasteté était pratiquée au paradis, comme dans l’arche, image du paradis. Quand Adam sortira du paradis, il pensera à se multiplier, et quand Noé et ceux qui sont avec lui quitteront l’arche, ils laisseront la vie de chasteté pour être féconds et remplir la terre.
le par. 13, alinéa a: les animaux sont aux ordres de Noé, parce qu’il est fidèle à la volonté divine. Dans l’alinéa b, Ephrem explique le sens d’un enthromorphisme qu’il utilise dans la controverse anti-arienne: si le texte biblique parle de Dieu qui a senti l’odeur (‘arîh$) du sacrifice, cela signifie qu’il a observé la pureté du cœur de Noé. puis le texte parle d’un reste (s
Les par. 14 et 15 présentent, dans une paraphrase plutôt rapide, Gn, 9, 1-17 en s’arrêtant sur la notion d’alliance entre Dieu et Noé avec l’une ou l’autre de ses clauses.
4. Dieu prépare un paradis à l’homme
Après ces quelques notes, je voudrais prolonger le texte en insistant sur deux thèmes qui semble résumer cette section VI du C Gen: l’attitude de Dieu avec l’homme et le thème du paradis.
Le premier thème se présente sous trois aspects; la patience de Dieu, sa colère envers les pécheurs et sa fidélité à l’égard de ceux qui gardent ses commandements. Pour parler de la patience de Dieu, Ephrem insiste d’abord sur le respect de Dieu pour la liberté humaine, puisqu’il permet le mariage des «fils de Dieu» et «des filles des hommes», malgré le dommage qui pourrait en résulter; comme il ne force pas au repentir les enfants de la génération de Noé. Il attend avec patience en cherchant à les convaincre; de manière positive, par le spectacle du juste Noé et par l’image du paradis qui se présente à eux; de manière négatine, par les différentes menaces: extinction de la famille de Caïn, écourtement de la vie humaine, sans compter les signes annonciateurs de sa visite. Oui, Dieu va attendre cent ans, et il fera des prodiges inouïs durant sept jours avant de se résoudre à punir(39).
Mais le péché de l’homme va mettre la patience de Dieu à dure épreuve, et sa justice l’emportera sur sa bonté(40). Cette même justice avait attendu longtemps avant de punir Adam, Ève et Caïn. Avec Noé, le texte biblique et s. Ephrem à sa suite, insistent sur le repentir de Dieu à cause du péché de la chair qui se répand dans l’univers entier. Mais sa colère va attendre cent ans, comme elle sera prête à pardonner dès qu’il y aura un signe de repentir. Mais au lieu du repentir de l’homme, le livre parle du repentir de Dieu. Alors, cela justifie l’effet de la colère divine qui s’abat sur l’humanité; bien que l’œuvre de Dieu ne soit pas mauvaise et que Dieu ait attendu longtemps avant de punir, les hommes vont entraîner dans leur péché et leur malheur toutes les créatures comme Adam et Caïn avaient entraîné la terre dans la malédiction.
La colère de Dieu s’abat sur les pécheurs, mais sa fidélité prend en pitié ceux qui gardent les commandements. Ephrem met en valeur la vertu de Noé et surtout sa chasteté, comme il montre la déchéance des fils de Seth qui n’ont pas été fidèles à l’alliance que Dieu avait établie avec eux(41). Avec Noé, c’est comme une nouvelle dynastie qui prend possession de la terre. Nous remarquons cela de manière particulière à la vue des animaux qui obéissent à l’homme quand il les appelle et qui se mettent à sa disposition quand il faut présenter un holocauste à Dieu. Ce qu’a perdu Adam en la personne de Seth, il va le retrouver en Noé. Cette fidélité de Dieu est efficace dans le présent puisque la pluie s’arrête et que l’année rattrappe le temps perdu; et pour l’avenir, puisque ce reste va repeupler la terre qui ne connaîtra plus un pareil châtiment. Telle est la portée de la triple alliance conclue entre Dieu et Noé: elle est le signe de la fidélité de Dieu à l’égard de l’homme qui devra suivre ses commandements.

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Le second thème est celui du paradis, avec son antithèse, le monde du péché et surtout celui de la chair. Noé fut u spectacle à sa génération par la pratique de la chasteté. L’arche fut un paradis par la paix universelle qui se retrouva au temps de Noé comme elle l’était avec Adam, avant le péché. Quand Noé quitta l’arche, ce paradis, il se retrouva sur la terre avec l’ordre pour lui et pour les animaux de procréer.
Alors que l’Écriture laisse entendre que la violence fut le péché qui mérita son châtiment au monde, Ephrem insiste sur le péché de la chair et de l’adultère en particulier. Il parle de la chair et des œuvres de la chair (C Gen 6/4); il insiste sur l’impudicité (6/3c), la débauche (6/3b) et la perversité (6/3c) des hommes. D’ailleurs le mariage entre les fils de Seth et les filles de Caïn ne fut pas conclu selon la volonté de Dieu puisque la beauté qui séduisit les premiers sema chez eux le trouble (s<ô), alors que la richesse attira les pauvres vers l’impitié (6/7a) et leur donna un cœur orgueilleux et arrogant. Les hommes versent d’abord dans l’impudicité, bientôt suivis par les femmes qui deviennent à leur tour adultères (6/3c) en attendant que l’humanité commette tout péché à longueur de journée (3/6). Et l’expression «toute chair avait perverti sa voie» ne signifie plus seulement que tout homme est pécheur, mais que tout ce qui est contraire à la virginité et la chsteté s’est répandu sur la terre.
Face à la génération pécheresse, Noé se présente comme un juste. Mais au lieu de parler d’une justice qui consiste à observer les commandements de Dieu, Ephrem insiste plutôt sur la chasteté et la virginité de Noé et il infléchit le texte dans le sens de sa thèse, puisqu’il considère que l’homme de Dieu est resté vierge jusqu’à l’âge de cinq cents an (6/1). D’ailleurs, n’a-t-il pas pratiqué la chasteté lui-même et ne l’a-t-il pas imposé à tous ceux qui étqient dans l’arche avec lui?
Si la terre est caractérisée par le péché, le paradis l’est par la chasteté. N’est-il pas dit dans l’évangile qu’au ciel, on ne se marie pas et on n’est pas donné en mariage (Mc 12, 25)? Ainsi, en parlant de l’arche comme d’un paradis, Ephrem insiste sur deux signes: la pratique de la virginité, la paix qui règne entre l’homme et les animaux, et entre les animaux eux-mêmes. Quatre passages parlent de cela. Dans 6/9b, il les montre obéissant à la voix de Noé et rejoignant l’arche des quatre coins de l’univers. Dans 6/9c, il parle de la paix qui règne entre eux de sorte qu’ils cohabitent sans qu’aucun ne nuise à l’autre (2/9b). Dans 6/10b, il insiste encore sur cette paix qui change le cœur des animaux, non ceux des hommes. Enfin, dans 6/13a, quand il fallait une matière à offrir à Dieu, les animaux se présentent eux-mêmes à Noé pour qu’il les offre en sacrifice agréable.
Cette image du paradis est illustrée par le texte d’Isaïi (11,6-9) à propos du roi attendu qui viendra rétablir la justice en faveur des hommes. Deux couples se retrouvent aussi bien dans le texte d’Isaïe que dans C Gen 6/9, c: le loup et l’agneau, le lion et le bœuf; et alors que le texte d’Isaïe parle du léopard et du chevreau, de l’enfant et de la vipère, C Gen parle de l’épervier et du passereau, de l’aigle et de la colombe. Cette paix universelle dans le monde, Ephrem en avait déjà parlé dans ce même commentaire (2/9b) à propos d’Adam et de sa domination sur les animaux(42).
Au paradis, Adam et Ève n’avaient pas besoin de procréer des enfants, puisque ceux-ci ne devaient pas mourir (C Gen 2/30b). Il fut de même dans l’arche où les hommes et les animaux furent contraints par Noé à vivre dans la chasteté (6/12d). Mais de même qu’Adam se mit à procréer dès qu’il fut sur la terre, ainsi Noé, ses fils et les animaux qui étqient avec lui recevront-ils l’ordre de procréer et d’être féconds. Si la terre est le lieu des gens mariés, le paradis est le domaine des vierges, des chastes et des saints.
Avec cette image du Dieu transcendant et proche de l’homme, avec le thème du paradis qui préfigure le ciel par la vie de chasteté qu’on mène dans l’arche, Ephrem effleure en passant le thème de la résurrection des morts. Déjà dans C Gen 5/2, à propos d’Enoch, il avait parlé d’une résurrection générale qui réunirait tous les hommes soit avant, soit après la mort(43). Dans cette section, nous avons deux notes à propos de la résurrection des corps: le Seigneur ressuscitera les hommes dans leur propre corps matériel, fussent-ils dévorés par les bêtes(44). Peut-on prolonger la pensée d’Ephrem pour monter que le déluge est une figure de la fin du monde? Pour le docteur syrien, tous les hommes ressusciteront, pécheurs ou saints. Mais la question reste ouverte: s’agit-il d’une apocatastase à la manière dont on a interprété la pensée d’Origène, ou d’une résurrection qui prépare les hommes à une annonce dernière de l’évangile avant le châtiment ou la récompense définitifs?

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